L’Ecume des jours de Charles Belmont : entretien avec Marielle Issartel

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Le 15 mai 2011, le comédien et réalisateur Charles Belmont disparaissait à l’âge de 75 ans. Deux ans après son décès, il est utile de rappeler qu’il fut le premier à adapter – très librement – L’écume des jours de Boris Vian. Un joli long-métrage poétique et charmant, délicieusement musical, avec une grâce visuelle et une légèreté de ton et de rythme qui n’empêchent pas une belle mélancolie dont certains seraient avisés de s’inspirer. On attend toujours (impatiemment) sa sortie en DVD et bluray…

Merci à Marielle Issartel, qui fut la compagne du réalisateur et sa monteuse et principale collaboratrice pendant plus de quarante ans de m’avoir accordé ce long entretien.

Charles Belmont et Bernadette Lafont dans Les Godelureaux
Charles Belmont et Bernadette Lafont dans Les Godelureaux

 

Critique-Film : Comment Charles Belmont qui était alors acteur s’est retrouvé sur ce projet ambitieux qui n’était pourtant que son premier-long-métrage ?

Charles avait débuté dans un contexte qui lui plaisait énormément, celui de la Nouvelle Vague. Il a tourné pour Claude Chabrol en 1961 dans Les Godelureaux et très vite comme il avait un registre de jeu assez particulier et était très beau gosse, il a été emporté par le cinéma commercial. Il a enchaîné Les Nouveaux Aristocrates de Francis Rigaud où il avait le rôle principal, deux épisodes de Nick Carter, La Bataille de Naples de Nanni Loy, Les Vierges de Jean-Pierre Mocky, Les Démons de Minuit de Marc Allégret ainsi que deux séries télévisées…

Avec Nino Manfredi dans La Bataille de Naples
Avec Nino Manfredi dans La Bataille de Naples

 

Mais assez vite, il a commencé à refuser presque tout ce qu’on lui proposait, ça ne l’intéressait plus du tout. Il avait fait un peu de théâtre mais pas suffisamment à son goût. Quand le producteur André Michelin a acquis les droits de L’Écume des jours de Boris Vian, il a demandé une première adaptation à Bertrand Blier avec qui il avait déjà travaillé sur Hitler, connais pas. Mais elle a été refusée par Ursula Kubler, sa deuxième épouse et veuve et qui était alors l’ayant-droit de Boris Vian. Michelin s’est alors adressé à Charles pour lui proposer de jouer le rôle de Colin.

 

CF : Il est donc entré dans le projet comme acteur ?

Charles lui a répondu qu’il n’avait plus envie de jouer mais que ça l’intéresserait de le réaliser. Comme il n’était pas certain d’être capable de faire un film, il a proposé à Michelin de produire lui-même un court-métrage, afin de conserver toute sa liberté. Michelin lui a assuré qu’il serait libre et Charles s’est alors lancé alors dans l’adaptation d’une nouvelle de Kafka, Le Fratricide qu’il tourne en 1966 avec Jean Babilée dans un des rôles principaux, celui d’un homme témoin d’un meurtre, qui n’intervient pas mais apporte ensuite son témoignage. Charles fréquentait le monde de la danse et il adorait ce grand danseur [ né en 1923 et décédé le 30 janvier 2014, il est un artiste élégant, léger et l’un des génies de son art, qui a notamment travaillé avec Leslie Caron ]. Le film, très particulier, est primé au Festival d’Art Contemporain de Royan en 1966.

Jean Babilée et Charles Belmont sur le tournage de ' Un Fratricide '
Jean Babilée et Charles Belmont sur le tournage de ‘ Un Fratricide ‘

 

Cela l’a rassuré sur ses capacités de metteur en scène et il s’est alors lancé dans l’adaptation de L’Écume des jours, avec la confiance de Michelin. Il a trouvé comme co-adaptateur quelqu’un d’extrêmement doué qui s’appelait Philippe Dumarçay qui avait déjà écrit La Fille aux yeux d’or de Jean-Gabriel Albicocco avec Marie Laforêt en 1961 [ et écrira plus tard Les Valseuses de Bertrand Blier et La nuit, tous les chats sont gris de Gérard Zingg ]. Philipe Dumarçay qui avait un esprit particulier, étrange, parfois méchant quand il travaillait avec Blier était ramené à quelque chose de fantaisiste, étonnant, peu convenu, dans l’esprit de Charles, qui n’était lui ni méchant ni caustique. Pierre Pelegri [ scénariste de Robert Enrico sur plusieurs films ] a cosigné le scénario, même si l’essentiel du travail vient de la collaboration de Charles avec Dumarçay qui signe aussi les dialogues. Après plus d’un an de travail et diverses versions, l’adaptation a été acceptée par la famille Vian.

 

CF : Quels furent ses choix d’adaptation ?

Après la première projection, Jacques Prévert a prononcé ces quelques mots : ‘ Charles Belmont a préservé le coeur du roman ‘. Charles a été touché de ces paroles. Prévert était un peu le pape en matière de Vian dont il était très proche. Ils partageaient même une terrasse ! Il n’avait pas lu l’adaptation mais était extrêmement heureux du film car Charles avait en effet respecté le coeur et l’esprit, certainement pas la lettre, du roman. C’est ce qu’il cherchait à faire. Ce qui lui plaisait au-dessus de tout chez Vian, c’est sa façon d’envisager la fantaisie, la nostalgie déjà d’une époque qui se referme chez ces jeunes qui deviennent adultes. Il s’est attaché en priorité à montrer leur gentillesse et défendait ce qui à ses yeux n’était pas un terme mièvre. Henry Chapier dans son excellente critique dans la revue Combat disait qu’il s’agissait une variation possible du roman, comme si Charles Belmont avait rêvé son Ecume des jours. Dans cette variation, il a cherché à rendre compte de la vérité de l’itinéraire de ces personnages très fidèlement, mais pas nécessairement de leur entourage et encore moins celle des objets. Pas de petite souris, d’anguilles, il ne voulait pas d’effets spéciaux et voulait retrouver la vérité de ces jeunes qui quittent en quelque sorte le monde de l’enfance protégée pour entrer dans l’âge adulte et découvrir à travers la maladie la nécessité du travail. C’est par ce biais qu’il est rentré dans cette histoire. Il ne reste qu’une seule scène que l’on retrouve telle quelle dans le roman, c’est celle où Alise et Chick sont déjà nostalgiques de leur rencontre qui n’a pas encore eu lieu. Chloe est déjà malade, et Chick n’a déjà plus d’argent pour assouvir sa passion pour Jean-Sol Partre. Ils sont dans la cuisine et Alise dit alors ‘ Chick a bien changé ‘ et Colin répond ‘ ce ne sont pas les gens qui changent, ce sont les choses ‘. Elle répond ‘ je ne sais pas ‘. C’est cette phrase que Gondry a tordu en ‘ ce sont les objets qui changent ‘, ce qui n’est pas la même… chose. Petit à petit, tout se modifie dans l’humeur générale, autour, les personnages restent peut-être eux-mêmes mais ils sont obligés de s’adapter à la réalité. C’est la seule scène qui est reproduite telle quelle, sinon il s’agit plus exactement de transpositions que d’une adaptation au sens classique du terme. Par exemple la patinoire où les gens meurent est devenue une partie de tennis avec grenades où les gens meurent. Il a sorti l’essence de cette dureté des gens qui meurent sur la patinoire et a trouvé plus violent de voir des gens mourir à coups de grenades pendant que tout le monde regarde et applaudit, avec Colin et Chick qui parlent d’eux-mêmes et de leurs préoccupations personnelles. Les exemples sont nombreux. Rien n’est comme dans le roman, en tout cas pas au sens littéral. La base c’est cette idée de trouver des équivalences qui seraient visuellement intéressantes. Il s’est amusé à glisser un clin d’oeil – visuel – à Un Automne a Pékin [ évident pour ceux qui se souviennent de cet autre ouvrage de Vian ].

 Ecume.Pace, partie de grenades

CF : Quelle était sa motivation pour effectuer ces changements ?

Il ne voulait pas d’une illustration filmée et a donc cherché des équivalents cinématographiques convaincants, toujours au service des personnages. Le rapport entre les personnages devait irriguer le contenu de chaque scène, même de façon discrète. Par exemple, dans la scène du pianocktail, Colin fait en effet une démonstration de son pianocktail qui n’est pas encore terminé, il en est encore aux prémices, on peut y voir un essai de jeune oisif, et il le montre à Chick. Mais en même temps il y a Alise qui plane là-dedans, on parle d’elle. Ce n’est pas une scène pour un truc, la narration continue de s’incarner dans les dialogues. C’est comme ça que je l’explique car moi je n’étais pas là au moment de l’adaptation. J’ai connu Charles lorsque j’ai rejoint l’équipe de montage et on s’est plû tout de suite. Pour la maladie de Chloe, il a évité la transposition littérale : il ne voulait pas que les murs rétrécissent, et refusait l’idée de trucages en studio qui pour lui n’avaient aucun intérêt. En revanche il a cherché à créer une équivalence en montrant l’appartement qui se vide et devient un endroit oppressant non pas avec des murs qui se rapprochent mais par le dénuement des pièces et son vide grandissant, car lorsque l’on t’enlève tes meubles, cela a quelque chose d’oppressant. Et c’est sans trucage !

Jacques Perrin au pianocktail
Jacques Perrin au pianocktail devant Sami Frey

 

CF : Ce qui ressort de son adaptation est cet équilibre délicat entre leur naïveté et la réalité sociale et politique qui transparaît. Peut-on y voir un regard sur le monde qui est comme une annonce de la révolte de mai 68 ?

Les personnages sont plus innocents que naïfs. Quand ils partent en voyage de noces dans leur magnifique voiture blanche, ils sont en plein bonheur. Mais on les voit traverser les bidonvilles de Nanterre. Chloe qui sort de la bulle de son orphelinat, n’a jamais rien vu de tel et demande à Colin : ‘ Qu’est-ce qu’ils font ? ‘ ‘ Ils travaillent, on leur a dit que c’était bien ‘. C’est un dialogue qui peut être insupportable, la remarque a quelque chose de provocateur mais c’était la marque de l’innocence de Colin. Lorsque Chloe tombe malade, lui aussi doit se mettre au travail. On a commencé une tournée en province avec des débats en avril 68. À ce moment, les gens qui ne se rendent pas compte qu’un film c’est long à faire ont réagi en faisant des parallèles avec ce qui se passait alors, cette idée de perdre sa vie à travailler notamment. Charles expliquait que le film avait été écrit deux ans plus tôt mais il avait en effet saisi l’humeur du moment. Le film est moins directement politique que d’autres qu’il a tournés plus tard mais c’est là de façon suggestive, avec ce passage devant les bidonvilles de Nanterre ou lorsque Chick parle à Colin de ses problèmes d’argent alors que l’on entend les soubresauts d’une – vraie – manifestation et que l’on la voit à peine. Lorsqu’on lui a dit qu’il était impossible de tourner la scène dans ce contexte, il a insisté pour l’inclure. C’est particulièrement suggestif cette idée qu’ils sont comme enfermés dans cette ruelle, qu’ils ne voient rien du monde, avec au loin cette manifestation dont ils ne s’occupent pas.

Anne Buron et Jacques Perrin
Anne Buron et Jacques Perrin

 

CF : Comment les acteurs ont été choisis ?

Dans chacun de ses films, celui-ci comme les suivants, quand il choisissait un couple, c’était toujours dans l’idée de trouver des correspondances entre chaque acteur. Là, il devait trouver six personnes qui se répondent et c’était d’autant plus difficile. Son choix dépendait autant de la qualité de leur jeu que de leurs correspondances physiques ainsi que de leur âge. [ Dans le journal Combat lors de la sortie du film, il évoquait dans un entretien à René Quinson qu’ ‘ il fallait qu’ils aient tous un regard clair ‘ ]. Il a eu du mal à trouver qui jouerait Chloe et a du voir une bonne centaine de personnes pour choisir qui serait Chloe. C’était le rôle le plus difficile à distribuer. Il a finalement trouvé Anne Buron, une jeune fille toute fragile qui n’avait jamais joué – elle était mannequin chez Dior – et n’a hélas pas rejoué depuis. Elle était toute rayonnante, toute pâle. Jacques Perrin avait la juste fragilité pour être Colin. Sami Frey et Charles étaient des amis intimes, toujours ensemble depuis le Cours Simon. Pour lui, Chick c’était Sami et il l’a encore plus tard choisi pour jouer dans Rak ( en 1972 ) où il évoquait un sujet très personnel. Marie-France Pisier ( Alize ) avait alors 23 ans et n’avait débuté que six ans auparavant [ dans le court-métrage Antoine et Colette, sketch du film L’Amour à 20 ans François Truffaut, face à Antoine Doinel – Jean-Pierre Léaud ]. Pour la première fois, ses cheveux sont court, une perruque couvre sa belle et longue chevelure, ce qui apporte un dynamisme et une énergie à son personnage. Alexandra Stewart qui avait déjà une longue expérience avec déjà plus de dix ans de carrière a été choisie pour être Isis. Enfin, Nicolas était décrit dans le livre comme un long personnage très élégant mais comme ces gens étaient jolis, minces, il a du estimer qu’il fallait restabiliser autrement et il a alors choisi Bernard Fresson.

 ecume des jours 05

 

CF : Pour donner un côté plus terrien à cette distribution ?

C’est mon impression. Il était plus âgé, il est plus ancré dans le quotidien. Le souci était vraiment de respecter les personnages et leur histoire et cette idée que ces six personnes forment un groupe, une entité en elle-même. Se contenter d’empiler des acteurs, ça ne fait pas un groupe. Charles Belmont avait l’âge de ces personnages, cela apporte quelque chose. Il a filmé des personnages de chair et de sang, qui assument leurs désirs et leur sensualité. Même Chick, emporté par sa passion pour Partre, reste un jeune homme qui plait aux femmes.

 

CF : L’une des grandes qualités du film repose sur sa dimension sonore et musicale très travaillée, comment cet aspect a été conçu ?

La bande-son était extrêmement particulière pour l’époque. Elle est comme une partition qui court tout au long du film. Quand le groupe sorti de l’orphelinat arrive en chantant sur la très jolie musique d’André Hodeir, avec les Petits Chanteurs de la Maitrise de l’ORTF, cela donne l’impression d’une comédie musicale qui ne dirait pas son nom. André Hodeir était un brillant compositeur de jazz mais pas un instrumentiste. Il était une sommité dans ce monde en tant que rédacteur en chef de Jazz-Hot et il a écrit de très très belles choses et pour lequel il a eu des prix d’ailleurs, comme Anna Livia Plurabelle, d’après le texte de James Joyce Finnegan’s Wake. C’était quelqu’un d’extrêmement exigeant et peu enclin au compromis, ce qui a pu être un frein à la carrière qu’il aurait du faire, même s’il avait une grande réputation en tant qu’essayiste et compositeur. La musique a été écrite directement pour le film.

ANDRE HODEIR

Ensuite Pierre Henry [ déjà reconnu à l’époque, il venait de signer Messe pour le temps présent pour Maurice Béjart ] a retravaillé certains éléments avec quelques interventions sonores électroniques, sur le pianocktail ou à la porte de chez Colin lorsque Nicolas et lui palpent la dinde et caressent la jambe d’Isis dans un même mouvemement. En résumé, le travail de Pierre Henry était d’ajouter des effets électroniques sur la musique précédemment créée par Hodeir qui était un puriste : il ne faisait pas du tout d’électronique et il avait du mal à souffrir Pierre Henry… même s’il a accepté que sa musique soit un peu retravaillée par des ‘ pierrehenrysmes ‘ comme il disait. Il y avait cette musicalité générale et aussi une façon de faire intervenir… C’est Jean Baronnet, un très bon ingénieur du son, qui a travaillé sur le film, l’un des derniers à ce poste d’ailleurs. Ce métier étant très mal considéré, il a préféré se consacrer à une carrière de réalisateur ensuite. Si on écoute avec attention la bande sonore, elle a son écriture propre et elle ne correspond à rien de ce qui se faisait à l’époque. Elle a sa structure et son écriture. Il existe un 45t avec 6 titres mais n’a pas été réédité en CD.

 

CF : Visuellement, le film fait preuve d’une grande inventivité également..

Le film est le premier, cela peut paraître étonnant, à utiliser des structures gonflables au cinéma avec ce lit où Chloe agonise ou les scènes dans le champ de fusils. Le travail du chef décorateur Agostino Pace était primordiale. Charles et lui étaient devenus amis lorsqu’il avait joué dans une pièce d’Antoine Bourseiller dont Pace était le décorateur. C’est de lui qu’est venue cette idée d’employer ces structures et il les a élaborée avec le groupe Utopie, les pionniers en France pour ce type de structures. Pour une exposition à New-York sur les années 60 qui rendait hommage à l’inventivité des architectes d’alors, Charles a d’ailleurs été contacté. Aujourd’hui, c’est courant, mais cela ne se faisait pas à l’époque. Charles Belmont avait une vision claire des décors qu’il voulait voir à l’écran. Il tenait à certaines couleurs comme du vert appuyé dans certains extérieurs. La couleur dominante des intérieurs était l’ocre car pour lui c’était comme une évidence. Ursula lui a dit par la suite que c’était la couleur préférée de Boris Vian.

 

CF : À quoi attribuez-vous l’échec du film en salles ?

Les salles de cinéma ont fermé, tout simplement ! Le film n’a pas souffert d’un rejet, c’était un moment où il n’y avait plus de projections ! La tournée prévue pour la sortie s’est arrêtée à Marseille et on n’a même pas pu rentrer en train, il n’y en avait plus. L’Ecume des Jours après n’a pas pu avoir la carrière qu’il aurait du avoir. Nous nous sommes jetés dans mai 68 et on est passé à autre chose.

 

CF : Comment le film fut-il accueilli par la critique ?

Jean-Louis Bory a fait de très très bonnes critiques pour les films suivants de Charles mais sur celui-là, sa critique est très négative. Il l’a publiée avant la sortie du film où il exprimait sa déception que le film ne soit pas une réelle adaptation et que ce soit si proche du contenu du livre. [ Il écrit notamment : ‘ Le film se languit par excès de fidélité… ] . Il lui reproche de se contenter de retranscrire les mots de Vian, alors que les dialogues ne sont pas retranscrits au mot près, loin de là. À la lecture de ce texte, le producteur a invité Bory à déjeuner avec Charles et ils ont discuté de l’adaptation. Bory était confus de sa méprise et a reconnu ne pas avoir relu l’oeuvre de Vian depuis la sortie en 1947. Il a vraiment cru que c’était simplement littéralement le livre mais il s’est alors rendu compte de sa méprise et l’a regrettée. Voir en lien les quelques extraits de la presse lors de la sortie. Les héritiers ont eux adoré le film, Ursula Kubler joue d’ailleurs la religieuse de l’orphelinat d’où sort Chloe. Michelle Vian, la première femme de Boris Vian, interrogée en juin 2012 par Le Monde disait avoir revu le film récemment et l’avait trouvé très joli, avec une distribution éclatante et en précisant que Charles Belmont avait compris quelque chose du roman. Et une nouvelle fois, le film a été adoubé par Prévert, au point qu’il a envisagé de tourner une comédie musicale avec Charles comme coréalisateur, hélas cela ne s’est pas fait.

 

CF : Le film est tombé ensuite dans une sorte d’oubli, vous l’expliquez comment ?

S’il a connu une forme d’oubli, cela vient aussi du fait que Charles ne se retournait pas sur son passé. Une fois le film tourné, il passait à un nouveau projet. Il a ainsi travaillé sur une comédie musicale qui s’appelait Crescendo et qui était très avancée. Cela se passait dans des conserveries de poissons avec des mouvements d’ouvrières sur des ballets imaginés par le célèbre chorégraphe américain Lorca Massine. Charles voulait une chorégraphie adaptée à des gens ne savent pas ou peu danser mais peuvent esquisser des gestes qui ne demandent pas une grande technicité, comme cela se fait plus souvent de nos jours. Charles avait commandé une musique à l’Art Ensemble de Chicago, un quartet de free jazz qui venait de débarquer en France et était alors encore peu connu. Le processus de création s’est fait dans des échanges entre le chorégraphe et les musiciens qui faisaient évoluer leurs créations respectives. Tout cela a représenté un an et demi de travail. Jacques Higelin devait jouer le personnage principal. La musique était enregistrée, les contrats signés. Tout le monde est parti tourner en Yougoslavie, et André Michelin qui en était à nouveau le producteur, a du affronter l’hostilité des banques. Elles lui ont coupé le robinet en disant que c’est un film gauchiste, anti-patrons – et ça l’était clairement – sauf que c’était sur une forme chorégraphiée, transcendée et pas seulement militante.

 

Ensuite, il a tourné Rak, où il évoquait sa mère malade, Histoires d’A qui traitait le sujet de l’avortement puis Pour Clémence et c’est vrai qu’il avait un peu oublié L’Écume des jours, c’était loin derrière lui. À nouveau, ce n’est pas très différent de ce qu’il a fait pour ses autres films : il les a portés, les a tournés, il ne les abandonne pas, mais il passe à autre chose.

 

Lorsque le film a été montré à nouveau en 1994 au cinéma l’Entrepôt dans le cadre d’un festival autour des films alors tournés par Charles, il y eut alors quelques nouvelles critiques dont une publiée dans La Croix écrite par Maureen Loiret. Une copie nouvelle a été tirée par UGC et distribuée par Connaissance du Cinéma / Tamasa pour une tournée en France de quelques mois. Lors de la première sortie, certains étaient très pour et d’autres très contre. Lucien Logette de Jeune Cinéma a alors écrit un texte pour dire que la critique était passée à côté du film mais que les choix de Charles Belmont pour l’adaptation étaient les bons.

 

Mon travail maintenant c’est de faire ce travail qui n’a pas été fait pendant longtemps, et notamment de savoir qui détient les droits de tous ses films, ce qui n’est pas toujours évident. Dans le cas spécifique de L’Écume des jours, André Michelin, qui avait aussi produit Alphavillede Jean-Luc Godard, a déposé le bilan peu après et son catalogue est depuis tombé dans le giron de Studiocanal qui détient les droits du film de Charles. J’espère aussi pouvoir le faire découvrir sur grand écran, d’abord en beta numerique, la seule façon de le voir dans des conditions correctes, mais pas dans le meilleur format possible, en attendant une restauration de la copie 35mm dont les couleurs sont virées. Cela dépend maintenant de la volonté de Studio Canal et du CNC qui devraient pouvoir trouver des fonds pour le restaurer, il s’agit d’un film qui appartient désormais au patrimoine.

 

Un jour, une projection dans une version restaurée dans la salle du Théâtre Lumière ou du 60ème anniversaire dans le cadre de Cannes Classics ? On ne peut que l’espérer, mais cela se fera certainement au prix d’un combat de longue haleine. (Re)découvrir ce qui est la meilleure adaptation du roman de Boris Vian est indispensable. ‘ Il ne faut pas que la forme dévore les entrailles de l’histoire ‘ disait Charles Belmont. Pari réussi avec ce beau portrait d’une jeunesse complexe et passionnée, un instantané précieux de l’année 1968 et un long-métrage poétique, gracieux et grave comme les 20 ans de Colin, Chloe, Chick et les autres…

1 COMMENTAIRE

  1. qui, en de hors de Studio Canal qui demeure « mystérieusement » muet sur l’Ecume de Belmont, aurait enregistré sur FxCanal récemment la rediffusion du film de 1968 pour qu’enfin un des co-auteurs du Pléiade sur les romans et nouvelles de Boris Vian, agé de 45 ans, puisse enfin le voir?

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