Critique : Le Territoire des loups

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Le Territoire des Loups photo du film avec Liam Neeson

Le Territoire des Loups

Américain : 2012
Titre original : The Grey
Réalisateur : Joe Carnahan
Scénario : Joe Carnahan , Ian Mackenzie Jeffers
Acteurs : Liam Neeson, Dermot Mulroney, James Badge Dale
Distribution : Metropolitan FilmExport
Durée : 1h57
Genre : Aventure, Action, Drame
Date de sortie : 29 février 2012

Note : 4/5

Joe Carnahan n’est pas le réalisateur le plus productif d’une certaine vague hollywoodienne, mais un des plus surprenants. Arrivé sur la scène internationale avec le polar Narc, il avait su démontrer une qualité de mise en scène imparable, rappelant que certains avaient grandi avec le cinéma des années 70 dont Narc pouvait être le pendant moderne, sur le plan esthétique en tout cas. Le réalisateur avait ensuite surpris son monde en changeant totalement de ton pour réaliser le polar survolté, délirant et survitanimé Mise à prix. A défaut de séduire de la même manière, le contre-pied de mise en scène pouvait laisser sur le carreau ou apporter une bonne dose d’adrénaline et monter un savoir faire, ne copiant personne et inscrivant une autre corde à son arc. Perturbant dans un sens mais pourquoi pas. S’ensuit l’adaptation de L’agence tous risques, du même acabit visuel, voire pire puisque totalement décomplexé, à la limite du ridicule. On préfèrera y voir un péché gourmand outrancier, qui plus est lui permettant, avec accord du studio, de réaliser The Grey (Le territoire des loups). Dès lors on comprend mieux le choix du réalisateur, ceci lui ayant permis de réaliser un survival racé, maîtrisé et métaphysique. Carnahan est de retour et revient aux sources.

Synopsis : Comme beaucoup de ceux qui choisissent de vivre au fin fond de l’Alaska, John Ottway a quelque chose à fuir. De sa vie d’avant, il garde le souvenir d’une femme, une photo qu’il tient toujours contre lui, et beaucoup de regrets. Désormais, il travaille pour une compagnie pétrolière et protège les employés des forages contre les attaques des animaux sauvages. Lorsque le vol vers Anchorage qu’il prend avec ses collègues s’écrase dans l’immensité du Grand Nord, les rares survivants savent qu’ils n’ont que peu de chances de s’en sortir. Personne ne les trouvera et les loups les ont déjà repérés. Ottway est convaincu que le salut est dans le mouvement et que la forêt offrira un meilleur abri. Mais tous ses compagnons d’infortune ne sont pas de son avis et aux dangers que la nature impose, s’ajoutent les tensions et les erreurs des hommes. Eliminés par leurs blessures, le froid, les prédateurs ou leurs propres limites, les survivants vont mourir un à un. Ottway va tout faire pour survivre avec les derniers, mais quelle raison aurait-il de s’en sortir ?

Le Territoire des Loups photo du film avec Liam Neeson

Espaces  et oppressions.

On attendait depuis presque 10 ans le retour de Carnahan à l’essence première du cinéma qu’il l’avait fait découvrir. En adaptant une nouvelle de Ian Mackenzie Jeffers, également au scénario, le réalisateur situe son film une fois de plus dans un univers masculin, viril mais non dénué de psychologie. Après un crash aérien en forme de leçon de mise en scène, Carnahan démontre qu’avec de simples idées de cadres, de montage image et sonore on arrive à une réussite visuelle sans équivalent, le destin de ces hommes est lancé. Fuyant tout pathos ou clichés de films catastrophes, ce survival mise au maximum sur des effets réalistes.

Ancrés dans le Grand Nord, les décors naturalistes offrent rapidement, dans un paradoxe prononcé, une sensation d’étouffement et d’oppression. Nul lieu filmé de la sorte ne peut permettre autant de possibilités d’avancées et pourtant rendre prisonniers les protagonistes de l’histoire. La mise en scène de Carnahan se veut aiguisée, tranchante, tout en laissant une place forte aux dialogues (autre atout du film). L’efficacité de chaque plan contribue alors à la continuité sans temps mort du récit.

On retrouve le Carnahan de Narc, n’oubliant à aucun moment ses personnages, leur psychologie mis en valeur par certaines séquences, qui en dit plus en 5 secondes de mise en scène que 5 lignes de dialogues mal venus. Par une poésie visuelle (de certains plans) et dialoguée, certains trouveront une lourdeur et une facilité à la limite du cliché. Cela serait cependant passer à côté de la proposition du réalisateur nous invitant à sonder l’âme humaine et son affecte. Là est peut-être le point faible du film quand il appuie à nouveau formellement sur ça, lors d’une séquence qu’il aurait pu éviter. Les moins indulgents y verront au contraire un moment fort du film.

Avec un budget réduit (si, si, 25 millions de dollars est un budget réduit de nos jours, sic.), The Grey ne peut pas miser sur une débauche d’effets spéciaux, d’autant plus quand on doit représenter des loups. La mise en scène est alors savoureuse d’économie sur ce plan. Les loups, rarement en animatronic dans le film sont ici montrés que par utilité et d’une parfaite crédibilité. Le côté mastodonte de certains, ne renforce que la métaphore de ce que chacun des personnages affronte intérieurement (le noir obscur répond au noir profond).

En face, Liam Neeson, majestueux et tout en introspection donne le change dans cette lutte acharnée pour survivre.

Le Territoire des Loups photo du film avec Liam Neeson

Lutte de regards

John Ottway, Liam Neeson, magnétique, physique, qu’on n’avait pas vu, non pas aussi bien jouer, mais incarner un personnage depuis longtemps. Comme si la lecture du scripte forçait ce choix ; presque une évidence. Tout en retenue, pesant chaque intonation de dialogues, sans surjouer Neeson s’imprègne totalement de son personnage et donne la note parfaite que le rôle demande. Entre psychologie, émotion et charisme mesuré. Acteur et jeu parfaits, afin de faire face à cette meute où les regards sauvages et humains sont l’arme principale de chacune des confrontations. A ce titre l’épilogue et les minutes qui précèdent amènent le film dans ses retranchements les plus triviaux pour clore majestueusement un survival intelligent et brillant.

Carnahan ne cherche pas à vendre de l’émotion mais à donner les codes pour en procurer et implique le spectateur dans un voyage au cœur de l’âme humaine, poétique et métaphorique ; à ce titre, le poème du film « Once more into the fray. Into the last good fight I’ll ever know. Live and die on this day. Live and die on this day » nous rappelle naturellement Ernest Hemingway. Le réalisateur souligne tout au long du film le combat perpétuel entre l’homme et la nature (la meute, le climat, les espaces…) qui prend sens dès lors que l’homme lutte avec l’homme (ce qui arrive aux rescapés) ; mais aussi une lutte interne et infinie du chemin que chacun doit, peut-être parcourir, pour vivre et combattre ses propres démons. On repense alors au clin d’œil du réalisateur au cinéma des années 70 avec Narc dont The Grey serait une référence de plus, le regard tourné vers William Friedkin. On se dit qu’avec son avant-dernière réalisation Carnahan devait vivre une frustration immense, tant The Grey s’avère talentueux et viscéral.

Résumé

Par une mise en scène glaciale (sens propre et figuré) et nerveuse, Joe Carnahan revient avec talent au cinéma qui l’avait fait découvrir, celui des années 70. C’est donc sans oublier le fond et en laissant peu de place à l’action que le réalisateur provoque un électrochoc de sens. The Grey ou l’éternel choc de l’homme face à la nature, face à lui-même.

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