Entrevues Belfort 2017 : Le Monde sur le fil

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Le Monde sur le fil

Allemagne, 1973
Titre original : Welt am Draht
Réalisateur : Rainer Werner Fassbinder
Scénario : Fritz Müller-Scherz et Rainer Werner Fassbinder, d’après un roman de Daniel F. Galouye
Acteurs : Klaus Löwitsch, Barbara Valentin, Mascha Rabben, Karl Heinz Vosgerau
Distribution : Carlotta
Durée : 3h33
Genre : Science-fiction
Date de sortie : 6 octobre 2010 (Reprise)

Note : 3,5/5

Rainer Werner Fassbinder, l’homme de tous les extrêmes ! Si les nombreux films réalisés par l’enfant terrible du cinéma allemand sont assez bien connus en France, son travail pour la télévision est resté plutôt confidentiel. En attendant la sortie au printemps prochain de la série fleuve de près de huit heures au titre hautement approprié Huit heures ne font pas un jour, nous avons sauté sur l’occasion offerte par le festival Entrevues Belfort de rattraper une autre épopée issue de la même période, c’est-à-dire le début des années 1970. Le Monde sur le fil n’est pas uniquement la seule œuvre futuriste de Fassbinder, sinon un chroniqueur hors pair de la République Fédérale d’Allemagne, il s’agit surtout d’un film de science-fiction incroyablement visionnaire et en avance sur son temps. Les près de trois heures et demi de sa durée tout de même conséquente se sont donc écoulées dans un état de transe des plus fascinants, grâce à une intrigue qui, tout en faisant figure de précurseur, reste fidèle au regard décalé du réalisateur amèrement regretté, même trente-cinq ans après sa disparition prématurée. Sa troupe habituelle de comédiens y campe des personnages comme toujours hauts en couleur, quoique eux aussi soumis à un régime éthéré nullement réconfortant. Car malgré tout le soin apporté à la forme de ce téléfilm de luxe, il en résulte une sensation particulièrement déroutante, due à la perte de la plupart des repères existentiels.

Synopsis : A l’institut de recherche en cybernétique et futurologie, le professeur Henri Vollmer craint que son projet Simulacron, un monde de réalité virtuelle peuplé de milliers d’unités identitaires, soit sur le point d’être détourné de sa vocation scientifique par les projets commerciaux du directeur Herbert Siskins. Quand Vollmer meurt subitement, après avoir affiché un comportement de moins en moins raisonnable, son assistant Fred Stiller est censé prendre la relève. Celui-ci rassure ses supérieurs qu’il sera plus conciliant que son prédécesseur. Une promesse qu’il ne pourra pas tenir longtemps, à cause d’événements étranges qui lui font également mettre en question les véritables intentions de Siskins.

Whisky à gogo

Le Monde sur le fil a beau se réclamer ouvertement d’un univers de science-fiction, situé vaguement à quelques années de son époque de production, la narration veille attentivement à ce que les détails futuristes n’y prennent pas une position dominante. La fonctionnalité froide, souvent à l’œuvre dans des films du même genre et déclinée par le biais de l’architecture ou de l’esthétique, est certes présente ici. Mais elle est régulièrement contre-carrée par un patchwork d’influences, qui va du cabaret inspiré par le mythe Lili Marleen à la sensualité de corps masculins musclés que l’on trouve autant chez les vieux Grecs que dans l’imagerie gaie. En somme, Fassbinder privilégie une vision singulière de l’avenir de l’humanité, à mi-chemin entre la crasse d’histoires d’anticipation nihilistes et l’aura d’une déshumanisation impeccable. Le soupçon le plus tenace de cette dernière se manifeste du côté des personnages féminins, presque sans exception vêtus et maquillés en tant que caricatures du fantasme ambulant des hommes, qui ne serait ni tout à fait une épouse idéale, ni un objet sexuel complètement dépourvu d’âme. En face, le protagoniste Fred Stiller est un drôle d’archétype du dur à cuire, autant à l’aise dans la salle des ordinateurs que dans des établissements plus conviviaux, où il commande toujours la même boisson alcoolisée. Or, l’interprétation de Klaus Löwitsch lui confère une fragilité des plus appréciables, trop érotiquement chargé pour être l’héritier direct des héros incompris dont Humphrey Bogart avait fait son fond de commerce, mais néanmoins fermement inscrit dans la lignée de ces figures tragiques, investis en faveur de la juste cause.

Inception germanique dans la matrice

Quel est le but de ce dédale de fausses pistes et autres accumulations de complots progressivement plus farfelus ? Le mystère susceptible de répondre à cette interrogation reste plutôt intact au cours d’un récit, qui sait préserver tous les signes d’une mise en scène souveraine. Rétrospectivement, on peut sans aucun doute y déceler à l’état embryonnaire, voire à un stade d’ores et déjà pleinement développé, les prémisses ayant révolutionné le genre un quart de siècle plus tard dans Matrix des Wachowski, puis dans Inception de Christopher Nolan. Il n’empêche que Rainer Werner Fassbinder sait agencer une logique implacable au sein de cette histoire aux multiples mouvements cycliques – la plupart des personnages y apparaissent au moins deux fois, en dehors de tout impératif de découpage épisodique –, qui approfondissent le propos au lieu de l’embrouiller. La maestria du réalisateur est en effet la plus éclatante, lorsqu’il réussit à tisser une toile épaisse d’interactions entre les divers niveaux de lecture et de réalités, sans pour autant nous perdre dans ce labyrinthe intellectuel et affectif. Car c’est aussi grâce à la participation plus ou moins anecdotique, quoique savoureuse sans faute, d’une ribambelle d’habitués du microcosme de Fassbinder, de Ulli Lommel et Kurt Raab, jusqu’à Margit Carstensen et Ingrid Caven, en passant par les inimitables Ivan Desny, Gottfried John et Eddie Constantine, que Le Monde sur le fil adopte les traits filmiques associés à l’œuvre imposante et en même temps intimement cohérente du réalisateur.

Conclusion

C’était un début de séjour festivalier certainement prometteur que cette épopée futuriste, présentée à Entrevues Belfort dans le cadre de la sélection « Un certain genre : réalités virtuelles ». Nous considérons ainsi Le Monde sur le fil comme le prétexte rêvé pour plonger longuement dans l’univers de Rainer Werner Fassbinder, sans y passer des journées entières non plus, comme ce serait le cas pour sa série précédente citée plus haut ou bien Berlin Alexanderplatz.

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