Critique : Jeune femme

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Jeune femme

France, 2017
Titre original : –
Réalisateur : Léonor Serraille
Scénario : Léonor Serraille
Acteurs : Laetitia Dosch, Grégoire Monsaingeon, Souleymane Seye Ndiaye
Distribution : Shellac
Durée : 1h38
Genre : Drame
Date de sortie : 1er novembre 2017

Note : 3/5

Lauréat de la Caméra d’or attribué au Meilleur Premier Film au dernier Festival de Cannes, Jeune femme est en effet le signe prometteur d’une personnalité forte de cinéma en la personne de la réalisatrice Léonor Serraille. Il s’agit surtout d’un portrait de femme à fleur de peau, chaotique voire parfois hystérique, précaire et en même temps touchant dans son attachement indéfectible au personnage principal : une paumée de la vie, qui résiste vaillamment à la conformité, jusqu’à nous subjuguer presque complètement. Grâce à l’interprétation bouillonnante et sans fausse pudeur de Laetitia Dosch, cette femme-enfant nous guide avec une désinvolture fascinante à travers ses nombreuses galères, improvisant sans cesse et pourtant ne manquant pas une occasion – aussi improbable soit-elle – de reprendre pied dans une existence éclatée en mille morceaux. Foncièrement doux-amer, le récit ne se fait jamais d’illusions sur la trajectoire imprévisible de cette femme avant tout en quête d’elle-même, quitte à contourner avec adresse une progression linéaire qui la verrait tôt ou tard réunie avec l’homme de sa vie, après avoir été si lâchement jetée par lui.

Synopsis : Paula est de retour à Paris, après un long séjour au Mexique où elle avait suivi au début de sa vie d’adulte le photographe Joachim. Or, l’artiste a trouvé une autre muse et Paula ne peut être que révoltée par leur séparation. Elle se casse la tête contre sa porte d’appartement, vole son chat et lui laisse des messages en plein milieu de la nuit, faisant semblant d’avoir retrouvé la joie de vivre. Sauf qu’elle ne sait pas où aller et quoi faire, elle qui avait dépendu en toute circonstance de son amant. Face à l’impossibilité de renouer avec sa mère, elle s’improvise en baby-sitter et vendeuse à temps partiel de lingerie féminine.

La solitude de la crieuse à fond

Ça commence très fort : avec un coup de tête en guise d’acte du désespoir qui a forcément quelque chose de suicidaire, suivi par un monologue enragé dans les locaux glauques d’un hôpital, qui nous laisse sérieusement douter de la santé mentale du personnage principal. Cette entrée en la matière fracassante donne le ton pour la suite, à savoir une promenade sauvagement acrobatique sur le fil ténu entre une vie rangée d’un côté et l’exclusion impitoyable de la vie sociale de l’autre. Ce qui ne veut pas dire que Jeune femme cultiverait quelque ambition de commentaire platement militant que ce soit. La visée de Léonor Serraille s’avère beaucoup plus subtile, logée dans l’intimité d’une femme déboussolée et néanmoins sensible à l’air du temps, symbolisé par ces décors parisiens dont la nature poétique est régulièrement contredite par des propos très durs. Pour une fois, la capitale française n’est ainsi pas la ville des amoureux, où les personnages ne peuvent pas faire autrement que de s’épanouir dans leurs sentiments. L’univers urbain y est au contraire un facteur d’isolement, à l’image de ce que Amos Kollek faisait au tournant du siècle avec son actrice fétiche Anna Thomson dans les rues de New York, une influence dont la réalisatrice se réclame ouvertement. Contrairement à Sue, Fiona et toutes les autres épaves d’un microcosme passablement dépravé et voué à la tragédie aux couleurs sombres côté américain, Paula sait garder un minimum d’optimisme ou elle a en tout cas le don de s’accrocher contre vents et marées au peu qu’elle a pu sauver de son existence d’avant.

La folie du bon sens

Une chose est sûre, elle ne manque pas de projets, aussi farfelus et nombrilistes soient-ils. Comme elle n’a jamais vraiment appris à bien faire les choses, ni à les mener à bien, elle se faufile dans l’approximation et le mensonge, espérant avec une naïveté presque comique que sa bonne volonté fera la différence pour la sauver le moment venu. Évidemment, pareille philosophie bancale ne peut mener qu’au désastre, alors que le défaut majeur de la personnalité de Paula devient pénalisant longtemps avant qu’elle ne doive faire face à ses responsabilités. Car elle est incapable d’établir un contact sincère avec les autres, d’être simplement elle-même au lieu de s’engoncer péniblement dans l’image qu’elle pense que ses interlocuteurs voudraient avoir d’elle. Il existe toutefois deux exceptions notables à cette triste règle de l’incommunicabilité : chaque fois qu’elle a affaire à un membre du corps médical, elle baisse sa garde de façon inopinée. Cela peut donner des moments magistralement libérateurs, soit pour sombrer dans la folie lors de la séquence précitée, soit en ayant pour une fois une véritable discussion à cœur ouvert, de femme à femme, avec la gynécologue. Aux antipodes de ces sursauts d’une vérité affective crue, quoique constructive, se situent les rencontres avec sa mère, elles aussi au nombre de deux. Nathalie Richard y fait une apparition à peine plus longue que dans le dernier Michael Haneke, mais son impact est incommensurablement plus important, à travers ce rôle aussi bref que poignant de la mère. Celle-ci est peut-être le seul personnage raisonnable de toute l’intrigue, mais il faut justement un petit grain de folie pour se montrer à la hauteur du tempérament volcanique de Paula. Une femme certes temporairement ostracisée et pas des plus commodes, quoique observée avec une telle délicatesse par la réalisatrice qu’on ne peut que tomber sous son charme rugueux.

Conclusion

Jeune femme est cette bête filmique rare, qui ne parade point ses intentions sociales avec ostentation, mais qui réussit haut la main à nous faire adhérer au combat acharné d’un personnage peu fréquentable. Grâce au tour de force de Laetitia Dosch, le film préserve une énergie vitale qui lui permet sans peine de traverser les hauts et les bas d’un quotidien en marge de la société parisienne. Et Léonor Serraille y fait preuve d’une assurance d’ores et déjà impressionnante dans le maniement d’une narration également à cran. C’est, en somme, une Caméra d’or amplement méritée !

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