Berlinale 2019 : Der Boden unter den Füssen

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Der Boden unter den Füssen

Autriche, 2019

Titre original : Der Boden unter den Füssen

Réalisatrice : Marie Kreutzer

Scénario : Marie Kreutzer

Actrices : Valerie Pachner, Pia Hierzegger, Mavie Hörbiger, Michelle Barthel

Distribution : –

Durée : 1h48

Genre : Drame psychologique

Date de sortie : –

3/5

Les pathologies psychiques ou physiques traitées à l’hôpital constituent le fil rouge peu reluisant des premiers films présentés en compétition au Festival de Berlin cette année. Qu’est-ce qu’on y souffre, en effet, dans ces histoires pessimistes, voire glauques, qui vont finir par nous peser sur le moral si la tendance ne s’inverse pas rapidement ! Pour l’instant, on n’y sombre pas encore, dans les délires d’appels téléphoniques fantômes et les reproches seulement entendus en son for intérieur par le personnage principal de Der Boden unter den Füssen. La perte des repères se déroule progressivement dans ce film autrichien, dans lequel l’ambition et le perfectionnisme quasiment machinaux du monde du travail seront mis en concurrence avec des failles de la vie intime et familiale, trop béantes pour rester cachées longtemps. La réalisatrice Marie Kreutzer y dresse plutôt sobrement le portrait d’une femme de carrière, une bosseuse invétérée, pour qui le travail fourni devra porter ses fruits, quitte à se trouver emmêlée dans une relation romantique compliquée avec sa supérieure hiérarchique. Les rapports humains ne sont pas le point fort de cette sœur cadette, appelée régulièrement au chevet de son aînée dépressive, sans qu’elle ne sache comment gérer cette crise qui tombe mal dans son plan de carrière en pleine évolution. Or, la narration alterne assez adroitement entre ces diverses préoccupations personnelles, faisant jusqu’au début du générique de fin l’impasse sur une emphase excessive dans la forme ou le fond.

© Juhani Zebra / Novotnyfilm Tous droits réservés

Synopsis : Lola partage son temps entre son domicile à Vienne et son travail de conseillère en gestion d’entreprise, actuellement à Rostock au nord de l’Allemagne, où son équipe doit être mandatée pour une vaste restructuration. Alors qu’elle s’apprête à prendre l’avion, elle est prévenue que sa sœur Conny a fait une tentative de suicide et qu’elle devra être admise pour quelques semaines dans un hôpital psychiatrique. Bien qu’elle ne veuille que le meilleur pour le dernier membre de la famille qu’il lui reste, Lola se dérobe en quelque sorte à ses responsabilités en s’investissant corps et âme dans l’obtention du contrat. Un choix de priorités que Conny ne tardera pas à lui reprocher lors de ses coups de fil réprobateurs, qui bordent à l’harcèlement.

© Juhani Zebra / Novotnyfilm Tous droits réservés

120 comprimés de malheur

Comme si on n’en avait pas déjà vu assez ces derniers jours, nous voici encore confrontés à un personnage au bord de la crise de nerfs, qui sombre dans une agressivité aveugle dès qu’il voit qu’il n’obtient pas ce qu’il veut. Contrairement à la gamine au tempérament explosif dans Systemsprenger de Nora Fingscheidt dont la présentation en compétition à la Berlinale a eu lieu la veille de celle de Der Boden unter den Füssen, l’incarnation de l’hystérie irrationnelle se focalise ici sur le personnage secondaire de la sœur, incarnée avec un goût prononcé pour la morosité par Pia Hierzegger. A première vue, son cri de détresse suicidaire sert de révélateur de tout ce qui ne va pas dans la vie de sa sœur, devenue malgré elle son tuteur légal. Mais l’impact de son propre malaise existentiel sur celui de Lola devient de plus en plus évident, au fur et à mesure que la santé mentale de cette bête de somme brillante se désagrège. A ce sujet, le diagnostic établi par le scénario ne relève certes pas d’une psychologie pointue. Il demeure néanmoins cohérent dans le sens que le personnage principal s’emploie avant tout à maintenir les apparences, une tâche pour laquelle elle exerce le métier idéal de liquidateur sans âme, ni compassion, de dizaines d’emplois devenus redondants. Elle est donc l’équivalent germanique et féminin du personnage aussi antipathique qu’elle, interprété par George Clooney dans In the air de Jason Reitman. Au détail près que, dix ans plus tard, l’empressement de bien faire son travail pour au fond anéantir celui des autres éclipse encore plus dans ce film-ci une quelconque prise de conscience salutaire.

© Juhani Zebra / Novotnyfilm Tous droits réservés

Syndrome lépreux de burn-out

La succession de revers qui aurait dû remettre Lola sur le bon chemin – dans le cas idéal sincèrement à l’écoute de sa sœur souffrante et plus si accro au travail – ne fait finalement qu’accentuer la course effrénée vers sa propre perte. Le point de vue relativement subjectif adopté par la mise en scène a ainsi beau atténuer le recul nécessaire pour que nous nous rendions plus clairement compte de l’entêtement maladif de Lola, les signes ne trompent pas quant au déraillement irrémédiable d’un quotidien pointilleusement chronométré. Le climat de plus en plus envenimé au travail, d’autant plus traître que sa patronne continue de la fréquenter pour des ébats sexuels dans des chambres d’hôtels anonymes et qu’elle ne lésine pas sur les compliments pour mettre en valeur ses compétences, y participe au même degré qu’une perte de maîtrise d’abord subtile, puis plus flagrante de son emploi du temps surchargé. La voie de garage semble alors tout tracée pour cette femme, que Valerie Pachner incarne avec une force du désespoir pas sans attrait. Son double jeu, proche d’une fourberie misérable, l’oblige à rester en permanence sur ses gardes pour ne pas trop dévoiler ses secrets intimes. Une tactique payante seulement en apparence, ses rares moments de confidences lui coûtant en fin de compte plus chers que son adhésion forcenée à l’image d’une femme d’affaires, dépourvue de quelque angle d’attaque que ce soit, susceptible de nuire à sa réputation. Or, elle finit bien sûr par se perdre dans le dédale de ses hantises réelles et imaginées, plus que jamais la triste prisonnière de sa solitude d’orpheline sans attaches.

© Juhani Zebra / Novotnyfilm Tous droits réservés

Conclusion

D’une facture correcte, quoique guère exceptionnelle, Der Boden unter den Füssen conte de façon appliquée le lent déclin social d’une femme pourtant prête à tout sacrifier sur l’autel trompeur de la réussite professionnelle. Car c’est principalement de ce côté-là, dans la description d’un environnement de travail impitoyable, que la réalisatrice se montre le plus à l’aise, les volets familiaux et psychologiques faisant davantage preuve de conformisme. Après, on est quand même en droit de se demander si un film aussi sobrement modeste que celui-ci est réellement ce que le cinéma autrichien a de plus prestigieux à envoyer chez ses voisins allemands au Festival de Berlin, où nous l’avons déjà vu représenté avec plus d’espièglerie, par exemple à travers La Tête à l’envers de Joseph Hader, en compétition il y a deux ans.

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