Critique : Dans la terrible jungle

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Dans la terrible jungle

France, 2018

Titre original : –

Réalisatrices : Ombline Ley et Caroline Capelle

Distribution : Les Acacias

Durée : 1h22

Genre : Documentaire

Date de sortie : 13 février 2019

3/5

Lors de sa dernière longue prise de parole au cours de l’ultime débat avant les élections présidentielles, le futur chef de l’état Emmanuel Macron avait annoncé solennellement vouloir faire du handicap une grande cause nationale. Près de deux ans plus tard, on ne voit pas vraiment de changements majeurs dans les efforts d’intégration des personnes en situation de handicap. Soit parce que la parole politique a une fois de plus fait preuve d’une inefficacité pénible, pour ne pas dire d’une hypocrisie navrante, soit en raison d’un enchaînement d’événements qui en a décidé autrement. Heureusement, le cinéma a pris la relève. Pas non plus d’une façon suivie, admettons-le. Mais la proximité de deux films plaçant le handicap au cœur de leur projet artistique et social nous permet au moins de changer de regard sur ces hommes et ces femmes laissés-pour-compte par une société de moins en moins solidaire. Deux mois après L’Œil du tigre de Raphaël Pfeiffer, qui suivait une sportive amateur non-voyante, championne régionale d’arts martiaux, voici donc Dans la terrible jungle sur un foyer de jeunes handicapés aux troubles visuels avec handicaps associés, présenté dans le cadre de l’ACID au dernier Festival de Cannes. La démarche s’y écarte certes un peu du domaine exclusivement documentaire, puisque la complicité des participants est plus ou moins explicite. Dans l’ensemble, le film de Ombline Ley et Caroline Capelle reste néanmoins dans la position de l’observateur privilégié, qui nous emmène dans l’univers quotidien, voire la bulle psychique, de ces adolescents pas tout à fait comme les autres, tiraillés entre rêves d’avenir et occupations journalières au présent.

© Les Acacias Tous droits réservés

Synopsis : Ils s’appellent Ophélie, Gaël, Léa, Médéric et Alexis. Comme tous les jeunes de leur âge, ils rêvent de devenir chanteurs ou super-héros. En réalité, leur vie est toute autre, puisqu’ils habitent en communauté dans le foyer La Pépinière, adapté aux handicapés. Ils y participent à l’aménagement des espaces verts et à des ateliers musicaux, des activités qui sont censées leur apprendre comment mieux vivre en communauté.

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Pas si handicapé que ça

Plutôt qu’en tant que jungle, comme le titre le laisserait sous-entendre, on aurait tendance à considérer le monde dans lequel les participants évoluent dans Dans la terrible jungle tel un microcosme coupé du reste de la société. Ce n’est sans doute pas par hasard que le film s’ouvre sur des étoiles projetées au plafond d’une chambre, où l’un des adolescents handicapés se repose sur un fond sonore relaxant. L’appareil qui diffuse ces bruits dépaysants a beau tomber en panne par la suite, le ton est donné pour l’immersion totale dans un mode de vie que le spectateur lambda a rarement l’occasion de voir. Grâce au travail des deux réalisatrices, cette petite communauté de personnes handicapées n’est plus hors de notre vue et par conséquent hors de notre pensée. Elle ne s’ouvre guère sur le monde extérieur, puisque l’on ne voit à aucun moment une éventuelle intervention des parents ou une sortie en dehors du cadre préservé du foyer. Ce qui rythme alors la structure narrative volontairement décousue, ce sont les discussions entre pensionnaires, les tâches à effectuer en plein air ou au sous-sol de la résidence, les moments d’oisiveté et les répétitions musicales, à vocation principalement thérapeutique, puisque là aussi, le seul public, c’est nous, les spectateurs par écran interposé. La justesse du regard y est néanmoins saisissante, joliment plastique lorsqu’il s’agit de montrer le cadre verdoyant et généralement désert du foyer, ainsi que dépourvu de quelque jugement que ce soit, quand la caméra suit les participants dans leurs délires plus ou moins prémédités.

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Tu as un beau téléphone, tu sais

Le degré d’autonomie et de lucidité est en effet fort variable parmi les jeunes qui se sont prêtés au jeu d’un documentaire finalement assez peu imprégné de traces de fiction. Entre les plus renfermés dans leur état mental instable, comme Gaël qui danse dans tous les sens dès qu’il entend une chanson de Michael Jackson, mais qui peut aussi basculer subitement dans une acrobatie de l’autodestruction proprement inquiétante, et ceux qui ne souffrent d’aucun trouble cognitif majeur, le spectre du handicap est large à La Pépinière. Selon le choix éthique particulièrement louable des réalisatrices, la caméra enregistre en toute neutralité et sans distinction notable les joies des uns et les peines des autres. Ainsi, il y a des vedettes en herbe, qui se voient déjà chanteuses professionnelles ou qui, au contraire, sont amplement satisfaites de donner le rythme avec une précision bluffante et de chanter à voix haute dans la piscine. Des super-héros de pacotille, tour à tour Superman ou Jafar, et pourtant très réticents à se battre. De petits commentateurs malicieux à qui leur sarcasme sert de bouclier contre les inconvénients manifestes d’un handicap soi-disant lourd. Tout ce beau monde gravite en toute liberté au sein d’un espace filmique, lui aussi laissé ouvert à la fois à l’improvisation et au hasard, à l’image de la bande-annonce tournée un jour de temps couvert. C’est justement l’absence d’une direction contraignante, d’une finalité sociale à atteindre à tout prix, qui fait le charme de Dans la terrible jungle, un formidable outil pour décomplexer l’ensemble de nos notions préconçues sur le handicap.

© Les Acacias Tous droits réservés

Conclusion

On a beau fréquenter de manière ponctuelle, mais récurrente des personnes en situation de handicap à notre autre travail, cela nous fait toujours beaucoup de bien de répondre favorablement à l’invitation de bousculer nos préjugés et de dissiper nos craintes de la différence. Dans la terrible jungle en est une, séduisante par le naturel avec lequel elle aborde un sujet a priori casse-gueule. Ombline Ley et Caroline Capelle y deviennent en toute simplicité les complices de personnes dont les contraintes médicales deviendraient presque des forces, sous le regard immuablement bienveillant des réalisatrices.

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