Critique : Wajib – L’invitation au mariage

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Wajib – L’invitation au mariage

Palestine : 2017
Titre original : Wajib
Réalisation : Annemarie Jacir
Scénario : Annemarie Jacir
Interprètes : Mohammad Bakri, Saleh Bakri, Maria Zreik
Distribution : Pyramide Distribution
Durée : 1h36
Genre : Drame
Date de sortie : 14 février 2018

2.5/5

La distribution dans les salles françaises des films de la réalisatrice palestinienne (et poétesse !) Annemarie Jacir semble bien se faire au coup par coup : c’est ainsi que Le sel de la mer, son premier long-métrage, présenté à Cannes 2008 dans la sélection Un Certain Regard, avait déjà eu l’honneur d’une telle sortie, alors que Lama Shoftak, le deuxième, pourtant particulièrement bien reçu dans de nombreux festivals, n’avait pas eu cette chance. Voici donc la sortie de Wajib, le troisième, lui aussi très bien reçu dans les festivals où il a été présenté, les plus importants étant ceux de Locarno, en août dernier, et de Toronto, en septembre.

Synopsis : Abu Shadi, 65 ans, divorcé, professeur à Nazareth, prépare le mariage de sa fille. Dans un mois, il vivra seul. Shadi, son fils, architecte à Rome depuis des années, rentre quelques jours pour l’aider à distribuer les invitations au mariage, de la main à la main, comme le veut la coutume palestinienne du « wajib ». Tandis qu’ils enchaînent les visites chez les amis et les proches, les tensions entre le père et le fils remontent à la surface et mettent à l’épreuve leurs regards divergents sur la vie.

Une tradition à respecter

La traduction en français du terme arabe El wajib, c’est le devoir. En Palestine, la tradition fait que, lorsqu’il y a un mariage dans une famille, le devoir des hommes de cette famille consiste à remettre en mains propres, à chaque invité, les invitations au mariage. C’est ainsi qu’on va suivre, tout au long d’une journée, la distribution effectuée dans la ville de Nazareth par Abu Shadi, le père d’Amal, la future mariée, et Shadi, le frère d’Amal. 340 invitations à distribuer : on ne verra bien sûr qu’une partie de la distribution ! Une tournée qu’il va peut-être falloir recommencer car l’imprimeur s’est trompé dans les dates !

Abu Shadi est un professeur divorcé dans la soixantaine, qui n’a jamais quitté Nazareth et qui ambitionne de devenir directeur de l’école où il travaille. Shadi, lui, est un jeune architecte et il s’est exilé en Italie. S’il est revenu à Nazareth pour préparer le mariage de sœur et y assister, il n’est pas question pour lui, très remonté contre l’occupation israélienne de son pays, de revenir s’y installer.

Les rapports entre un père et son fils

Le wajib : comme Abu Shadi et Shadi ont tout le temps de discuter au cours des trajets en voiture d’une visite à l’autre, dans une ville très souvent embouteillée,  et comme chaque visite est l’objet d’une rencontre avec un ou plusieurs habitants de Nazareth, voilà une tradition qui ne peut que servir une réalisatrice qui ambitionne de s’intéresser aux rapports entre un père et un fils qui ne partagent pas les mêmes opinions tout en faisant s’exprimer un maximum d’habitants d’une ville arabe d’Israël sur leurs difficiles conditions de vie. Ces personnes rencontrées, membres de la famille, amis, collègues, ont des profils différents, ne serait-ce que parce que Nazareth est une ville dont la population est aux 2/3 musulmane et chrétienne pour 1/3 (Pour celles et ceux qui l’ignoreraient, tous les arabes ne sont pas musulmans. C’est ainsi qu’il y a beaucoup de chrétiens chez les palestiniens. Il y a même des agnostiques et des athées, mais, comme c’est presque toujours le cas, on n’en parle pas dans les statistiques !).

Si, d’une façon générale, le film ne cherche pas à dissimuler les querelles internes entre palestiniens, elles sont encore plus clairement exposées en ce qui concerne Shadi et son père. C’est ainsi que Abu Shadi voit d’un mauvais œil je fait qu’à Rome, la petite amie de Shadi soit la fille d’un ancien dirigeant de l’OLP : comme de nombreux palestiniens, il pense que les dirigeants palestiniens sont corrompus et ne pensent qu’à défendre leurs propres intérêts. Lui dont la femme est partie vivre aux Etats-Unis avec un autre homme et dont on ne sait toujours pas si elle viendra assister au mariage de sa fille, il a toujours eu pour souhait le fait que Shadi revienne à Nazareth et épouse une jeune fille de la ville. De cela, il ne saurait être question pour Shadi, lui qui est parti pour ne pas vivre sous l’oppression, lui qui reproche principalement à son père de s’être trop facilement adapté à la colonisation israélienne, d’avoir accepté de passer sa vie à se satisfaire de compromis. C’est ainsi qu’il y a même un israélien juif chez qui Abu Shadi aimerait bien aller porter une invitation, alors que Shadi ne veut pas en entendre parler : Ronnie Aviv, cet habitant de la petite colonie juive qui surplombe la ville, est un collègue d’Abu Shadi et ce dernier pense qu’il pourrait lui être utile pour obtenir ce poste de directeur qu’il ambitionne ; pour Shadi, ce Ronnie est un espion d’Israël chargé de vérifier la teneur des cours donnés dans le lycée où il travaille avec Abu Shadi.

Finalement, le seul moment leur permettant vraiment de retrouver un semblant de connivence est un moment musical : la diffusion à la radio du morceau « A whiter shade of pale », un morceau qui leur rappelle les leçons de conduite prises par Shadi plusieurs années auparavant;

Peut-être les deux comédiens palestiniens les plus talentueux

Pour interpréter les rôles de Abu Shadi et de Shadi, Annemarie Jacir a choisi deux comédiens palestiniens de grande réputation qui sont père et fils dans la vie. Saleh Bakri, l’interprète de Shadi, elle le connait bien : il jouait déjà dans ses deux premiers longs métrages. Quant à Mohammad Bakri, le père, il a tourné, entre autres, avec Costa-Gavras et les frères Taviani. Il est aussi le réalisateur de documentaires, dont l’un, Jenine, Jenine, lui a valu de très gros problèmes avec les autorités israéliennes.

Comme Directeur de la photographie de Wajib, c’est un français qu’on retrouve, Antoine Héberlé, celui-là même à qui on doit, entre autres, la très belle photographie de Une vie de Stéphane Brizé.

L’utilisation habile d’une tradition palestinienne pour exprimer un maximum de choses à laquelle s’ajoute la présence de deux excellents comédiens : comment se fait-il qu’un véritable enthousiasme ne soit pas au rendez-vous ? Et si c’était la bonne idée de départ qui finissait par lasser ? Eh oui, comme dans Deux jours, une nuit des frères Dardenne, cette succession de visites finit par engendrer un sentiment de monotonie et la bonne idée de départ finit par se retourner contre le film, d’autant plus qu’il ne nous apprend pas grand chose qu’on ne se sache déjà sur les difficiles conditions de vie des israéliens arabes.

Conclusion

C’est toujours avec beaucoup d’intérêt qu’on reçoit un film en provenance de la Palestine. Dans Wajib, la réalisatrice Annemarie Jacir poursuivait manifestement deux buts : tout d’abord, faire un portrait de la relation entre un père et son fils qui ne se voient pas très souvent et qui ont des opinions très différentes sur la situation de leurs compatriotes, le deuxième but étant justement de montrer plusieurs situations différentes par l’intermédiaire de visites dans les domiciles d’un certain nombre d’entre eux. Si le premier but est plutôt bien rempli, on peut se montrer déçu par  le traitement du second.

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