Critique : Vent du nord

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Vent du nord

France, Belgique, Tunisie : 2017
Titre original : –
Réalisation : Walid Mattar
Scénario : Walid Mattar, Leyla Bouzid, Claude Le Pape
Acteurs : Philippe Rebbot, Mohamed Amine Hamzaoui, Corinne Masiero, Kacey Mottet Klein
Distribution : KMBO
Durée : 1h31
Genre : Drame
Date de sortie : 28 mars 2018

3.5/5

Après avoir passé la première partie de son existence dans une banlieue ouvrière de Tunis située en bord de mer, Walid Mattar est parti vivre en France, dans une petite ville côtière proche de Boulogne-sur-mer. Très vite, il a été  frappé par la ressemblance des modes de vie dans ces deux cités éloignées  géographiquement l’une de l’autre  et dont on pourrait penser qu’elles le sont également économiquement et culturellement. Il a vu dans ce rapprochement le point de départ de son premier long métrage.

Synopsis : Nord de la France. L’usine d’Hervé est délocalisée. Il est le seul ouvrier à s’y résigner car il poursuit un autre destin : devenir pêcheur et transmettre cette passion à son fils. Banlieue de Tunis. L’usine est relocalisée. Foued, au chômage, pense y trouver le moyen de soigner sa mère, et surtout de séduire la fille qu’il aime. Les trajectoires de Hervé et Foued se ressemblent et se répondent.

Des personnages optimistes

Wimereux, à proximité de Boulogne-sur-Mer : Hervé, la cinquantaine, est ouvrier dans une usine d’emboutissage. Passionné de pêche,  il se refuse à suivre les directives syndicales lorsque les dirigeants de l’usine font le choix de la délocalisation : plutôt que d’entrer dans le combat au côté de ses collègues, il accepte la prime de départ qu’on lui propose, prime qu’il convertit dans l’achat d’un bateau qui, pense-t-il, lui permettra, avec l’aide de son fils, de vivre de sa passion.

2000 km plus au sud, à Tunis, Foued, la trentaine, a hérité, suite à la délocalisation, du travail qu’effectuait Hervé. Très optimiste, il espère pouvoir arriver, grâce à ce travail, à soigner sa mère et bénéficier d’un atout économique dans sa tentative de conquérir le cœur de celle qu’il aime, la séduisante Karima.

Des personnages déçus

Désireux de montrer combien les destins de Hervé et de Foued sont liés au travers de la machine qui, suite à la délocalisation d’une usine du nord de la France à une usine tunisienne, passe de l’un à l’autre, Walid Mattar avait le choix entre plusieurs options. D’un côté, le plus extrême, il pouvait faire appel à un montage en parallèle avec de nombreux aller-retours entre Wimereux et Tunis. A l’opposé, il pouvait partager son récit en deux parties totalement distinctes : l’histoire d’Hervé, l’histoire de Foued. Très judicieusement, il a fait le choix d’une option intermédiaire, avec un nombre limité d’aller-retours entre les deux histoires : un choix qui permet, sans que cela s’accompagne d’une grande lourdeur, de montrer l’émergence d’une grande désillusion  chez Hervé comme chez Foued. Des désillusions qui sont dues, chez l’un comme chez l’autre mais pour des raisons inverses, à leur confrontation avec des normes et des règles bureaucratiques : souvent trop nombreuses en France, quasiment inexistantes en Tunisie. Des règles françaises qui, en fait, ne font pas grand chose pour empêcher les délocalisations qui font perdre leur emploi à de nombreux travailleurs et mettent par contre des bâtons dans les roues d’un ouvrier qui a perdu son poste et qui tente de se créer un nouvel emploi. C’est ainsi que le rêve, pour Hervé, de devenir pêcheur professionnel se heurte, entre autre, à des problèmes de formation alors que celui de Foued est confronté à l’inertie d’un état démissionnaire qui l’empêche de recueillir les avantages sociaux qui devraient normalement être attachés à son travail.

On aurait pu penser que les trajectoires d’Hervé et de Foued seraient amenées à se croiser, d’autant plus lorsqu’on voit Hervé et sa femme Véronique partir pour une semaine de farniente dans un hôtel tunisien. En fait, ce croisement se limite à quelques centaines de mètres parcourus côte à côte entre un tramway dans lequel se trouve Foued et un autocar de tourisme transportant Hervé et Véronique. Ce court séjour d’Hervé et de Véronique en Tunisie a toutefois le mérite d’ajouter un volet supplémentaire à toutes la réflexion qu’on peut avoir concernant ces trajectoires contradictoires que nous propose le monde actuel : la production industrielle qui passe sans scrupule d’un pays à l’autre, le tourisme qui efface les frontières, la migration des populations qui, elle, se heurte à des frontières et à des quotas.

Des habitué.e.s des seconds rôles qui se retrouvent en tête d’affiche

C’est en collaboration avec Leyla Bouzid et Claude Le Pape que Walid Mattar a entrepris l’écriture du scénario de Vent du nord : deux jeunes femmes diplômées de la FEMIS, coscénariste et réalisatrice de A peine j’ouvre les yeux pour la première, coscénariste de Les combattants et de Petit paysan pour la seconde.

La distribution de Vent du nord permet de voir dans des premiers rôles des comédien.ne.s qu’on voit plus souvent dans des seconds rôles. C’est ainsi que le rôle d’Hervé est interprété par Philippe Rebbot et celui de Véronique par Corinne Masiero. Est-ce le fait de se trouver en tête d’affiche, toujours est-il qu’on a le sentiment qu’ils ont moins besoin de caractériser leur jeu d’où, pour eux, une interprétation plus sobre que d’habitude. Dans le rôle de Vincent, leur fils, un jeune comédien qu’on voit de plus en plus (Quand on a 17 ans, L’échange des princesses, etc.), Kacey Mottet Klein. De l’autre côté de la Méditerranée, c’est Mohamed Amine Hamzaoui, qui vient de prendre sa retraite de rappeur, qui interprète le rôle de Foued, celui de Karima étant tenu par Abir Bennani.

Conclusion

Au travers des désillusions de deux travailleurs à la fois très proches et très éloignés, et sans avoir l’air d’y toucher, Walid Mattar confronte les spectateurs aux méfaits de la mondialisation, cette organisation économique qui règne actuellement sur la planète, avec son lot de délocalisations d’un côté et cette exploitation sans règle des travailleurs de l’autre côté. Même si, ça et là, percent quelques maladresses, il n’oublie pas de montrer l’influence de cette mondialisation sur la vie familiale d’un des travailleurs et sur la vie sentimentale de l’autre. Vent du nord : un film politique très ancré dans l’humain.

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