Novembre
France, 2022
Titre original : –
Réalisateur : Cédric Jimenez
Scénario : Olivier Demangel
Acteurs : Jean Dujardin, Anaïs Demoustier, Sandrine Kiberlain et Jérémie Renier
Distributeur : Studiocanal
Genre : Thriller historique
Durée : 1h47
Date de sortie : 5 octobre 2022
3,5/5
A l’image des attentats du 11 septembre 2001 sur le sol américain, ceux à Paris et en banlieue proche en novembre 2015 ont généré un écho filmique des plus soutenus. En effet, quelques années de recul à peine auront suffi pour libérer les esprits et les langues, dans une vaste opération de récupération cinématographique de ce trauma collectif. La plupart du temps, ces récits adoptent le point de vue des victimes. Ainsi, la thérapie publique permettra peut-être aux spectateurs de se défaire du fardeau psychologique que chacun d’entre nous traîne avec soi à des degrés variables, depuis les fusillades au Bataclan et aux alentours. A notre connaissance, il n’existe pas à ce jour un film qui épouserait la vision des bourreaux, ne serait-ce que pour indiquer jusqu’où le fanatisme le plus extrême peut mener.
Dans le cas de Novembre, il s’agit d’une reconstitution particulièrement efficace des tentatives de la part des forces de l’ordre françaises pour empêcher une poursuite incontrôlée du bain de sang. Le cadre et les circonstances ont beau avoir changé, le cinquième long-métrage de Cédric Jimenez comporte certains points de ressemblance avec son précédent, Bac Nord. Dans l’un comme dans l’autre, il est question du travail désabusé, voire désespéré de la police. Invariablement, celle-ci a un temps de retard sur les malfaiteurs contre lesquels ses méthodes légales font le plus souvent chou blanc.
Au détail près que ce film-ci est un cas d’école de sobriété et d’efficacité narratives, les personnages œuvrant exclusivement au service de leur métier prenant. Leur dévouement sans faille dans cette course chaotique vers une réussite incertaine a certes tendance à les rendre plus abstraits. A ce sujet, on vous défie de nous citer le nom de n’importe quel fonctionnaire de police qui apparaît de façon récurrente à l’écran. Mais dans cet anonymat si accessible, dans cette pêche à l’aveugle réside sans doute la valeur universelle de ce beau succès public.
Synopsis : Le 13 novembre 2015, les téléphones au bureau de la lutte contre le terrorisme se mettent soudainement à sonner à l’unisson. Un attentat a lieu à Paris, presque simultanément au Stade de France, sur des terrasses de café et au Bataclan. Alors que les premiers secours s’affairent autour des victimes, les spécialistes de la lutte anti-terroriste commencent une course contre la montre, afin de débusquer d’éventuels complices et autres fanatiques prêts à passer à l’acte.
Cinq jours en novembre
Les événements remontent déjà un peu, mais la frénésie mi-incrédule, mi-inquiète par laquelle nous étions frappés à l’époque reste visiblement très vive. Les premières minutes de Novembre sont là pour nous le rappeler avec fracas. Tout n’était alors que choc et stupeur. Surtout un profond sentiment d’impuissance, face au désastre qui s’était abattu sur cette journée d’automne jusque là très ordinaire à Paris. La mise en scène de Cédric Jimenez excelle dès lors à montrer l’agitation dans l’urgence, tel un mécanisme à la base créé pour ce genre de situation catastrophique, qui se met pourtant très vite à tourner à vide. Les informations se succèdent et se superposent, sans que quiconque n’ait une stratégie de contre-attaque à proposer. En somme, c’est l’immense dilemme de la guerre larvée qui y est plutôt brillamment condensé en deux, trois séquences.
Contrairement à un film américain, qui s’efforcerait sans doute à y mettre de l’ordre dès que possible, afin de sauver à tout prix la douce illusion de la sécurité, célébrant par la même occasion l’état d’esprit invincible des avocats du bien, ce thriller historique à la française accompagne plutôt ses personnages dans leurs errements. Le va-et-vient y est incessant. Les suspects potentiellement dangereux sont légion. Autant de possibilités de se tromper que d’y voir clair se présentent à un ensemble de personnages dont personne n’a heureusement réponse à tout. Même le chef de service, incarné par un Jean Dujardin qui ne joue nullement la vedette ici, a le droit de se tromper, de laisser libre cours à ses frustrations, avant que sa supérieure – Sandrine Kiberlain, elle aussi admirable dans la peau d’une technocrate qui ne s’autorise aucun sentiment personnel – ne le rappelle à son devoir.
Au nom de la loi
Devoir ou droit à la dissonance : la frontière entre ces deux repères philosophiques est franchie à maintes reprises dans Novembre. Le rouleau compresseur de l’appareil policier, personnifié par des épiques d’intervention musclée qui défoncent les portes à un rythme effréné, ne permet guère de répit, ni à ses rouages surmenés, ni à une pègre associée de près ou de loin aux attentats. Longtemps avant l’assaut nocturne de sinistre mémoire à Saint-Denis, il devient évident que cette bataille à armes inégales fera de nombreuses victimes collatérales.
Aucun écriteau faussement rassurant en fin de film n’y changera grand-chose. Pas plus que les scrupules fragiles du personnage de la jeune enquêteuse, à laquelle Anaïs Demoustier confère juste ce qu’il faut en termes d’ambition ambiguë. Son interlocutrice principale, l’indic qui fera tout chavirer en faveur d’une issue passablement heureuse, a même droit à un traitement scénaristique encore plus élaboré, enrichi par l’ahurissement sourd de Lyna Khoudri.
Alors oui, on peut regretter que la nouvelle génération du cinéma français, nommément Sofian Khammes, Sami Outalbali et Stéphane Bak, est un peu sacrifiée sur l’autel de rôles sans réelle épaisseur. Or, leur nature parfaitement interchangeable, en filature et ailleurs, colle tout à fait à la thématique en sourdine du film, à savoir l’affrontement entre deux blocs idéologiques qui font finalement très peu état des intérêts personnels. Grâce au montage d’une efficacité impressionnante de Laure Gardette et à la mise en scène de Cédric Jimenez bien plus focalisée ici que lors des guéguerres de flics peu nets à Marseille, il en résulte un film percutant qui nous paraît rendre amplement justice au travail parfois laborieux, mais toujours appliqué, de ceux et de celles qu’on appelle communément les gardiens de la paix, en civil ou en uniforme.
Conclusion
Novembre n’a sans doute pas contribué à lui seul au grand retour des spectateurs dans les salles obscures, en cet automne d’après-crise sanitaire. Ses qualités indéniables en ont fait néanmoins un succès populaire sans appel, encore plus sollicité que Bac Nord. Peut-être est-ce justement l’absence de parti pris, autre que la volonté de produire un spectacle haletant autour d’événements marquants de l’Histoire récente, qui l’a rendu si séduisant ? Et effectivement, on ne peut que se féliciter d’être tombé, presque par hasard, sur ce représentant d’un cinéma de genre à la française, comme on désespérait presque à ne plus en découvrir en salles ! Attendons donc de voir le prochain film de Cédric Jimenez, afin de confirmer si la relève est réellement assurée.