Critique : Mes frères et moi

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Mes frères et moi

France : 2021
Titre original : –
Réalisation : Yohan Manca
Scénario : Yohan Manca, d’après Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre
Interprètes : Jael Mouin Berrandou, Judith Chemla, Dali Benssalah, Sofian Khammes
Distribution : Ad Vitam
Durée : 1h48
Genre : Drame
Date de sortie : 5 janvier 2022

4/5

Avant de se consacrer au cinéma, Yohan Manca est passé par le théâtre, comme comédien et comme metteur en scène. C’est ainsi qu’à 18 ans, il avait monté et interprété la pièce de théâtre « Pourquoi mes frères et moi, on est parti… » de Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, une pièce dont Mes frères et moi est une adaptation très libre. Après 3 court-métrages très remarqués dans de nombreux festivals, Mes frères et moi est son premier long métrage. Ce film faisait partie de la sélection Un certain Regard du dernier Festival de Cannes.

Synopsis : Nour a 14 ans. Il vit dans un quartier populaire au bord de la mer. Il s’apprête à passer un été rythmé par les mésaventures de ses grands frères, la maladie de sa mère et des travaux d’intérêt général. Alors qu’il doit repeindre un couloir de son collège, il rencontre Sarah, une chanteuse lyrique qui anime un cours d’été. Une rencontre qui va lui ouvrir de nouveaux horizons…

Un film atypique sur des jeunes de banlieue

Concernant les films sur les jeunes de banlieue, peut-être êtes vous arrivé.e à un tel niveau de saturation que la perspective d’en aborder un de plus ne vous enchante guère. Si, à cause de cet a-priori, vous vous refusez à aller voir Mes frères et moi, sachez que vous avez tort ! En effet, ce film qui se concentre sur quelques épisodes de la vie de 4 frères d’une famille italo-maghrébine est très différent de ce qu’on voit d’habitude en la matière. Figurez vous que, tourné en été dans le sud de la France, c’est un film très solaire, très lumineux. Et puis, au lieu d’entendre du rap, on entend de … l’opéra, Donizetti, Verdi, … et la musique du libanais Bachar Mar-Khalife. Attention, ces 4 frères ne sont pas des saints pour autant : Abel, l’ainé a trop de certitudes, il aspire à jouer le rôle du père mais, s’il sait se montrer très strict, voire rigide, il n’en a pas vraiment la carrure ; Mo a beaucoup de bagout, il drague et il ne rechigne pas à jouer les gigolos auprès des touristes ; Hedi est un personnage sauvage qui ne cesse de se mettre en danger : il se drogue, il deale, il vole ; et puis, il y a Nour, le petit dernier, un jeune adolescent de 14 ans, qu’on découvre en plein Travail d’Intérêt Général sous la houlette de Pietro et qui va se montrer très intéressé par le cours de chant donné par Sarah, lui dont le père, italien, chantait des airs d’opéra à sa mère et qui a ainsi acquis, très jeune, le goût pour ce genre musical. Il y a au moins un être qui fédère ces 4 frères très différents l’un de l’autre : leur mère, une femme en fin de vie que les 4 frères tiennent à garder à la maison, alors que son frère, Tonton Manu, veut absolument qu’elle aille mourir à l’hôpital.

Le choix de l’opéra

Même si le film est loin de se limiter à ce seul sujet, les liens qui se tissent petit à petit entre Nour et Sarah représentent en quelque sorte le plat principal. Pour son premier long métrage, Yohan Manca souhait aborder le thème de la rencontre d’un personnage avec l’art alors que rien ne le prédestinait à ça. Pour diverses raisons, c’est sur l’opéra qu’il a jeté son dévolu, un art presque toujours considéré comme élitiste, ne serait-ce que du fait du prix des billets pour assister à des représentations, mais qui compte de nombreux amateurs dans les milieux populaires surtout si les origines familiales sont italiennes. Ces origines italiennes, le père de Nour les avait et Nour a entendu son père chanter des airs de la « Traviata » et d’autres opéras de Verdi ou de Donizetti. Il aime ces airs, il esr capable d’en chanter un certain nombre et son beau filet de voix ne peut qu’intéresser Sarah. Etant une jeune femme particulièrement tenace, Sarah est dès lors prête à s’opposer aux frères de Nour pour mettre son nouveau protégé sur les rails d’un ailleurs imprévisible.

Concernant la réalisation, Yohan Manca avait des idées bien arrêtées : tout d’abord, souhaitant faire un film à portée universelle, il s’est efforcé de rendre le plus difficile possible toute reconnaissance temporelle (par exemple, à base d’objets, en particulier ces objets d’aujourd’hui que sont les smartphones et les réseaux sociaux qui vont avec, surtout chez les jeunes) ou géographique (même si, pour qui connait les lieux, il est difficile de ne pas reconnaître le cimetière de Sète !). Par ailleurs, le réalisateur ne souhaitait pas une approche documentaire. Ce qu’il voulait, « c’était montrer ce qu’il y a de beau et de romanesque » dans des quartiers populaires. Pour lui, cela passait par un filmage avec caméra sur pied et le fait de ne pas utiliser le numérique d’où le choix d’utiliser une pellicule 16 millimètres lui permettant d’utiliser au mieux la chaleur de la lumière du sud (Si on n’est pas censé savoir où l’histoire se déroule, on comprend vite qu’elle ne se déroule pas dans le nord !).

Casting et photographie

Trois des interprètes des frères avaient une expérience cinématographique avant de tourner dans Mes frères et moi : Dali Benssalah, l’interprète d’Abel, est depuis 5 ans un habitué des plateaux de cinéma et il a même un rôle dans le dernier James Bond ; Sofian Khammes, qui incarne Mo, plus jeune qu’Abel dans le film, mais 8 ans plus vieux dans la vraie vie, commence lui aussi à se faire remarquer dans le monde du cinéma et il avait déjà joué dans la période court-métrage de Yohan Manca ; beaucoup plus jeune, Jael Mouin Berrandou avait une filmographie très réduite au moment du choix, avec de petits rôles dans 2 long métrages. Concernant ce rôle de Nour, le réalisateur avait hésité entre choisir un jeune chanteur apte à faite l’acteur ou un jeune acteur qui serait éventuellement doublé s’il n’était pas apte à chanter : il a fait le choix d’un adolescent ayant une expérience d’acteur et, belle et bonne surprise, il s’est avéré capable de chanter en plus de se montrer bon comédien ! Pour Moncef Farfar, Hedi était son premier rôle au cinéma, un rôle pas facile dont il s’acquitte parfaitement. Et puis, il y avait le choix de l’interprète de Sarah, un choix très facile pour Yohann Manca : Judith Chemla est une fabuleuse comédienne, elle est également chanteuse et elle était sa compagne dans la vie. Une fois de plus, elle éclabousse l’écran de tout son talent. Quant à la belle photographie, on la doit au franco-italien Marco Graziaplena, qui doit commencer à bien connaître Sète et ses environs puisqu’il a travaillé sur les deux Mektoub, My Love d’Abdellatif Kechiche.

Conclusion

Ce premier long métrage de Yohan Manca est une belle réussite. Film atypique sur des jeunes d’un milieu défavorisé, film un peu « feel-good movie » sur un gamin qui peut trouver son salut dans une voie (une voix, également !) inattendue, Mes frères et moi  est d’une grande sincérité dans son propos et arrive à toucher les spectateurs sans aucune mièvrerie. Une fois de plus, on est conquis par le talent de Judith Chemla, dans un rôle qui demande un judicieux mélange d’énergie, de ténacité et d’émotion.

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