Critique : Lune de miel

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Lune de miel

Roumanie, Canada, Allemagne, Suède : 2018
Titre original : Lemonade
Réalisation : Ioana Uricaru
Scénario : Ioana Uricaru, Tatiana Ionascu
Interprètes : Mălina Manovici, Dylan Smith, Steve Bacic, Milan Hurduc
Distribution : ASC Distribution
Durée : 1h28
Genre : Drame
Date de sortie : 13 mars 2019

4/5

Née en Roumanie, Ioana Uricaru a fait des études de cinéma en Roumanie, puis aux Etats-Unis. Après avoir réalisé quelques court-métrages, elle a participé, avec 4 autres réalisateurs roumaine, au film collectif Les Contes de l’âge d’Or, écrit et produit par Cristian Mungiu et présenté à Cannes en 2009 dans la section Un Certain Regard. Lune de miel, également produit par Cristian Mungiu, est son premier long métrage et il a été présenté au Festival de Berlin 2018.

Synopsis : Mara, une jeune femme roumaine, emménage aux Etats-Unis chez son nouveau mari, Daniel, qu’elle vient de rencontrer. Elle y emmène Dragos, son fils de 9 ans. Le temps d’une journée, Mara va faire face à une série de problèmes administratifs, sociaux et humains.

La poursuite du rêve américain

Mère célibataire d’une trentaine d’années, Mara travaille aux Etats-Unis comme infirmière dans un service de rééducation. C’est avec un visa temporaire de 6 mois qu’elle a commencé son activité, mais elle a en tête le fameux rêve américain et elle caresse l’espoir d’obtenir à court terme la fameuse Green Card, espoir qui lui parait d’autant plus accessible que, peu avant l’expiration de son visa temporaire, elle a épousé Daniel, un de ses patients. Mais, dans sa situation, la différence entre rêve et cauchemar peut tenir à peu de choses, ne serait ce que dans le comportement du fonctionnaire chargé de s’occuper de son cas. Pas de chance pour Mara, Moji est un prédateur qui cherche à profiter de la situation.

Un film rattrapé par l’actualité

Depuis un peu plus de 10 ans, la Roumanie a vu partir 3 millions de citoyens, soit, à peu près, un citoyen sur 7. La plupart de ces émigrés ont choisi de s’installer dans un autre pays européen. Ioana Uricaru, la réalisatrice, a choisi les Etats-Unis et, dans Lune de miel, elle nous fait part de la situation qu’elle a connue en passant d’un pays à l’autre. En effet, c’est dans sa propre expérience qu’elle a puisée pour nous raconter l’histoire de Mara, quand bien même la profession de cette dernière est très différente de la sienne. L’histoire d’une femme qui a quitté un pays où règne une corruption endémique et qui ne pouvait pas offrir un avenir décent à Dragos, son fils de 9 ans, pour se retrouver dans un pays vers lequel afflue un grand nombre d’émigrés mais dont la qualité d’accueil laisse grandement à désirer. C’est pourquoi elle se retrouve, avec son fils qu’elle a fait venir, dans une situation précaire, attendant des fonds en provenance d’une vente en Roumanie, mariée trop rapidement à un homme qui se révèle imprévisible, en bute aux tracasseries de l’administration américaine amplifiées par le comportement d’un fonctionnaire indélicat qui cherche à profiter de sa position incertaine.

Lorsqu’elle a commencé à travailler sur Lune de miel, il y a près de 10 ans, le but de Ioana Uricaru était de parler de l’immigration. Petit à petit, la condition de la femme a pris de plus en plus d’importance dans son film et puis, alors qu’elle était en plein tournage, l’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo se sont mis à faire les gros titres : une coïncidence qui fait que, finalement, Lune de miel traite d’un sujet d’actualité !

Par contre, ce qui est d’actualité depuis toujours et que montre Lune de miel, c’est la xénophobie d’un certain nombre d’américains. « Vous ne méritez pas d’être ici », « Imaginez si on laissait immigrer n’importe qui dans ce pays, ils profiteraient de ce que d’autres se sont tués à construire », « Même ceux qui détestent les Etats-Unis rêvent de venir s’y installer », tels sont les discours que doit subir Mara lors de ses rencontres avec l’administration américaine. Dans le film, les paroles de réconfort et d’aide adressées à Mara, en particulier de la part d’un avocat originaire de Serbie, elles proviennent d’autres immigrés qui ont connu avant elle les mêmes problèmes pour être acceptés. Toujours d’actualité également, le manque de culture de certains américains, souvent les mêmes que précédemment, et dont la réalisatrice se moque, avec sans doute pas mal d’amertume, au travers d’une question posée à Mara et concernant la langue roumaine  : n’est-elle pas une langue arabe ?

Une interprète tout en retenue

Censé se dérouler dans une grande ville des Etats-Unis, Lune de miel a dû être tourné à Montréal, au Québec, un certain nombre de comédiens et de techniciens n’ayant pu obtenir de permis de travail dans le pays de l’oncle Sam.

Malgré une expérience limité en matière de réalisation, Ioana Uricaru montre une expertise certaine dans le domaine des longs plans-séquences : elle voit dans cette façon de filmer l’expression de « son refus d’être manipulatrice, de dire au spectateur ce qu’il doit comprendre ».

Même si son interprétation de Mara n’est que son deuxième rôle au cinéma, il est possible pour les cinéphiles physionomistes de reconnaître Mălina Manovici puisque son premier rôle, c’est dans Baccalauréat, de Cristian Mungiu, qu’elle l’avait tenu : celui de Sandra, la maîtresse de Romeo. Sobre dans son jeu, distillant l’émotion avec beaucoup de justesse, Mălina forme un duo mère/fils très crédible avec Milan Hurduc, l’interprète de son fils Dragos.

Conclusion

Lune de miel apporte une nouvelle preuve de la qualité du cinéma roumain. Un cinéma dont on se félicitera qu’il commence à se féminiser : lors de la Berlinade 2018, deux réalisatrices roumaines ont présenté leur premier long métrage, Ioana Uricaru et Adina Pintillie, cette dernière obtenant l’Ours d’Or avec Touch me not. Un titre qui aurait pu également être celui de l’excellent film de Ioana Uricaru.

https://www.youtube.com/watch?time_continue=2&v=nqVmiHpYxb4

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