Critique : Les Meilleures intentions (Ana Garcia Blaya)

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Les Meilleures intentions

Argentine, 2019

Titre original : Las buenas intenciones

Réalisatrice : Ana Garcia Blaya

Scénario : Ana Garcia Blaya

Acteurs : Javier Drolas, Jazmin Stuart, Amanda Minujin, Ezequiel Fontenla

Distributeur : Epicentre Films

Genre : Drame familial

Durée : 1h27

Date de sortie : 15 juillet 2020

2,5/5

En règle générale, quand un film s’ouvre sur une dédicace « à ma mère » ou « à mon père », il trimbale avec lui un considérable bagage personnel. C’est encore plus vrai, si l’ensemble du couple parental est mis en exergue de la sorte. L’enjeu du récit consiste alors à dépasser ce lien affectif fort entre le réalisateur et ses géniteurs, afin de le rendre universel et donc accessible aux spectateurs. Cette tâche essentielle est au mieux accomplie partiellement par ce premier film argentin. Les Meilleures intentions séduit autant par la complicité entre un père au style de vie bordélique et ses trois enfants, décrite avec une certaine délicatesse et en tout cas sans le moindre pathos, qu’il déroute par son aspect formel, un mélange peu concluant entre vidéo de famille et drame familial à l’esthétique latino-américaine plus conventionnelle.

La charge nostalgique du récit risque en effet à plusieurs reprises d’échapper à la réalisatrice Ana Garcia Blaya. Le recours systématique à la parenthèse formelle de la VHS morcelle le fil narratif de son intrigue. Jusqu’à rendre les intérêts des personnages presque secondaires, face à ce va-et-vient de la texture de l’image et du cadrage hélas dépourvu de quelque finalité formelle que ce soit. Car une fois qu’on a compris que l’action se déroule dans cette époque désormais lointaine du passage entre les années 1980 et ’90 et que les frasques filmées sans filtre ont donné un aperçu sans équivoque du manque de responsabilité du père, ce dispositif du double point de vue diffus ne fait qu’étirer artificiellement l’intrigue. Pourtant, l’attachement du père – aussi immature ce dernier soit-il – à ses enfants et, inversement, la bonne volonté avec laquelle les gamins se sont accommodés des écarts de conduite sans fin de leur paternel auraient entièrement suffi à nous associer à la vie de cette famille passablement dysfonctionnelle.

© 2019 Tarea Fina / Bla Bla Cine / Nos / Film Factory / Epicentre Films Tous droits réservés

Synopsis : Divorcé depuis un certain temps, Gustavo et Ceci ont la garde alternée de leurs trois enfants, Amanda, Manu et Lala. Tandis que la mère veille attentivement à la nutrition et à l’éducation de ses enfants, le père, gérant d’un magasin de disques au bord de la faillite, les initie davantage à une philosophie de vie plus détendue. Cet arrangement familial fonctionne, jusqu’à ce que Ceci annonce à Gustavo qu’elle partira en Paraguay l’année suivante avec son nouveau mari Guille, qui y a trouvé un emploi lucratif. Les enfants sont censés la suivre. Mais c’est surtout Amanda qui fait de la résistance et essaie par tous les moyens de rester près de son père.

© 2019 Tarea Fina / Bla Bla Cine / Nos / Film Factory / Epicentre Films Tous droits réservés

Adultes puérils

Les Meilleures intentions aurait facilement pu emprunter le chemin si commode du règlement de compte avec une famille à première vue plus subie que choisie. Quoi de plus opportuniste en fait que d’employer le subterfuge du cinéma pour mettre au clair des troubles existentiels trop complexes, voire trop pénibles pour les résoudre pendant l’enfance ou à l’âge adulte ? Heureusement, tel n’est pas l’objectif de la réalisatrice. Non, Ana Garcia Blaya a su garder une formidable bienveillance envers un père, qui continuait sa vie de célibataire invétéré, avec ses beuveries, ses joints, ses copines interchangeables, tout en s’occupant tant bien que mal de ses enfants. Elle va même jusqu’à souligner son don de transmission en matière de musique et de sport, capable de créer une routine parent-enfant pas plus chaotique que n’importe quel autre exercice éducatif. Dans le rôle du père, Javier Drolas est à la hauteur d’un personnage moins tragique à proprement parler qu’un peu lent dans sa prise de conscience, qu’il n’est nullement équipé pour élever ses enfants.

Comme c’est souvent le cas, celle qui devra rattraper toutes les bourdes de celui qui se voit lui-même encore en tant qu’ado incorrigible, c’est la mère. Plutôt que d’en faire l’antagoniste caricatural à l’existence bohème du père, la narration lui attribue un champ d’intervention plus large que la simple correction des erreurs de jugement répétitives de Gustavo. L’interprétation inspirée de Jazmin Stuart confère dès lors au personnage une épaisseur insoupçonnée, d’autant plus que la mère ne semble pas du tout à l’aise avec ce surplus de responsabilité que la mollesse autoritaire de son ancien conjoint lui impose. De même, le scénario se prive soigneusement d’expliciter le passé de cette famille éclatée, laissant subtilement planer le doute sur les circonstances de sa mise en échec.

© 2019 Tarea Fina / Bla Bla Cine / Nos / Film Factory / Epicentre Films Tous droits réservés

Enfants précoces

La répartition du temps alloué soit aux adultes, soit aux enfants se fait assez naturellement au fil du récit. Puisque le propos du film ne choisit le camp ni des uns, ni des autres, il a tout loisir de vagabonder entre le vécu des jeunes et des moins jeunes. A ce sujet, les trois enfants apparaissent la plupart du temps comme une unité indissociable. Ce constat est d’autant plus évident que le souhait de Amanda de rester avec son père cause le risque accru de dynamiter cette entente cordiale. Et là encore, la mise en scène se garde scrupuleusement de recourir aux poncifs des rapports de force entre frères et sœurs d’âge rapproché. Bien que Amanda remplisse malgré elle le rôle de la mère de substitution quand ils sont chez leur père, elle ne s’évertue guère à tirer quelque bénéfice que ce soit de ce gain cyclique d’ascendant sur ses cadets.

Le personnage le plus riche du film, c’est néanmoins elle. Elle qui se trouve abandonnée à elle-même, lorsque elle doit décider qui suivre sur ce carrefour de la vie familiale. Elle qui connaît parfaitement les points forts et les points faibles de son père et de sa mère, mais qui ne met aucunement à profit ce savoir pour son propre intérêt. Sous les traits de la révélation Amanda Minujin, Amanda est une pré-adolescente constamment obligée de faire le grand écart entre les préoccupations des filles de son âge et l’avance en termes de maturité que le retard maladif de son père lui impose. Sans doute est-ce parce qu’elle était, il y a une trentaine d’années, cette petite fille qui a dû grandir trop vite que Ana Garcia Blaya excelle avant tout dans la description de ce personnage tout en nuances.

© 2019 Tarea Fina / Bla Bla Cine / Nos / Film Factory / Epicentre Films Tous droits réservés

Conclusion

La beauté du sujet et la compréhension intime des personnages ne font aucun doute dans Les Meilleures intentions. La réalisatrice y dresse le portrait sans exagération mélodramatique d’une famille, qui fait comme elle peut avec sa situation de fonctionnement bancal. Il est alors dommage que certains aspects formels du récit, comme ces prises incessantes en caméra vidéo, très pauvres en termes de diversification d’axes de réflexion du film, rendent ce dernier moins engageant.

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