Critique : Legend (Brian Helgeland)

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Legend

Royaume-Uni, 2015
Titre original : Legend
Réalisateur : Brian Helgeland
Scénario : Brian Helgeland, d’après un roman de John Pearson
Acteurs : Tom Hardy, Emily Browning, David Thewlis
Distribution : Studiocanal
Durée : 2h11
Genre : Gangster
Date de sortie : 20 janvier 2016

Note : 3/5

L’iconographie des films de gangster précède de trente à quarante ans l’époque pendant laquelle les frères Kray régnaient en maîtres sur la pègre londonienne. Des héros ténébreux comme Edward G. Robinson, James Cagney, George Raft ou plus tard Humphrey Bogart avaient donné ses lettres de noblesse au genre dans les années 1930, dans des épopées du crime le plus souvent produites par la Warner. Au crépuscule de l’ascension de Ronald et Reggie Kray, les codes liés à la représentation du monde des gangsters étaient donc fermement établis. Ce qui ne veut pas nécessairement dire que cette génération de caïds rêvait d’imiter les stéréotypes d’antan, contrairement à l’influence pratiquement invariable du Scarface de Brian De Palma dans les quartiers défavorisés du monde entier plus de trente ans après sa sortie. Non, ce que le cinquième film du réalisateur Brian Helgeland veut nous faire croire d’une façon sournoise, c’est qu’il n’existe qu’une seule et unique forme cinématographique pour évoquer cet univers, en l’occurrence la même depuis un temps considérable. Le résultat de cet attachement presque touchant aux conventions d’un genre vénérable est un film un brin trop respectueux et soigné pour tenir compte du parcours des frères Kray dans toute sa démesure violente.

Synopsis : En dépit des avertissements de sa mère, Frances ne résiste pas longtemps aux avances de Reggie Kray, le chef du crime organisé du quartier, pour lequel son frère travaille comme chauffeur. Elle assistera de près à l’ascension de Reggie et de son frère jumeau incontrôlable Ronald dans le Londres des années 1960. Les Kray ne manquent en effet pas d’ambition pour étendre leur sphère d’influence, tout en s’occupant de leurs affaires avec un mélange explosif de violence et de respectabilité factice. Frances espère néanmoins que son compagnon saura rompre le cercle vicieux du crime, afin d’entamer ensemble une vie ordinaire. Cela risque hélas de rester un vœux pieux, puisque Reggie devra passer plusieurs mois derrière les barreaux, laissant son frère psychopathe en charge de la gestion de leurs affaires illicites.

Le centre du monde

Chez les gangsters, ce sont ces héros plus grands que nature qui font la loi. Les représentants de l’ordre ne font guère le poids face à eux, cédant à la tentation de la corruption pour avoir droit à leur part du gâteau ou bien ayant toujours une longueur de retard sur leurs adversaires qui ne respectent nullement les mêmes règles. La seule source de déchéance dans le microcosme du crime décomplexé est la mégalomanie de ces hommes, que rien d’autre n’est susceptible d’arrêter. La perte temporaire de leurs facultés de raisonnement à long terme les mènera alors vers la perte irrémédiable de leur position privilégiée au sein d’une hiérarchie en fin de compte pas si différente de celle d’autres corps de métier. Sauf que le prix à payer pour l’erreur d’appréciation d’une situation délicate ou pour un coup de sang qui dégénère vers un massacre y est infiniment plus élevé qu’une simple brimade disciplinaire. Car le mythe du gangster serait forcément incomplet, si à l’ascension spectaculaire ne suivait pas une chute au moins aussi vertigineuse. Legend s’approprie cette courbe dramatique classique avec un savoir-faire indéniable. De ce classicisme sans faille, à commencer par la narration en voix off depuis le point de vue à moitié extérieur de Frances, naît cependant une forme sophistiquée d’ennui, que même les aspects techniques les plus soignés comme la photographie de Dick Pope ou la musique de Carter Burwell ne peuvent dissiper entièrement.

Les deux faces de Tom Hardy

La réalisation de Brian Helgeland se montre heureusement un peu plus aventureuse dans la direction d’acteurs. Aux côtés d’une sélection de comédiens de seconds rôles éprouvés, de David Thewlis à Christopher Eccleston, en passant par Nicholas Farrell, c’est surtout le jeu de Tom Hardy dans un double emploi qui intrigue. Tandis que les frères Kray avaient été interprétés par de vrais jumeaux dans le film de Peter Medak, sorti il y a un quart de siècle, ici, la valeur montante, voire d’ores et déjà confirmée, du cinéma britannique se glisse en alternance dans la peau des deux membres de cette fratrie légendaire. Ce double emploi s’avère en premier lieu révélateur du talent à double tranchant de l’acteur. Autant nous sommes admiratifs devant ses interprétations les plus accomplies, celle dans Bronson de Nicolas Winding Refn en tête, autant nous avons horreur de son penchant pour le cabotinage outrancier, hélas à l’œuvre dans environ un film sur deux de son illustre carrière. Dans le cas présent, nous avons en quelque sorte droit à deux Tom Hardy pour le prix d’un, puisque l’intensité mesurée de Reggie s’y heurte à intervalles réguliers à l’emphase schizophrène de Ronald. L’échange des moments d’intensité et de facétie se fait alors d’une manière quasiment constante, sans que l’un ou l’autre personnage ne prenne le dessus. Ce qui est plutôt dommage parce que tous les deux disposent de facettes de troubles et de tourments existentiels qui demeurent insuffisamment explorés dans ce récit académique.

Conclusion

Si vous aimez les films de gangster à l’ancienne, Legend est fait pour vous. Plus respectueux que jamais des conventions du genre, Brian Helgeland y dresse le portrait doucement édifiant de deux figures incontournables de la pègre anglaise. Grâce à l’interprétation intense de Tom Hardy, quelques rares étincelles s’y produisent quand même, bien que la facture globale du film fasse preuve d’une sagesse peut-être pas tout à fait adaptée à la violence sourde généralement associée au règne des frères Kray.

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