Critique : Le pardon

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Le pardon

Iran : 2020
Titre original : Ghasideyeh gave sefid
Réalisation : Maryam Moghadam, Behtash Sanaeeha
Scénario : Maryam Moghadam, Behtash Sanaeeha, Mehrdad Kouroshnia
Interprètes : Maryam Moghadam, Alireza Sani Far, Pouria Rahimi Sam
Distribution : KMBO
Durée : 1h45
Genre : Drame
Date de sortie : 27 octobre 2021

4/5

En couple dans la vie, c’est ensemble que Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeehaest ont écrit et réalisé Le pardon. On peut imaginer que Behtash Sanaeehaest était plus souvent derrière la caméra que Maryam Moghaddam. En effet, celle-ci est également l’actrice principale du film et elle est pratiquement de tous les plans. Née à Téhéran, Maryam est diplômée de lEcole des Arts Dramatiques de Gothenburg en Suède, un pays qui l’a vue sur des planches de théâtre à de nombreuses reprise. Elle a également joué dans de nombreux films iraniens, dont Closed Curtain, un film coréalisé par Jafar Panahi, Ours d’or à Berlin en 2013 et qui, curieusement, n’a jamais été distribué dans notre pays.
 

Synopsis : Iran, de nos jours. La vie de Mina est bouleversée lorsque son mari est condamné à mort. Elle se retrouve seule, avec leur fille à élever. Un an plus tard, elle est convoquée par les autorités qui lui apprennent qu’il était innocent. Alors que sa vie est à nouveau ébranlée, un homme mystérieux vient frapper à sa porte. Il prétend être un ami du défunt et avoir une dette envers lui.

Un innocent condamné à mort

Remarque liminaire : il est parfois difficile, voire impossible de faire l’analyse d’un film sans divulgâcher un élément important qui n’apparait qu’à la 39ème minute du film. Si vous ne savez encore rien de cet élément et si vous souhaitez voir le film (fortement conseillé !) sans le connaître, un conseil : interrompez ici votre lecture, quitte à la reprendre plus tard, après avoir vu le film.

Qu’y a-t-il de plus difficile à vivre pour une épouse et mère de famille que de voir son mari condamné à mort ? Peut-être, sans doute, d’apprendre un an après l’exécution que son mari, en fait, était innocent. Et que dire de l’arrivée auprès de vous d’un homme qui se prétend ancien ami de votre mari, qui se met en quatre pour vous aider, financièrement, moralement, qui met à votre disposition pour une bouchée de pain un beau logement lorsque votre ancien propriétaire vous a mise à la porte de votre appartement parce qu’il vous vue recevoir un inconnu chez vous et que les agences refusent de vous louer quelque chose parce qu’on ne loue pas à une femme seule, parce que « les veuves, les chiens et les drogués ne sont pas bien vus », un homme dont vous allez finir par apprendre, bien longtemps après les spectateurs du film, qu’il s’agit du juge qui a condamné à mort votre mari, votre mari innocent. Un homme nouveau dans ce poste de juge au pénal, un homme qui a prononcé là sa première condamnation à mort, un homme qui ne supporte pas d’avoir fait exécuter un innocent, un homme qui cherche coute que coute à se racheter, et, sans doute à se faire pardonner.

Le procès de la peine de mort

Parmi les 54 pays dans lesquels la peine de mort n’a pas encore été abolie, L’Iran est le 2ème, derrière la Chine, en terme d’exécutions réellement pratiquées. Remettre en question la loi sur la peine de mort y est formellement interdit, en particulier au cinéma. C’est pourquoi les films iraniens qui abordent le sujet de la peine de mort situent leur action en amont de l’exécution de la sentence et se concentrent sur le pardon que peut ou non accorder au coupable la famille de la victime. Un très bel exemple récent : Yalda, la nuit du pardon de Massoud Bakhshi. Le titre du film de Maryam Moghaddam et Behtash Sanaeeha reprend à son compte cette notion de pardon. Dès qu’on sait quel a été le rôle de Reza, le mystérieux « ami » de Babak, dans l’exécution de ce dernier, on comprend que le pardon du titre est celui qu’il aimerait recevoir de Mina, l’épouse de Babak. Mais, tout au long du film, on voit bien que Mina, l’épouse du condamné à mort innocent, est et sera toujours loin d’accorder son pardon à ceux, quels qu’ils soient, qui sont responsables de la mort de Babak. Qu’en sera-t-il quand elle saura quel a été le rôle de celui qui se montre si prévenant envers elle ? On notera que seuls 2 pays, la France et l’Espagne ont choisi de mettre en avant le pardon dans le titre du film et donc de s’écarter de son titre original « La ballade de la vache blanche ». Dans Le pardon, la vache blanche qu’on voit au début du film dans une cour de prison, est une métaphore dun innocent condamné à mort et la sourate « de la vache » renvoie à la loi du Talion, une loi qui impose une réciprocité en cas datteinte à la personne, réciprocité qui se traduit dans le film par ce que les autorités proposent à Mina pour « rattraper » l’erreur judiciaire : le prix du sang, une somme d’argent, une valeur monétaire affectée à la vie !

Pas de doute, Le pardon, ayant pris le risque d’une action qui intervient après l’exécution de la sentence et insistant sur le caractère irréversible de la mort, est ouvertement un film qui milite pour l’abolition de la peine de mort en Iran. C’est d’ailleurs pour cela que le film n’a pas reçu la permission d‘être montré au public en Iran, le permis de tourner, acquis à la suite de la lecture du scénario par un comité, ayant été obtenu grâce à un subterfuge courant dans le cinéma iranien : la présentation d’une version censurée par ses propres auteurs et qui n’est pas celle qui sera tournée. Au moment du générique de fin, accompagné par le deuxième mouvement du quatuor à cordes « La jeune fille de mort » de Franz Schubert, on constate que le film est dédicacé à une certaine Mina. En fait, il s’agit de la propre mère de la réalisatrice, le père de Maryam ayant été exécuté pour des motifs politiques.

Une comédienne bouleversante

Face à certains choix de Maryam Moghadam et de Behtash Sanaeeha, certains esprits chagrins pourraient parler de mélo à propos de Le pardon : le fait que Bita, la fille de Mina, soit sourde et muette ; le fait que Meysam, le fils de Reza meurt d’une overdose ; le comportement odieux de la belle-famille de Mina qui ne pense qu’à récupérer Bita et le « Prix du sang » promis par les autorités. En fait, Le pardon surfe souvent sur la vague du mélo mais ne se retrouve jamais englouti. L’émotion et la tension qu’on ressent à la vision de ce film sont accentuées par l’absence de musique d’accompagnement, les seules musiques qu’on entend étant celle, très brièvement, en provenance d’un CD de Meysam que son père a décidé d’écouter et l’extrait de « La jeune fille et la mort » sur le générique de fin.

Les rôles de Mina et de Reza sont très différents en ce qui concerne la palette de jeu à mettre en valeur. De toute évidence, le rôle de Reza était plus facile à interpréter : celui d’un homme qui n’arrive pas à se pardonner à lui-même l’erreur judiciaire qu’il a commise et qui ne cesse de se montrer abattu et sombre. Plus facile, certes, mais cela n’enlève rien au mérite de Alireza Sani Far, le comédien qui l’incarne. Beaucoup plus difficile s’avère être le rôle de Mina, magistralement interprété par la coréalisatrice  Maryam Moghadam. En effet, c’est quatre femmes différentes que la comédienne doit incarner : une femme éplorée par la mort de son mari, une femme combative face aux autorités, une mère attentive à sa petite fille sourde et muette, une femme touchée par l’attention et l’aide que lui porte un homme qui se dit ancien ami de son mari. 
 

Conclusion

Film après film, le cinéma iranien dévoile des pans de ce qu’est ce pays à la fois si moderne et si moyenâgeux. Le pardon, sur ce sujet si douloureux de l’erreur judiciaire, de l’exécution d’un homme qui n’était pas coupable, surfe en permanence sur la vague du mélo sans jamais être englouti. Coréalisatrice du film, Maryam Moghadam est bouleversante en femme éplorée par la mort de son mari puis combative face aux autorités, en mère attentive à sa petite fille sourde et muette, en femme touchée par l’attention et l’aide que lui porte un homme qui se dit ancien ami de son mari. 

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