Critique : Le déserteur

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Le déserteur

Canada : 2018
Titre original : La grande noirceur
Réalisation : Maxime Giroux
Scénario : Maxime Giroux, Simon Beaulieu, Alexandre Laferrière
Interprètes : Martin Dubreuil, Romain Duris, Sarah Gadon
Distribution : Ligne 7
Durée : 1h34
Genre : Thriller, Drame
Date de sortie : 21 août  2019

4/5

Après deux longs métrages jamais sortis en salles, le réalisateur québécois Maxime Giroux nous avait offert, il y a 4 ans, le très beau Felix et Meira. Le voici qui revient dans nos salles, avec un film tourné dans l’urgence, un film ambitieux, très différent du précédent mais tout aussi réussi.

Synopsis : Quelque part dans le monde, une guerre fait rage. Terrifié à l’idée d’être mobilisé, Philippe a fui Montréal pour se réfugier dans un Ouest américain aussi sauvage qu’hypnotisant. Il vit tant bien que mal de concours d’imitation de Charlie Chaplin. Mais la cruauté de l’humanité ne se limite pas aux champs de bataille, et Philippe ne va pas tarder à découvrir la face obscure du rêve américain.

Un déserteur dans l’ouest états-uniens

Alors qu’une guerre se déroule, on ne sait pas vraiment où, on ne sait pas vraiment quand, Philippe, un québécois de Montréal a décidé de déserter et de se rendre chez un oncle à Détroit. Montréal, Détroit, deux villes qui sont nommées mais qu’on ne voit jamais. Ce que l’on voit, ce sont des paysages de l’ouest états-uniens, des paysages magnifiques, quasi désertiques, avec des villages fantômes  peuplés de gueules cassées et de gens aux desseins pas toujours très sympathiques. Pour subsister, Philippe se présente dans des concours d’imitation de Charlie Chaplin.

Quels lieux ? Quelle époque ? Quelle guerre ?

Film canadien francophone, Le déserteur avait un titre original en français  : La grande noirceur. Un titre qui, pour les québécois, a une signification très précise : une période de 15 ans de l’histoire du Québec, juste après la seconde guerre mondiale. Un titre qui, pour nous, français, n’aurait eu aucune signification ! Alors, pourquoi pas Le déserteur, avec un petit clin d’œil à Boris Vian, même si on est en droit de penser que cet escamotage du titre canadien enlève sans doute un levier de compréhension du film de Maxime Giroux. Un levier loin d’être inutile : en effet, on peut s’étonner de voir Philippe traverser des paysages de l’ouest américain alors qu’il est censé aller de Montréal à Détroit et on est tout aussi dérouté en ce qui concerne le marquage du temps : références au discours que le général George  Patton a prononcé en juin 1944, le passage furtif d’une voiture estampillée années 40, on serait donc, justement, dans la période de la grande noirceur. Sauf qu’on entend la chanson « Everybody hurts » du groupe REM, sortie en 1993 !

Malgré tous ces pièges tendus par les scénaristes, le message de Maxime Giroux semble clair : il est américain et il est francophone, entouré par des centaines de millions d’anglophones, des canadiens, bien sûr, mais aussi, en plus grand nombre encore, des « états-uniens » (Pourquoi utilise-t-on toujours le terme américain lorsqu’on parle des habitants des Etats-Unis, alors qu’ils ne représentent qu’un partie des habitants du continent américain ?). La guerre dont parle Maxime Giroux, c’est donc très probablement la guerre économique et culturelle menée par les Etats-Unis dans le monde entier et plus particulièrement en Amérique du Nord, afin d’imposer son hégémonie et, ce que montre le film, serait le fait que la déserter conduit à des situations encore pires que celles qu’on pourrait rencontrer en faisant front.

Interprétation et photographie

Pour interpréter le rôle de Philippe, Maxime Giroux s’est de nouveau tourné vers l’excellent comédien canadien Martin Dubreuil, l’interprète de Félix dans Félix et Meira. Une interprétation très avare en paroles tout en étant pleine d’intensité. Ses rencontres l’amènent à rencontrer des personnages interprétés par des comédiens français : Reda Kateb dans le rôle d’Hector, un imprésario qui voit du potentiel dans les imitations de Charlie Chaplin réalisées par Philippe, Romain Duris dans le rôle de Lester, un rôle très inhabituel pour lui, celui d’un tortionnaire très dur, mais susceptible d’avoir la larme à l’œil, la chanteuse et comédienne Soko, interprète de Rosie, une jeune femme tenue en laisse telle une chienne par Helen, un personnage dont le sadisme tranche avec sa pâleur et sa blondeur, et qui est interprété, et ce n’est sans doute pas un hasard, par la comédienne anglophone Sarah Gadon.

Comme dans les films précédents de Maxime Giroux, la photographie, magnifique aussi bien dans sa peinture des grands espaces que dans celle des sous-sols peu éclairés, est l’œuvre de Sara Mishara. A noter l’utilisation pour ce film du format 1.37, un format qualifié d’académique, très peu utilisé aujourd’hui mais qui fut celui de tous les films de studios américains réalisés en 35 mm de 1932 à 1952. Quant à la musique, au caractère souvent angoissant, on la doit au franco-canadien Olivier Alary et à Johannes Malfatti.

Conclusion

C’est sous la forme d’un conte plein de mystères et de symboles, mi road-movie, mi western, que Maxime Giroux nous montre, dans un film ambitieux et globalement réussi, une peinture pessimiste de la face cachée du rêve américain. Il en profite pour pointer du doigt les dérives dans lesquelles nous mêne l’hégémonie économique et, surtout, culturelle, des Etats-Unis. Comme le réalisateur a décidé de ne pas adopter une démarche « création d’un label Maxime Giroux » dans lequel il referait encore et toujours, peu ou prou le même film, il est impossible de deviner vers quoi s’orientera sa prochaine œuvre. Par contre, une certitude : on l’attendra avec impatience.

https://www.youtube.com/watch?v=FFIHIjXJdII

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