Critique : Le client

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Le client

le-client-afficheIran : 2016
Titre original : Forushande
Réalisation : Asghar Farhadi
Scénario : Asghar Farhadi
Acteurs : Shahab Hosseini, Taraneh Alidoosti, Babak Karimi
Distribution : Memento Films Distribution
Durée : 2h03
Genre : Drame
Date de sortie : 9 novembre 2016

4/5

Plébiscité par les plus grands festivals, couvert de récompenses, oscarisé et césarisé pour Une séparation, tournant en France (Le passé), prochainement en Espagne, et, bien sûr en Iran, Asghar Farhadi, seulement âgé de 44 ans, est le réalisateur iranien vivant le plus connu et le plus reconnu. Une notoriété et une reconnaissance qui sont facilitées par le fait que, contrairement à un Jafar Panahi, Farhadi ne semble pas être dans le collimateur du régime iranien. Le client, nouveau film sur le couple de ce spécialiste qu’est Asghar Farhadi, était en compétion au Festival de Cannes 2016 et il est reparti avec deux prix, le Prix du scénario et le Prix d’interprétation masculine attribué à Shahab Hosseini.

Synopsis : Contraints de quitter leur appartement du centre de Téhéran en raison d’importants travaux menaçant l’immeuble, Emad et Rana emménagent dans un nouveau logement. Un incident en rapport avec l’ancienne locataire va bouleverser la vie du jeune couple.

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Un gros grain de sable

Quiconque a déjà fréquenté le cinéma d’Asghar Farhadi ne sera pas surpris de se voir raconter l’histoire d’un couple dans son dernier film, Le client. Si Abbas Kiarostami, à ses débuts, a beaucoup utilisé les enfants pour parler de la société iranienne, c’est en effet au travers de problèmes rencontrés par des couples qu’Asghar Farhadi a pris l’habitude de le faire. Dans Le client, le couple formé par Emad et Rana semble couler des jours heureux : Emad est prof à la fac, affable avec ses élèves, ce sont des intellectuels, membres de la partie supérieure de la classe moyenne, et ils font du théâtre en amateurs. Tout cela, jusqu’à ce qu’un gros grain de sable vienne perturber cette harmonie : l’immeuble qu’ils habitent au centre de Téhéran menace de s’écrouler suite aux travaux incessants menés dans leur quartier et ils doivent quitter leur appartement. Dans un premier temps, pas de problème : un membre de la troupe leur propose de les loger dans un appartement qu’il possède et dont la locataire vient de partir. Sauf que cette dernière avait une activité qui conduisait cet appartement à recevoir de fréquentes visites d’hommes, des hommes pas forcément prévenus de ce changement inattendu et qui peuvent arriver à se conduire de manière brutale face à une femme seule qu’ils ne connaissent pas. Dire que la blessure dont souffre alors Rana indispose son mari est un euphémisme et Emad va n’avoir de cesse de retrouver l’agresseur et de se venger.

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Plusieurs niveaux de lecture

Comme dans la plupart des films iraniens, Le client présente plusieurs niveaux de lecture. Bien entendu, on peut le voir sans chercher à voir midi à 14 heures :  Le client est alors un film sur la vengeance, un film qui montre jusqu’à quels excès un homme peut aller lorsque son orgueil de mâle prend le pas sur l’évaluation raisonnable d’une situation, un film totalement universel dont l’histoire pourrait se dérouler tout aussi bien à Paris qu’à Téhéran. Un autre niveau de lecture amène le spectateur au cœur de l’Iran contemporain, un pays partagé entre modernisme et obscurantisme, un pays en pleine mutation avec une capitale, Téhéran, qui se transforme à grande allure, sans qu’on sache très bien à quoi ressemblera le bout du voyage : des quartiers sont démolis, des buildings sont construits, des immeubles vacillent, celles et ceux qui n’arrivent pas à s’adapter à cette modernisation rapide se retrouvent sur la touche. A ce sujet, le choix de la pièce que répètent Emad et Rama est tout sauf anodin : Mort d’un commis voyageur, d’Arthur Miller, une pièce sur les conséquences des modifications rapides intervenant dans le cadre d’un métier, mais aussi d’une ville, New-York. Le New-York de la fin des années 40 auquel Asghar Farhadi compare le Téhéran d’aujourd’hui. On notera d’ailleurs que le titre original du film, l’employé de commerce en persan, titre repris en anglais, The Salesman, fait ouvertement référence à la pièce d’Arthur Miller. Par ailleurs, il n’est pas interdit d’aller chercher un troisième niveau de lecture en s’intéressant au comportement de Rama et en le comparant à celui de Emad : elle, beaucoup moins excessive, plus tolérante, refusant ce comportement sordide de vengeance. En fait, et ce n’est pas le premier film d’Asghar Farhadi qui laisse ce sentiment, c’est, pour le réalisateur, la femme iranienne qui représente l’espoir de son pays !

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Un grand film

Voilà donc un film qui est reparti du Festival de Cannes 2016, avec deux récompenses : le Prix du scénario et le Prix d’interprétation masculine pour Shahab Hosseini, le comédien qui interprète le rôle d’Emad. Deux prix qui ne peuvent pas être considérés comme des surprises : le scénario donne l’impression d’être très simple, mais il dévoile beaucoup de richesse et de complexité dès lors qu’on creuse un peu, Shahab Hosseini joue de façon très convaincante toutes les nuances d’un homme au comportement ambigu : avenant avec ses élèves, détestable dans son désir inextinguible de vengeance. A ses côtés comme dans A propos d’Elly, Taraneh Alidoosti est une splendide Rana et lui attribuer le Prix d’interprétation féminine n’aurait pas été un scandale. Scénario primé, interprétation primée, et pourtant, ce qui ressort avant tout du film, ce sont la beauté des plans, l’intelligence des cadrages, la précision de la mise en scène.

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Film après film, Asghar Farhadi construit une œuvre qui marque son époque, d’une grande richesse quant au fond et magnifique quant à la forme. Entre un film tourné en France et un film tourné en Espagne, il nous propose dans Le client, à sa façon, une photographie actualisée de son pays, l’Iran.

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