Critique : La Isla mínima

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La Isla Minima affiche du film 2014La Isla mínima 

Espagne, 2014
Titre original : La Isla mínima
Réalisateur : Alberto Rodriguez
Scénario : Alberto Rodriguez, Rafael Cobos
Acteurs : Raúl Arévalo, Javier Gutiérrez, Antonio de la Torre
Distribution : Le Pacte
Durée : 1h44
Genre : Policier
Date de sortie : 15 juillet 2015

Note : 3/5

Avec son sixième film, Alberto Rodriguez trousse un polar au classicisme assumé, mais dont l’efficacité n’a d’égale que la noirceur de l’intrigue.

Synopsis : Deux inspecteurs enquêtent sur un double meurtre particulièrement sordide dans une Espagne rurale postfranquiste. Duo de flics antinomique : l’un serait un ancien officier ayant appartenu au corps de la police franquiste, l’autre, au visage hâve, un jeune officier plus apte au dialogue contrairement à son collègue encore sous haute influence fasciste et donc détenteur de réflexes plus expéditifs – usage de la force, corruption – n’ayant pas leurs places au sein d’une nation s’ouvrant peu à peu à la démocratie.

La Isla Minima photo du film espagnol policier 2015

Un pur polar

Au sortir de la séance, d’aucuns ont relevé, à juste titre, la filiation avec le polar sud-coréen, Memories of Murder réalisé par Bong Joon-Ho. De par son ancrage historique, sociologique et géographique (dans une zone rurale, peu après la chute d’une phase politique dictatoriale), La Isla Minima évoque, à bien des égards, le chef-d’œuvre sud-coréen. Cependant, Bong Joon-Ho parvient à insuffler un regard iconoclaste sur le genre noir, aspect décalé qui semble être absent du long-métrage ibérique. Tout en respectant le genre, Memories of Murder ne se départit pas d’un humour noir donnant au film cette tonalité si singulière. L’aspect gauche, voire grotesque, des personnages est un signe de leurs ignorance crasse bien que cette rusticité n’est qu’un paravent à une humanité complexe. La richesse du film se trouve dans ce subtil équilibre, entre climat anxiogène et humour noir, alliage improbable mais qui pourtant fonctionne à merveille ici : Memories of Murder réussit à dénicher l’absurde dans le tragique, et la noirceur dans la légèreté.

Or, l’humour est absent du film espagnol. Ce n’est pas une tare, loin s’en faut mais La Isla Minima évoque, en particulier, la série d’outre-atlantique, estampillée HBO, True Detective : ses décors marécageux et ruraux, son duo d’enquêteurs aux caractères opposés, sa quasi absence d’humour, son ambiance lourde, son rythme hypnotique, son formalisme léché, tous les ingrédients sont présents. Seuls les soliloques existentiels de Rust Cohle manquent à l’appel. Mais au-delà des ressemblances et autres emprunts à la culture cinématographique et cathodique, l’un des aspects les plus intéressants du long-métrage espagnol reste le caractère «buddy-movie». L’un des ressorts dramatique communément admis dans ce genre-là est justement l’antinomie des caractères, personnalités antithétiques constituant le carburant du récit. Or, ici, les deux flics incarnent non seulement deux personnes que tout oppose mais cette opposition s’inscrit dans le courant historique et politique de l’Espagne même : le déclin du fascisme et l’avènement de la démocratie. Cette personnification du genre est une des originalités du film.

La Isla Minima sexy

Ancré dans l’histoire de l’Espagne

Au cours de l’enquête, nos deux flics font face, comme dans tout bon polar, à la loi de l’omerta (toujours d’actualité, nous le verrons plus loin) qui régit, souvent, une petite communauté rurale. Ses édiles corrompus et pervers, la complicité de certains habitants, leurs duplicités… Comme de juste, La Isla Minima regorge de détails déjà vus de-ci, de-là et dont le manque d’audace peut être à relever. Cependant, et selon l’adage, ce n’est pas l’histoire qui prime (quoique dans certains cas…), c’est la manière dont on l’a raconte. C’est ce qui fait son intérêt. Or, dans ce cas-là, l’on doit savoir gré au metteur en scène espagnol de faire montre d’une maîtrise patentée.

Quoi que l’on fasse, on ne peut effacer son passé. Il remontera à l’avenir d’une manière ou d’une autre. L’inspecteur, ancien tortionnaire sous l’égide de la police franquiste, a beau uriner du sang, comme s’il devait ôter de son corps les derniers résidus métastatique liés au fascisme, il n’en reste pas moins lié à son expérience sous Franco. Il a beau prendre du bon temps à la fin de son enquête, s’oublier dans l’alcool et la danse, et à apparaître comme un joyeux luron enclin à la fête, son collègue apprend au même moment, via un journaliste d’investigation, son passif sadique sous le règne de la dictature. Alors qu’il commençait à apprécier son collègue, allant même jusqu’à être sauvé par lui lors d’une fusillade dantesque, sa réaction à la nouvelle le perturbe complètement. L’Espagne entre dans une nouvelle ère, celle de la démocratie. Comment réagir face au déni de la réalité ? L’Espagne entre dans une phase d’amnésie. Plutôt que d’affronter honnêtement ce problème, l’on a préféré mettre ce problème sous le tapis et de continuer comme si de rien n’était. Le gouvernement espagnol, au nom de la réconciliation espagnole, a préféré taire les crimes perpétrés par le régime franquiste. A ce jour, le gouvernement n’a toujours pas su, ou voulu, jugé les atrocités commises au nom de la dictature franquiste.

Conclusion

Malgré un film noir convenu, et sous haute influence, La Isla Minima reste un long-métrage intéressant de par son intrigue noire et sa mise en scène maîtrisée. Sous couvert d’une intrigue puisant son fonds dans l’héritage du polar, son ancrage dans le genre permet de soulever un problème politique et historique inhérent à l’Espagne contemporaine : son amnésie volontaire face au traumatisme franquiste.

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