Critique : La Fille à la valise

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La Fille à la valise

Italie, France, 1961

Titre original : La ragazza con la valigia

Réalisateur : Valerio Zurlini

Scénario : Leo Benvenuti, Piero De Bernardi, Enrico Medioli, Giuseppe Patroni Griffi et Valerio Zurlini

Acteurs : Claudia Cardinale, Jacques Perrin, Luciana Angiolillo et Renato Baldini

Distributeur : Les Films du Camélia

Genre : Drame romantique

Durée : 2h01

Date de sortie : 9 juin 2021 (Reprise)

3,5/5

Ce n’est pas faire preuve d’un esprit cynique que d’affirmer que les plus belles histoires d’amour se finissent souvent mal. Au cinéma, bien entendu, et pas dans la vraie vie, où la mise en avant médiatique des féminicides nous rappelle ces derniers temps à quel point les choses peuvent dégénérer, quand le cœur n’y est plus. Le sommet de l’intensité romantique sur grand écran est atteint, lorsque les sentiments se voient sans cesse empêchés. L’amour paraît alors à portée de main, mais les conventions sociales et la frilosité des amoureux potentiels finissent invariablement par rendre son épanouissement impossible. L’un des plus beaux films de l’Histoire du cinéma à jouer avec une subtilité inouïe sur l’inhibition du désir est probablement La Fille à la valise de Valerio Zurlini.

En théorie, il s’agit de l’éternelle histoire des contraires qui s’attirent, à travers la romance pour le moins bancale entre une chanteuse impulsive et un adolescent issu de bonne famille, qui vit alors son premier grand coup de foudre. En pratique, la mise en scène d’une intensité extrêmement fine et le jeu magnétique du couple vedette en font une tragédie sublime du quotidien. Grâce au sourire irrésistible et aux yeux hautement expressifs de Claudia Cardinale et de Jacques Perrin, la narration peut en effet s’épargner les habituelles effusions de sentiments contrariés, pour mieux sonder le malaise profond au sein de ce couple qui n’en est pas vraiment un. Tiraillés entre la légèreté trompeuse d’une amitié de façade et des intentions plus troubles, les deux personnages se tournent ainsi autour, sans jamais trouver les mots ou les gestes justes pour concrétiser le courant qui aurait dû passer entre eux.

© 1961 Titanus Produzione / Société Générale de Cinématographie / Les Films du Camélia Tous droits réservés

Synopsis : A peine Aïda a-t-elle suivi Marcello, un tombeur de filles qui lui a promis monts et merveilles, que ce Don Juan invétéré l’abandonne à la première occasion. D’abord inconsolable, puis dépitée, la jeune femme cherche à le retrouver à tout prix. Elle finit par se pointer à la porte de la vaste demeure de la famille de Marcello, du côté de Parme. Son ancien amant envoie alors son frère cadet Lorenzo à sa rencontre, dans le but de se débarrasser définitivement d’elle. Or, cet adolescent d’à peine seize ans est d’emblée séduit par le désarroi d’Aïda. Il se met à la courtiser à son tour et en fonction de ses moyens financiers limités.


© 1961 Titanus Produzione / Société Générale de Cinématographie / Les Films du Camélia Tous droits réservés

Mai più Plus jamais

Si l’on peut qualifier La Fille à la valise d’histoire d’une obsession, il convient toutefois de relativiser ce terme à la connotation passablement malsaine. Sans doute serait-il plus juste de parler d’une parenthèse romantique au cours de laquelle rien ne se déroule comme prévu. La nature fortuite de la relation entre Aïda et Lorenzo, tout comme son caractère d’une fragilité importante, en font davantage une esquisse approximative. Le trait incertain de cette dernière ne permet pas non plus de définir clairement les projets sentimentaux des deux principaux intéressés. En somme, rien ne paraît prémédité au cours du récit, dont la ligne conductrice demeure précisément l’aspect imprévisible, presque condamné d’avance, des manœuvres successives de séduction réciproque. Chaque fois que le plafond de verre de la bienséance et de la timidité respective risque d’être brisé, les amants passionnels font un pas en arrière, comme s’ils étaient ahuris par leur propre impudeur.

Or, très tôt, les desseins de Lorenzo ne font guère de doute. L’insouciance juvénile qui était en quelque sorte la marque de fabrique de Jacques Perrin au début de sa carrière d’acteur laisse rapidement la place à quelque chose de plus ambigu. Tandis qu’il est encore en proie au remords par association familiale au cours des premières minutes du film, il ne tardera pas à répéter les réflexes de jalousie masculine ayant pourri bon nombre de relations tout au long de l’Histoire de l’humanité. Jusqu’à devenir un manipulateur peut-être plus perfide que son frère, à travers une suite de stratagèmes dont aucun n’atteint réellement le but escompté. Non, l’innocence dans ce qu’elle a de plus pure n’est définitivement pas de mise ici. Ni chez ce jeune adulte aux complexes précoces, ni chez l’objet de ses désirs, de loin pas aussi bête et facile à duper que sa présentation initiale veut nous le faire croire.

© 1961 Titanus Produzione / Société Générale de Cinématographie / Les Films du Camélia Tous droits réservés

Le goût amer de l’inachevé

Car les premières impressions sont effectivement trompeuses dans le troisième long-métrage de fiction de Valerio Zurlini. Aïda a beau se comporter d’une façon nullement sophistiquée dans la première séquence du film, lors d’une pause pipi improvisée, ce n’est pas pour autant une femme dépourvue d’un sacré instinct de survie. Elle accepte l’argent des hommes à reculons. Et les remontrances morales de Romolo Valli – une fois de plus abonné à la fonction de l’autorité cléricale dépassée par les événements, deux ans avant Le Guépard de Luchino Visconti – ont en fin de compte aussi peu d’effet sur elle que la gifle de Gian Maria Volontè en voix de la raison professionnelle. Il peut par conséquent paraître d’autant plus étonnant qu’elle se voile la face quant à la véritable nature des avances de son jeune prétendant.

Sauf que la narration magistrale s’emploie à semer le doute en un agencement d’ellipses impressionnant. Ainsi, les ruptures de rythme interviennent à la fois entre les séquences et à l’intérieur d’elles. Comme par exemple lors de la descente faussement théâtrale des escaliers par Aïda en peignoir, adulée par Lorenzo dans un formidable montage d’attirance grandissant, avant que les masques ne tombent. Le même va-et-vient fascinant entre l’extase et la prudence intervient à nouveau plus tard lors de l’étreinte sur la plage, toujours aussi subtilement orchestré. On pourrait alors soutenir l’hypothèse que le point de vue de la mise en scène est plus proche de la démarche du personnage principal féminin, tour à tour lucide et impulsive, que de celle du jeune homme follement amoureux, incapable de faire coexister son sursaut mi-romantique, mi-libidineux avec le rang social qu’il est censé tenir, voire défendre.

© 1961 Titanus Produzione / Société Générale de Cinématographie / Les Films du Camélia Tous droits réservés

Conclusion

La filmographie de Valerio Zurlini est hélas assez mince. Attention, on parle en termes de quantité, puisque la qualité y est indubitablement ! Comme dans La Fille à la valise, une histoire d’amour qui aurait de quoi nous inspirer une profonde tristesse, si ce n’était pour le jeu parfaitement inspiré de Claudia Cardinale et de Jacques Perrin. Il y a certes quelques défauts formels très mineurs, comme le doublage assez grossier des morceaux de musique interprétés soit par Aïda, soit par le groupe sur la terrasse. Mais dans l’ensemble, notre enthousiasme est tel qu’on vous met au défi de trouver un tableau romantique peint en demi-teinte avec plus de maestria cinématographique que celui-ci !

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