Critique : La Femme de Tchaïkovski

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Russie : 2022
Titre original : Жена Чайковского
Réalisation : Kirill Serebrennikov
Scénario : Kirill Serebrennikov
Acteurs : Alyona Mikhailova, Odin Biron
Distributeur : –
Durée : 2h23
Genre : Drame
Date de sortie : –

3,5/5

En 2016, Kirill Serebrennikov présente Le Disciple dans la sélection Un Certain regard. En 2018, avec Leto, il remporte le prix Cannes Soundtrack de la meilleure musique. L’année dernière, cet opposant à Poutine assigné à résidence n’a pas pu venir à Cannes et a dû suivre à distance sur un smartphone la standing ovation pour son chef-d’œuvre La Fièvre de Petrov. La première de La Femme de Tchaïkovski a eu lieu le 19 mai 2022.

Synopsis : Antonina Ivanovna Miliukova tombe amoureuse du musicien renommé Piotr Ilitch Tchaïkovski, dont elle ignore l’homosexualité. Il accepte de se marier avec elle pour mettre un terme aux rumeurs sur son orientation sexuelle. Le mariage est un désastre, mais la jeune femme n’accorde pas le divorce au compositeur et guette chaque occasion pour le rencontrer. Elle donne naissance à trois enfants qu’elle a avec un amant, qui meurent tous à l’orphelinat, et finit ses jours dans un asile psychiatrique.

Odin Biron et Alyona Mikhailova dans La Femme de Tchaïkovski © Bac Films

Un cinéaste en résistance

En 2016, Kirill Serebrennikov présentait Le Disciple dans la sélection Un Certain regard. En 2018, avec Leto, il remporte le prix Cannes Soundtrack de la meilleure musique. L’année dernière, cet opposant à Poutine assigné à résidence n’a pas pu venir à Cannes et a dû suivre à distance sur un smartphone la standing ovation pour son chef-d’œuvre La Fièvre de Petrov. Cet habitué de la Croisette était le seul réalisateur Russe dans la Sélection Officielle cette année. La question de la légitimité de la culture russe au moment de l’agression criminelle de l’Ukraine par la Russie – une guerre qui a déjà emporté des milliers de vies – s’est posée plusieurs fois. Il faut néanmoins faire la différence entre la Vraie Culture et la propagande de l’état, « la culture » qui ne propage que les valeurs officielles de patriotisme et de la réécriture de l’histoire, celle qui éradique les purges staliniennes et a tendance à appeler le « noir » « blanc » et vice versa. Kirill Serebrennikov s’inscrit dans une culture de la résistance qui questionne la folie du monde dans lequel nous vivons. Cette culture n’a pas de nationalité et on ne peut pas bannir un cinéaste ou tout autre artiste juste en raison de cette nationalité russe.

Descendre en enfer mais en dansant

Funérailles du plus célèbre des compositeurs russes, 1893. Sa femme s’y rend pour un dernier adieu à son mari. Le cercueil est ouvert – selon la tradition orthodoxe – entouré d’admirateurs et d’anciens amants. Tout à coup le mort se lève et chasse sa femme de la pièce.

Le film est fondé sur les mémoires d’Antonina Ivanovna Miliukova, la femme de Tchaïkovski. Kirill Serebrennikov revient sur la réalité dure et crue d’un mariage sans amour qui servait à cacher l’homosexualité du compositeur ; un sujet d’ailleurs toujours tabou dans la Russie homophobe de Vladimir Poutine. L’incommunicabilité sur les véritables désirs du musicien dans la société misogyne détruit la santé mentale de la jeune femme obsédée par son amour. Le film n’est guère féministe, même si l’histoire est racontée du point de vue de l’épouse. Serebrennikov nous la présente autant amoureuse de sa musique que de sa personnalité.

Odin Biron et Alyona Mikhailova dans La Femme de Tchaïkovski © Bac Films

Les descentes dans des labyrinthes dantesques au fonctionnement rhizomique de La Fièvre de Petrov sont remplacées ici par une trajectoire plus au moins linéaire de l’effondrement dans la folie d’une jeune femme masochiste amoureuse de l’amour. On pourrait se croire dans un drame en costume classique, mais non, les passages poétiques et dansants, à la provenance incertaine, ponctuent et dynamisent le film. L’ambition langagière du russe du 19ème siècle au début du film semble s’estomper et laisser place à une langue contemporaine. La performance d’Alyona Mikhailova est remarquable et aurait pu légitimement remporter le prix d’interprétation féminine.

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