Critique : Gagarine

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Gagarine

France : 2020
Titre original : –
Réalisation : Fanny Liatard, Jérémy Trouilh
Scénario :   Fanny Liatard, Jérémy Trouilh, Benjamin Charbit
Interprètes : Alséni Bathily, Lyna Khoudri, Jamil McCraven
Distribution : Haut et Court
Durée : 1h38
Genre : Drame
Date de sortie : 23 juin 2021

4/5

Après avoir étudié ensemble à Sciences Po, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh ont vécu un exil séparé, Fanny au Liban puis à Marseille, Jérémy en Inde puis en Amérique du Sud. De retour à Paris, ils se sont retrouvés avec un désir commun, celui d’écrire et de réaliser des films de fiction. Après la réalisation de 3 court-métrages, ils se sont lancés dans leur premier long-métrage, Gagarine, en étoffant … Gagarine, leur premier court-métrage de 2015. Ce film faisait partie de la sélection officielle de Cannes 2020.

Synopsis : Youri, 16 ans, a grandi à Gagarine, immense cité de briques rouges d’Ivry-sur-Seine, où il rêve de devenir cosmonaute. Quand il apprend qu’elle est menacée de démolition, Youri décide de rentrer en résistance. Avec la complicité de Diana, Houssam et des habitants, il se donne pour mission de sauver la cité, devenue son  » vaisseau spatial « .

Agé de 16 ans, Youri a toujours vécu dans la cité Gagarine à Ivry. Lorsqu’il apprend qu’il est très sérieusement envisagé de démolir cette cité, Youri ne le supporte pas et il entre en résistance. Certes, cette cité emblématique de la banlieue rouge, construite au début des années 60, présente de nombreux problèmes de sécurité ou liés à la santé, des fissures, des tassements observés dans les bâtiments, de fréquentes pannes d’ascenseurs, la présence importante d’amiante, mais Youri vit dans cette cité comme, plusieurs années auparavant, il avait vécu dans le ventre de sa mère. La perdre est donc inimaginable, tant elle représente pour lui son passé, son présent et son avenir. Son premier réflexe consiste donc à réparer tout ce qu’il peut, aidé par son ami Houssam, afin que, lors des visites d’inspection, elle apparaisse sous son meilleur jour et, espère-t-il, puisse être sauvée.

Cette cité, on la voit vivre, avec ses habitants qui s’entraident, avec son voisinage, exempt de véritables rencontres, avec un campement rom, avec ses vieux, avec ses jeunes, et même avec ses dealers. Toutefois, lorsque la démolition devient de plus en plus inéluctable, le film, jusque là très réaliste, va devenir très onirique, très poétique, avec Youri, cet enfant de Gagarine, qui va chercher à se transformer en héros de l’espace en construisant une capsule de cosmonaute au 7ème étage d’un bâtiment de la cité, préparant, en quelque sorte, son départ vers un ailleurs. Et, dans une très belle scène, on aura vu la cité envoyer un SOS en morse lumineux dans le ciel de Paris, un appel à l’aide pour qu’une plus grande attention soit apportée à une frange de la société qui est trop souvent oubliée, ou, pire encore, rejetée. 

Un réalisme magique sud-américain

Le 12 avril 1961, le cosmonaute soviétique Youri Gagarine a été le premier être humain à effectuer un vol dans l’espace. A la même époque, et ce depuis de nombreuses années, la proche banlieue de Paris était très souvent surnommée la ceinture rouge tant le nombre de municipalités communistes y était important. La ville d’Ivry, fief du dirigeant communiste Maurice Thorez, faisait partie de cette ceinture rouge et c’est là qu’a été construite la cité Gagarine, une cité de 374 logements, à l’époque un symbole de modernité chargé d’occuper la place d’un des nombreux bidonvilles de la banlieue parisienne. Cette cité, c’est Youri Gagarine lui-même qui est venu l’inaugurer le 31 septembre 1963, ce qui nous est montré dès le début du film avec des images d’archive.

A l’image de Youri, un jeune des banlieues qui a les pieds sur terre tout en ayant la tête dans les étoiles, Gagarine donne un reflet réaliste de la population de la cité tout en s’autorisant un important versant onirique et poétique. En fait, ayant vécus tous les deux en Amérique du Sud, elle au Pérou, lui en Colombie, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh reconnaissent avoir été influencé.e.s par le réalisme magique qui imprègne cette partie du monde. C’est dès 2014, à l’époque où on commençait à parler de la démolition de la cité Gagarine, que Fanny et Jérémy avaient fait connaissance avec elle pour le tournage de leur court-métrage. Des liens avaient été noués avec les habitants, liens qui ont été fort utiles pour la réalisation de leur long métrage. Connaissant bien les lieux, Fanny et Jérémy connaissaient l’existence d’un campement de roms à proximité de la cité. Il leur est apparu intéressant de procéder à une rencontre entre deux personnages issus de ces 2 mondes, Youri et Diana, la jolie jeune femme au sens pratique très développé et dont il est amoureux. Le tournage du film a commencé à peu près au moment où les ouvriers chargés de la démolition investissaient les lieux et, aujourd’hui, la cité Gagarine n’existe plus que dans le film. On peut voir dans cette disparition de ce lieu tellement chargé d’espoir lorsqu’il vit le jour, ce lieu implanté en pleine ceinture rouge, une allégorie de la fin du rêve communiste des années 60.

La distribution

Lors de l’écriture du scénario, Fanny Liatard et Jérémy Trouilh avaient en tête un Youri plutôt frêle, un personnage donnant l’impression d’être encore proche de l’enfance et, si possible, originaire de la cité Gagarine. Après 6 mois de recherches infructueuses, Alséni Bathily s’est présenté après avoir vu l’annonce du casting dans son lycée : grand, très sportif, un corps d’adulte, tout le contraire du Youri recherché. Mais avec un regard et une douceur permettant de remplir le cahier des charges en matière de part d’enfance. Originaire de la cité Gagarine ? Non, mais son père y avait été hébergé quand il était arrivé en France ! Face à ce débutant, par ailleurs très convaincant, Lyna Khoudri, l’interprète de Diana, a apporté son expérience acquise lors d’une grosse dizaine de tournages, dont le rôle principal dans Papicha de Mounia Meddour qui lui a permis d’obtenir en 2020 le César du meilleur espoir féminin. A leurs côtés, Jamil McCraven interprète Houssam et Finnegan Oldfield le dealer Dali. Quant à Denis Lavant, il apporte une touche de cinéphilie dans une courte apparition, lui ce comédien tellement lié à Leos Carax, réalisateur qui fait partie de ceux dont Fanny Liatard et Jérémy Trouilh peuvent se revendiquer. Par ailleurs, de nombreux habitants de la cité ont participé au film, donnant une touche quasiment documentaire à certaines parties du film.

Conclusion

Il est rare que le cinéma français quitte le sentier bien balisé d’un réalisme pur et dur pour partir vers un réalisme magique, mélange de poésie et d’onirisme, digne de ce qui se fait beaucoup plus couramment dans les divers cinémas sud-américains. Fanny Liatard et Jérémy Trouilh ont osé procéder à ce pas de côté et on ne peut que s’en féliciter tant la réussite s’est invitée tout au long de ce chemin.

Copyright photos Haut et Court

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