Critique : Félicité

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Félicité

France, Belgique, Sénégal : 2017
Titre original : –
Réalisation : Alain Gomis
Scénario : Alain Gomis, Delphine Zingg, Olivier Loustau 
Acteurs : Véro Tshanda Beya Mputu, Papi Mpaka, Gaetan Claudia
Distribution : Jour2fête
Durée : 1h49
Genre : Drame
Date de sortie : 29 mars 2017

4/5

Agé de 45 ans, le réalisateur franco-sénégalais Alain Gomis propose avec Félicité son 4ème long métrage. Ce film, il est allé le tourner à Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo, une ville tentaculaire et bouillonnante, dans laquelle il s’est immergé pendant plusieurs mois et dont il a capté la fièvre au travers d’une femme, Félicité, chanteuse de bar fière et courageuse. Auréolé du Grand Prix du Jury qui lui a été attribué lors du récent Festival de Berlin, on peut espérer que ce magnifique portrait de femme rencontre un public plus conséquent que les trois premiers films de son réalisateur.

Synopsis : Félicité, libre et fière, est chanteuse le soir dans un bar de Kinshasa. Sa vie bascule quand son fils de 14 ans est victime d’un accident de moto. Pour le sauver, elle se lance dans une course effrénée à travers les rues d’une Kinshasa électrique, un monde de musique et de rêves. Ses chemins croisent ceux de Tabu.

De l’argent à trouver rapidement

Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo, une des villes les plus peuplées d’Afrique avec ses 12 millions d’habitants, une ville dans laquelle la musique tient un rôle très important, avec, en particulier, la rumba zaïroise dont la popularité a atteint depuis longtemps les rivages de l’Europe et de l’Amérique, mais aussi d’autres genres comme la musique traditionnelle de la province du Kasaï, musique qu’on peut entendre dans des bars de la ville, jouée par des groupes dans une version amplifiée.

C’est au sein d’un tel groupe que se produit Félicité, une femme au fort caractère dont ce qu’elle gagne grâce à ce travail suffit à la faire vivre, elle et son fils, de façon certes modeste mais tout à fait convenable. Sauf qu’un accident de moto conduit son fils à l’hôpital et qu’il lui faut trouver très rapidement l’équivalent de 1000 Euros pour qu’une opération puisse être pratiquée afin d’éviter l’amputation d’une jambe. Une recherche qui s’avère difficile et parfois même dangereuse, racontée en parallèle avec la drague menée auprès d’elle par Tabu, un client du bar où elle se produit, coureur de jupons, buveur invétéré, violent lorsqu’il a trop bu, plein d’attention et très doux lorsqu’il est à jeun.


Un film universel

Par certains côtés, Félicité fait penser à certains films du philippin Brillante Mendoza, tels Lola et Ma’ Rosa : des villes tentaculaires dans lesquelles le petit peuple n’arrive que très difficilement à subsister (lorsqu’il y arrive !), des femmes, des mères qui se battent avec une grande énergie pour faire vivre leur famille, des systèmes sociaux défaillants, des policiers corrompus. Par rapport à Mendoza qui, d’une certaine façon, reste dans le misérabilisme, Alain Gomis enrichit son récit grâce à la musique.

Tout d’abord, bien sûr, celle que joue le groupe Kasaï Allstars, une musique forte comme un coup de poing, âpre, agressive, au caractère sexuel prononcé, une musique qui appelle la transe. Et, à côté, venant apaiser le récit à intervalles réguliers, des musiques du compositeur estonien Arvo Pärt qu’on voit et qu’on entend interprétées par l’Orchestre Symphonique Kibamguiste, dirigé par Armand Diangienda, le seul orchestre symphonique d’Afrique subsaharienne. Des interventions qui jouent le rôle de chœur antique et qui permettent de montrer le caractère universel de Félicité, d’en faire autre chose qu’un film ne reposant que sur son caractère de film social misérabiliste.

Une comédienne qui s’est imposée

A l’origine de Félicité, il y a la force et la droiture de femmes qu’Alain Gomis a eu l’occasion de rencontrer au cours de son existence ainsi que l’histoire tragique d’un cousin dont il se sentait très proche et qui a perdu une jambe, après qu’elle eut été mal soignée. Un premier scénario a été écrit, en collaboration avec Delphine Zingg et Olivier Loustau, le réalisateur de La fille du patron. C’est à Kinshasa qu’il a choisi d’aller le filmer, une ville qui, tout à la fois, le fascinait et l’effrayait. Kinshasa, la capitale d’un pays doté d’un faux article de sa constitution, devenu proverbial et qui dit, très laconiquement : « Débrouillez vous ».

Sur place, il a rencontré de nombreux comédiens et comédiennes, dont Véro Tshanda Beya Mputu, qui a fini par s’imposer et devenir son interprète principale alors qu’au début de leur rencontre, il la trouvait très différente de l’image du rôle qu’il avait en tête, à la fois trop jeune et trop belle. L’opiniâtreté de Véronique a finalement eu raison de ses réserves et ce ne sont pas les spectateurs qui vont le regretter, tant cette femme, dont c’est la première apparition au cinéma, dégage une vitalité et une puissance hors du commun tout en se montrant capable de se laisser aller lorsque les circonstances lui font perdre la plus grande partie de sa volonté. Par ailleurs, il est intéressant de savoir que ce n’est pas la voix de Tshanda qu’on entend chanter dans le film : celle qu’on entend, c’est Muambuyi, la chanteuse de Kasaï Allstars, qui a prêté sa voix à la comédienne et qui lui a appris les chansons afin qu’elle puisse les interpréter en play-back.

Dans sa façon de filmer et de monter ses films, Alain Gomis a le désir de donner au spectateur la possibilité de s’approprier le film par petits morceaux, de le construire en quelque sorte à partir de briques élémentaires. Il aime que la caméra s’approche des corps de ses personnages, considérant qu’un comédien donne davantage de lui-même lorsqu’il arrive à accepter la proximité de ce matériel.

Conclusion

Film à la fois social et, à sa façon, romantique, film âpre utilisant avec bonheur deux styles de musique qui sont aux antipodes l’un de l’autre, Félicité est un film puissant et attachant qui montre qu’en Afrique comme un peu partout dans le monde, la femme représente l’avenir de l’homme.

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