Critique Express : Le grand mouvement

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Le grand mouvement

Bolivie : 2021
Titre original : El Gran Movimiento
Réalisation : Kiro Russo
Scénario : Kiro Russo
Interprètes : Julio Cezar Ticona, Israel Hurtado, Francisa Arce de Aro, Max Bautista Uchasara
Distribution : Survivance
Durée : 1h25
Genre : Drame
Date de sortie : 30 mars 2022

3/5

Synopsis : Elder arrive à pied à La Paz après sept jours de marche pour protester avec ses amis mineurs contre leur renvoi des mines de Huanuni. Bientôt Elder tombe malade et la métropole l’asphyxie peu à peu.
Max, sorcier des rues, sillonne, lui, sans relâche les confins de la ville qui semble ancrée au plus profond de son être.
Des entrailles de la Terre aux 3600 mètres d’altitude de la capitale bolivienne, le chemin d’Elder, le damné, croisera celui de Max dans une symphonie urbaine rédemptrice.


La Paz, Elder et Max

La Paz, la capitale administrative de la Bolivie : à 3600 mètres d’altitude, la capitale la plus haute du monde, et, commune limitrophe, El Alto, près d’un million d’habitants et plus de 4000 mètres d’altitude. Le décor de Le grand mouvement est planté. Une ville grouillante d’animation que Kiro Russo nous fait aborder avec un long zoom avant d’une grande douceur accompagné d’une musique oppressante. 3 personnages principaux dans son film : la ville elle-même, avec son mélange de vieilles bâtisses plus ou moins délabrées et de constructions modernes, avec ses marchés, avec son réseau de transports en commun très particulier, un réseau de télécabines urbains qui est le plus important au monde, et puis Elder et Max. Elder, sorte de figure emblématique du peuple bolivien et de ses travailleurs, est un mineur arrivé à pied d’Huanuni avec d’autres mineurs des mines d’étain afin de trouver du travail dans la capitale lorsque leur contrat avec la mine s’est terminé. Ces mineurs, on les voit manifestant dans La Paz aux cris de « Huanuni debout ! Jamais à genoux ! », « Mineur dans le sang ! Cœur de combattant ! ». Manifestement, Elder est en mauvaise santé : à la silicose qu’il a contractée dans la mine, vient s’ajouter le chaos oppressant de la grande ville. Il vacille, il a du mal à se déplacer, il doit être aidé par ses amis. Et qui est cette Mama Panchita, cette vieille femme qui dit le connaître, qui prétend qu’il est son filleul ? Max, lui aussi, est une figure emblématique de la Bolivie et de son peuple. Il représente la face ancestrale du pays, cet « entre-deux » où le surnaturel, le magique viennent rencontrer le réel. Miséreux, il erre dans la ville et dans la campagne environnante, rencontrant des panthères noires et un chien blanc, prophétisant que La Paz va être réduite en poussière, plaisantant avec des femmes qui lui conseillent d’arrêter de fumer : « Avant de me faire fumer, je prends de l’avance, … en fumant ».

 

Après 3 court-métrages, Kiro Russo avait réalisé en 2016 un premier long métrage, Viejo Calavera, et Le grand mouvement est son deuxième long métrage. En 2021, il a été présenté dans de nombreux festivals et a été primé dans plusieurs d’entre eux dont, en particulier, le prix Spécial du Jury Orizzonti à la Biennale de Venise. A la vision de Le grand changement, il n’est pas interdit de penser au cinéma du thaïlandais Apichatpong Weerasethakul. En effet, on retrouve dans ce film, comme dans d’autres films réalisés en Amérique du Sud ou en Amérique Centrale, comme, par exemple, La danse du serpent de Sofia Quirós Ubeda, cette rencontre subtile entre monde du réel et présence du surnaturel. Il n’a d’ailleurs pas été étonnant de constater que c’est en Colombie que Apichatpong Weerasethakul a réalisé Memoria, son film le plus récent ! Toutefois, tout en étant souvent très onirique, tout en étant aussi souvent proche d’un cinéma expérimental, avec des images déformées et une utilisation très particulière du son, Le grand mouvement est aussi un véritable documentaire sur la Bolivie, une Bolivie en pleine évolution, partagée entre survivance du passé et modernisme, vieilles croyances impliquant le diable dans l’apparition d’une maladie face à la médecine moderne, vieilles demeures branlantes face à des habitations contemporaines. Dans ce film tourné en 16 mm, le côté documentaire est d’autant plus sensible que les comédiens et comédiennes sont tou.te.s des non professionnel.le.s. Max Bautista Uchasara, l’interprète de Max, le réalisateur le connait depuis 2004 et il n’imaginait pas réaliser son film sans sa présence. Même si, gêné par la présence de la caméra, il a été finalement moins présent que ce qu’en attendait Kiro Russo, il lui a apporté beaucoup en lui montrant des choses qu’il ne connaissait pas, qu’il n’avait jamais vues. Film souvent déroutant, Le grand changement est une expérience cinématographique qui mérite d’être vécue.

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