Critique Express : Cesária Évora, la diva aux pieds nus

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Cesária Évora, la diva aux pieds nus 

Portugal : 2022
Titre original : Cesária Évora
Réalisation : Ana Sofia Fonseca
Interprètes : Cesária Évora, Compay Segundo
Distribution : Epicentre Films
Durée : 1h34
Genre : Documentaire, Biopic
Date de sortie : 29 novembre 2023

4/5

Synopsis : Cesária Évora chante son titre « Sodade » en 1992, la faisant reconnaître internationalement à 51 ans. Longtemps simple chanteuse de bar au Cap-Vert, la légende que l’on connaît n’a pas toujours connu la gloire sinon la pauvreté. Femme profondément libre, généreuse et bien entourée, la “Diva aux pieds nus” a su finalement faire briller sa musique à travers le monde tout en restant fidèle à son Cap-Vert, la consacrant reine de la Morna et reine des coeurs

                    © Janete Évora

Dans le monde si particulier et parfois cruel du show-business, il arrive de temps à autre des histoires qui s’apparentent à des contes de fée. L’histoire vécue par la chanteuse capverdienne Cesária Évora en est un exemple frappant. Pensez donc : une femme de 50 ans qui a toujours vécu dans une grande pauvreté, originaire d’une toute petite île faisant partie d’un archipel de 10 îles volcaniques posé au large de l’Afrique et constituant un tout « petit pays » de 4000 km2 et d’environ 600 000 habitants, et qui, en quelques mois, va être propulsée au rang de grande star internationale de la chanson et rejoindre Billie Holiday, Oum Kalsoum, Edith Piaf, et quelques autres au Panthéon des voix féminines qui ont fait vibrer la planète. Quels sont les ingrédients qui permettent de rendre réel un tel conte de fée ? En fait, il y en a 2 : le talent et la chance. Le talent, Cesária Évora, chanteuse autodidacte, l’a toujours eu, en particulier quand elle gagnait péniblement sa vie en chantant dans les bars de Mindelo, sa ville de naissance. Le talent, elle l’avait, mais d’autres, Titina par exemple, l’avaient également, et n’ont pas connu le succès de Cesária. La chance, Cesária Évora l’a eue en rencontrant José da Silva dans le courant des années 80, pile-poil au moment où ce qu’on appelle la musique du monde commençait à rencontrer un très grand succès, à un moment, également, où le monde de la musique tournait toujours autour de l’importance de l’album et n’avait pas encore été bouleversé par le streaming.

José da Silva, c’est un capverdien qui vivait à Paris et travaillait comme aiguilleur à la SNCF. Avant de rencontrer Cesária Évora,  il n’avait qu’une toute petite expérience en tant que producteur. Lorsqu’ils se sont rencontrés à Lisbonne, Cesária et José étaient très loin de se douter qu’ils allaient très vite se métamorphoser l’un l’autre. Une métamorphose en terme de notoriété, bien entendu, mais qui n’est jamais allée jusqu’à faire de Cesária une femme différente de ce qu’elle avait été jusque là : une femme simple, généreuse, une femme qui, une fois célèbre, rapportait de ses tournées de nombreuses valises pleines de cadeaux destinés aux personnes qui, dans le passé, l’avaient aidée, une femme libre, en avance sur son temps en matière de féminisme, même si elle n’a probablement jamais prononcé ce mot, une femme d’une grande timidité qui avait besoin de boire de l’alcool pour monter sur scène et qui, lorsqu’elle avait un concert le samedi, commençait à boire le vendredi et s’arrêtait le dimanche jusqu’au concert suivant. C’est toute cette existence si particulière que raconte Ana Sofia Fonseca dans ce passionnant documentaire consacré à Cesária Évora, surnommée « Cize » à Mindelo et « la diva aux pieds nus » dans notre pays.

                      ©Lusafrica (Eric Mulet)

Journaliste et conteuse d’histoires, Ana Sofia Fonseca partage sa vie entre le Portugal, son pays d’origine, et le Cap Vert où sa maison est proche de celle de Cesária Évora. Le décès de Cesária, en décembre 2011, l’a profondément touchée et elle a tout de suite pensé que faire un film sur cette grande artiste allait tôt ou tard devenir une obligation. Toutefois, à l’époque, ce n’est pas elle-même qu’elle voyait en tant que réalisatrice d’un tel film ! Et c’est pourtant ce qui est arrivé une dizaine d’années plus tard. Encore fallait il arriver à réunir suffisamment d’images d’archives pour réaliser le film qu’elle avait en tête : un film centré sur Cesária, avec certes des intervenants, amies d’enfance, petite-fille, journaliste, manager, chef d’orchestre, intendant de sa maison de Mindelo, etc.,  qui, par leurs paroles, contribueraient à dresser un portrait de la femme et de l’artiste, mais que, tout comme Cesária, on ne verrait qu’au travers d’images d’archives. La collecte de ces images a demandé du temps mais la richesse du « butin » est exceptionnelle, couvrant un très grand nombre d’années de la vie de Cesária.

Ana Sofia Fonseca a choisi de ne montrer que très peu d’images de prestations scéniques, préférant consacrer le plus de temps possible à la femme de fidélité et de caractère qu’était Cesária Évora. Fidélité sans borne pour son pays, cherchant dans tous les pays du monde à rencontrer les compatriotes qui y vivaient en tant qu’exilés, rêvant dès qu’elle a gagné un peu d’argent à la maison qu’elle allait faire construire à Mindelo, une maison qui ne risquerait pas de s’écrouler sur ses habitants et dans laquelle elle pourrait recueillir des personnes dans le besoin. Une générosité qui a fait qu’à Mindelo on l’appelait « Docteur » car il y avait toujours beaucoup de monde dans la salle d’attente, à qui elle donnait de l’argent et qu’elle aidait. Dans cette maison, on fait la connaissance d’un personnage qui fut très important pour Cesária : Piroc, tout à la fois son intendant, son confident et le cuisinier qui lui préparait une cachupa, le plat national du Cap-Vert, chaque fois qu’elle revenait poser ses valises à Mindelo. Parmi toutes les scènes que nous propose le film, la plus mémorable est sans doute la rencontre en 1999, à Cuba, entre Cesária Évora et Compay Segundo lors de l’enregistrement en duo de la chanson « Lacrimas negra ». Cesária qui avait une préférence pour les hommes jeunes et beaux et qui, alors âgée de 58 ans, se retrouve auprès d’un homme certes séduisant mais qui, lui, a déjà 92 ans, Cesária qui n’hésite pas à demander à Compay Segundo si … il peut encore baiser !

En mars 2012, quelques semaines après le décès de la chanteuse le 17 décembre 2011, l’aéroport international de l’île de São Vicente a été rebaptisé Aéroport international Cesária-Évora. En 2019, la morna a été Inscrite par l’UNESCO sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Merci Cesária Évora, vous êtes pour beaucoup dans cette inscription. Merci Ana Sofia Fonseca pour nous avoir permis d’entrer dans l’intimité de cette grande chanteuse.

                                                           ©Pierre René-Worms

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