Critique : Douce France

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 Douce France

France : 2019
Titre original : –
Réalisation : Geoffrey Couanon
Scénario : Geoffrey Couanon
Interprètes : Amina, Sami, Jennyfer
Distribution : Jour2Fête
Durée : 1h35
Genre : Documentaire
Date de sortie :  16 juin 2021

3.5/5

Après avoir fait des études de communication en France et en Angleterre, Geoffrey Couanon a été assistant sur des émissions de radio  de France Inter avant de suivre des études en réalisation cinématographique en Belgique. Des études qui l’ont mené à la réalisation de documentaires, avec un intérêt particulier pour l’agriculture et le développement durable. A son actif également, un court métrage de fiction, d’une durée de 30 minutes : Nieuwpoort en juin, diffusé sur Arte et la RTBF. A la suite de Douce France, son premier documentaire long métrage, il travaille actuellement sur Si se puede !, un long-métrage documentaire sur la paysannerie cubaine.

Synopsis : Amina, Sami et Jennyfer sont lycéens en banlieue parisienne, dans le 93. A l’initiative de trois de leurs professeurs, ils se lancent dans une enquête inattendue sur un gigantesque projet de parc de loisirs qui implique de bétonner les terres agricoles proches de chez eux.
Mais peut-on avoir le pouvoir d’agir sur un territoire quand on a 17 ans ?
Drôles et intrépides, ces néo-citoyens nous emmènent à la rencontre d’habitants de leur quartier, de promoteurs immobiliers, d’agriculteurs et même d’élus de l’Assemblée Nationale.
Une quête réjouissante qui bouscule les idées reçues et ravive notre lien à la terre !

Un trio d’élèves de première

Amina ; Sami ; Jennyfer. Trois éléves de première du Lycée Jean Rostand de Villepinte, une ville de 40 000 habitants située dans le 93, tout près de l’aéroport Charles de Gaulle. Tout près également de Gonesse, où, depuis une dizaine d’années, est envisagée l’implantation très controversée d’un énorme mégacompexe regroupant des loisirs, dont une piste de ski artificielle, des équipements culturels, des commerces, des hôtels et restaurants ainsi qu’un parc urbain et une ferme urbaine. Le nom de ce projet : EuropaCity. Amina ; Sami ; Jennyfer : des adolescent.e.s qui aiment faire du shopping, porter des vêtements estampillés Nike ou Adidas, manger des frites dans un fast-food. Des adolescent.e.s dont la conscience politique et la conscience écologique sont, au départ, quasiment inexistantes. Des adolescent.e.s a priori indifférent.e.s à l’avenir des terres de leur région, séduit.e.s par contre, à l’avance, par ce qu’un projet comme EuropaCity peut leur apporter en matière de divertissement et d’emplois. En fait, des adolescent.e.s qui n’ont rien d’exceptionnel, ni dans un sens, ni dans l’autre. Quelques différences quand même : alors qu’Amina envisage de travailler plus tard dans le social en s’occupant d’ados en difficulté, Jennyfer, elle, a pour ambition de trouver un travail bien rémunéré dans la finance. Quant à Sami, il se cherche, il préfère être à l’écoute que parler et il a une pratique sportive à la fois solitaire et très assidue. C’est un trio de professeur.e.s qui va lancer ce trio d’élèves, ainsi que leurs condisciples, dans une enquête approfondie sur le projet EuropaCity, une enquête qui, petit à petit, va les transformer et en faire des citoyen.ne.s aptes à la réflexion et à l’engagement : Marie, la professeure de Géographie, qu’on sent particulièrement  impliquée dans son enseignement, Thomas, professeur de Sciences Économiques et Sociales, et Hanane, professeure de Sciences de la Vie et de la Terre.

L’évolution du trio

La construction du film se faisant de façon chronologique, nous spectateurs, avons tout loisir de suivre l’évolution de notre trio d’enquêteurs au fil des très nombreuses rencontres, très variées, qu’ils sont amenés à faire. Des rencontres qu’ils préparent entre eux, dans des jeux de rôle où ils échangent les arguments en faveur et en défaveur du projet. Très longtemps, on les sent aptes à passer d’un avis à l’autre selon le dernier argument, pour ou contre le projet, qu’ils viennent d’entendre. Quelques rencontres vont se révéler particulièrement importantes pour le trio : pour Amina, qui aime tant la mode, la découverte des magasins de vêtements de seconde main à bas prix, des baskets éthiques, celle, aussi, juste à côté de chez elle, de l’AMAP d’Aulnay ; pour Jennyfer, qui ne rêve que de business et de finance, la découverte de l’existence d’une finance solidaire qui permet de sauvegarder les terres et de venir en aide aux agriculteurs ; pour Sami, la rencontre avec Florent, un maraîcher, responsable des AMAP d’Ile-de-France, qui cultive en bio dans l’Essonne, une rencontre qui lui permet de s’ouvrir sur le monde agricole dans lequel, après tout, il pourrait, d’une façon ou d’une autre, trouver sa voie. Cerise sur le gâteau, ce film sur l’ouverture au monde de ce trio est présenté dans un environnement digne d’un grand western, en cinémascope, ce qui permet de mettre en valeur les quelques (rares) grands espaces qui restent encore à proximité de Paris.

EuropaCity

En France, le bétonnage des terres agricoles représente l’équivalent de 10 terrains de football toutes les heures. Rien qu’en Ile-de-France, ce sont 1400 hectares de terre agricole qui sont perdues chaque année. Une partie non négligeable de ces surfaces est utilisée pour la construction de zones commerciales. Porté par le groupe Auchan et son partenaire chinois Wanda, doté d’un budget d’investissement global de trois milliards d’euros, Europacity était le plus important projet privé de loisirs, culture, commerce et divertissement d’Europe. D’un côté, 230 000 m2 de commerces, de bureaux et d’hôtels, autour d’un parc aquatique et d’une piste de ski artificielle venant s’installer sur 280 hectares de terres agricoles particulièrement fertiles dans le triangle de Gonesse. La promesse de voir créer 11 000 emplois (dont tout laisse à penser qu’ils en détruiront autant dans l’environnement immédiat, dans les petits commerces et les centres commerciaux déjà implantés). De l’autre côté, 17 agriculteurs qui cultivent du blé, du maïs, du colza et des betteraves. Certes, on a moins parlé d’EuropaCity que de Notre-Dame-des-Landes dans les medias. Il n’empêche : en 2019, d’importantes mobilisations citoyennes ont réussi à faire reculer l’État qui a annoncé l’abandon d’EuropaCity. Méfiance toutefois : certains élus, certains groupes financiers sont têtus et il n’est pas exclu que le projet ressorte, sous une forme ou sous une autre.

Conclusion

Pour une fois où un film nous présente des jeunes du 93 sans recherche du sensationnel et sans aucune démagogie, on ne va surtout pas s’en plaindre. Non, Amina, Sami et Jennyfer sont des adolescent.e.s d’aujourd’hui qui s’expriment parfaitement, qui savent réfléchir et qui ne campent pas de façon définitive et bornée sur n’importe quelle position. Comme, en plus, Amina, Sami et Jennyfer ont la chance d’avoir à leur côté des enseignant.e.s très impliqué.e.s et de grande qualité, on constate que la « fabrique » de citoyens responsables que doit être l’école n’est pas encore morte malgré tous les coups qu’elle reçoit. 

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