Critique : Acide

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Acide

France, 2023
Titre original : –
Réalisateur : Just Philippot
Scénario : Yacine Badday et Just Philippot
Acteurs : Guillaume Canet, Laetitia Dosch, Patience Munchenbach et Suliane Brahim
Distributeur : Pathé
Genre : Anticipation / Avertissement
Durée : 1h40
Date de sortie : 20 septembre 2023

3/5

De quoi notre avenir climatique sera-t-il fait ? Personne ne peut prétendre à le savoir avec certitude. Dans tous les cas, les événements exceptionnels qui nous ont fait ponctuellement souffrir ces dernières années – la chaleur, la sécheresse ou les précipitations – sont appelés à devenir la norme plus tôt que l’opinion publique ne le pense. Quand ce cataclysme s’abattra sur nous sous une forme jusque là impossible à prédire, seuls les instincts de survie les plus primaires permettront à un nombre réduit d’hommes, de femmes et d’enfants de s’en sortir. Pour tous les autres, ce sera l’hécatombe, dans un monde aux institutions et au maintien de l’ordre devenus inopérants par la force des choses.

On comprend tout à fait qu’un tel scénario cauchemardesque ne peut inspirer que de l’éco-anxiété accrue, incitant l’esprit humain à se braquer face à tant de mauvais présages. En faire un film ne relève pas non plus de la rigolade comme le démontre Just Philippot avec son deuxième long-métrage, deux ans après La Nuée.

Toutefois, Acide fait preuve d’un courage indiscutable lorsqu’il s’agit de dérouler une intrigue à l’issue forcément néfaste. La vie humaine n’y vaut pas plus chère que la prochaine pluie mortelle. Et les personnages font de leur mieux, face à une situation qui dépasse l’entendement. L’horreur les prend régulièrement en étau, avec comme seul mince espoir de survie la fuite en avant. Sauf que le danger les guette partout et que des havres de paix autrefois si prisés, comme le foyer familial ou la voiture, montrent rapidement leurs limites, quand ils sont exposés aux précipitations corrosives. Dans ce monde de demain, les héros n’ont pas plus leur place que les effusions de sentiments, l’urgence et la précarité mettant tout le monde à pied d’égalité.

La banalité assumée des protagonistes, Guillaume Canet et Laetitia Dosch en couple dysfonctionnel accompagné de leur fille adolescente campée avec une force grandissante par la jeune Patience Munchenbach, rend leur calvaire plus accessible, quoique nullement plus réconfortant.

© 2023 Bonne Pioche Cinéma / France 3 Cinéma / Canéo Films / Pathé Tous droits réservés

Synopsis : Le monde de Michal a basculé quand un plan social dans son entreprise a dégénéré en affrontement violent avec les forces de l’ordre. Un divorce et une condamnation plus tard, il tente de reconstruire sa vie avec Karin en Belgique, la seule à avoir cru en lui. En attendant, il a la garde alternée de sa fille adolescente Selma, qui vit assez mal la popularité douteuse de son père, ancien casseur de flics. Quand un nuage de pluie acide s’approche du nord de la France, Michal et son ex-femme Elise se précipitent ensemble pour retirer leur fille de son internat équestre. Où peuvent-ils bien se réfugier face à cette pluie dévastatrice, qui détruit tout sur son passage ?

© 2023 Laurent Thurin / Bonne Pioche Cinéma / Umedia Production Services / Pathé Tous droits réservés

Regardez le ciel

La violence sociale n’est-elle que le signe avant-coureur de la catastrophe climatique à venir ? On pourrait arriver à cette conclusion en regardant les premières minutes de Acide. Or, ces deux phénomènes sont étroitement liés dans un monde, où la misère sociale prend souvent racine dans une injustice écologique flagrante et inversement. En tout cas, le combat pour leur survie que les personnages principaux du film de Just Philippot devront livrer s’interroge régulièrement sur quel vestige de la civilisation il convient encore de respecter et duquel on peut désormais se passer. Dans ce contexte, la méchanceté et l’égoïsme humains y font plutôt preuve de discrétion, tandis que les gouttes assassines vaquent imperturbablement à leur sinistre occupation. Le mouvement de foule vers un lieu sûr illusoire produit dès lors une sensation de désespoir encore plus grande que les moments de panique généralisée, qui rythment le récit au demeurant avec parcimonie.

Et même avant cette course contre la montre impossible à gagner, le monde ne tourne guère rond pour Michal et sa famille bancale. Il fait partie de ces personnages meurtris qui reviennent de loin, empressés de tourner la page et pourtant incapables de trancher clairement en faveur de la vie d’avant ou de celle d’après. Ni l’une, ni l’autre ne se distingue d’ailleurs par une quelconque forme d’idéalisme, le scénario prenant soin de décrire ce héros malgré lui comme un homme à tendance colérique, qui n’a visiblement pas encore tiré toutes les leçons de son passé trouble.

Le jeu globalement sobre de Guillaume Canet a l’avantage de dépouiller ce père de famille imparfait de toute noblesse. Faute de réponses aux questions pressantes que les circonstances hautement périlleuses lui imposent, il fonce tête baissée, avec par ci, par là un retour nullement valorisant vers de vieux réflexes défensifs à l’égard de son entourage.

© 2023 Laurent Thurin / Bonne Pioche Cinéma / Umedia Production Services / Pathé Tous droits réservés

La Belgique à la rescousse

Ce refus notable d’édulcorer la personnalité des personnages se retrouve également dans le déroulement pessimiste de l’intrigue. D’abord en voiture, puis à pied, les survivants s’emploient à errer sans destination précise, au gré des chemins de fuite qui se présentent à eux. A ce sujet, le ton d’un réalisme pesant est allégé à intervalles réguliers par leur prise en charge dans ce qui reste de l’infrastructure de l’armée et de la police belges. Cet écart à la noirceur ambiante permet certes aux rescapés de se ressourcer tant soit peu jusqu’au prochain nuage létal. Un privilège accordé simultanément au spectateur, lui aussi soumis au régime de l’espoir qui s’amenuise à chaque minute. Mais il opère malheureusement de même comme une contradiction de la radicalité du propos du film, justement acquis sinon corps et âme à la nature inextricable de cette aventure morbide.

Car face à une catastrophe d’une telle amplitude planétaire et d’une telle violence, il est hélas fort à parier que plus rien ne fonctionne comme notre confort du quotidien nous a donné l’habitude de l’attendre dans un pays soi-disant civilisé comme la France. Dommage alors que Just Philippot n’ait pas osé franchir le dernier pas – pourtant décisif – vers le chaos complet ! En guise d’avertissement sans fioriture, son film demeure au moins en partie d’un sérieux entièrement appréciable. Le fait de conserver une dose minimale d’espérance pourrait miner ce regard sans complaisance. Il court le risque de relativiser ce dernier, alors que l’urgence climatique a précisément besoin d’être énoncée avec toute la gravité nécessaire, afin de faire durablement et profondément évoluer les mentalités.

© 2023 Laurent Thurin / Bonne Pioche Cinéma / Umedia Production Services / Pathé Tous droits réservés

Conclusion

Autant nous sommes parfaitement partie prenante des valeurs écologiques que Acide tente de transmettre d’une manière à peu près subtile, autant nous restons dubitatifs quant aux moyens cinématographiques adéquats pour faire passer un tel message de mise en garde. Le cercle vicieux de la mort omniprésente dans lequel le film de Just Philippot s’engage sans tarder ne laisse en effet que peu de place à la réflexion et encore moins à une voie parallèle constructive. D’où sans doute le rejet relatif de la part du public français, probablement pas encore prêt à entendre les vérités sur le changement climatique dans toute leur brutalité. Il n’empêche que nous restons admiratifs face à la détermination lugubre avec laquelle le réalisateur a globalement su mener son projet jusqu’à sa conclusion, dépourvue de rayons de soleil à l’horizon.

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