Critique : A La Folie (réalisé par Wang Bing)

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A la folie documentaire 2015True story

Hong-Kong , france , japon – 2015
Titre original : Til Madness Do Us Part
Réalisateur : Wang Bing
Scénario : Wang Bing
Acteurs : inconnus
Distribution : Les Acacias
Durée : 3h47
Genre : Documentaire
Date de sortie : 11 mars 2015

Note : 4,5/5

Si l’on peut juger de la qualité d’un film (ou documentaire) par sa capacité à être le réceptacle visuel et parolier d’un pan spécifique d’une population, en l’occurrence, et pour reprendre un terme de Walter Benjamin, les « sans-noms » – voire les exclus ou marginaux – tout en étant un cadre cinématographique qui serait la captation filmique de leurs corps, alors nul doute que le dernier documentaire de Wang Bing est un chef-d’oeuvre. Mais que dire sur celui-ci ? Qu’écrire sur ce qui s’apparente à un exercice stylistique d’une audace formelle incroyablement éprouvante et vertigineuse ? A la fois visuelle, politique, poétique, cinétique, A la Folie est ce qu’on peut nommer, en des termes plus prosaïques, une expérience humaine et morale. Littéralement. C’est un film monstre, de par sa durée fleuve (près de 4 heures) et sa violence psychologique et physique tripale. Depuis ses débuts, Wang Bing n’a de cesse d’ausculter la Chine contemporaine, du moins l’envers de son décor, ses marges et ses habitants ostracisés alors que le pays enregistre un taux de croissance faramineux et est en passe de devenir la première puissance économique et industrielle mondiale. Pays en pleine mutation, la Chine est, à l’instar d’un grand nombre de nations s’adonnant au libéralisme depuis peu, tiraillée entre ses anciennes traditions culturelles et une modernité économique capitalistique dont la course au profit constitue l’un de ses soubassements.

Synopsis : Un hôpital psychiatrique du sud-ouest de la Chine. Une cinquantaine d’hommes vivent enfermés traînant leur mal-être du balcon circulaire grillagé à leur chambre collective. Ces malades, déviants ou opposants, éprouvent au quotidien leur résistance physique et mentale à la violence d’une liberté restreinte. Wang Bing nous plonge dans la « folie » de la Chine contemporaine.

a la folie 2015

Une plongée terrifiante

A la Folie est une plongée terrifiante dans un institut psychiatrique situé dans la province de Yunnan, région qui constituait également le cadre de son précédent documentaire, magnifique, Les Trois Soeurs de Yunnan. Après avoir obtenu l’aval des médecins, faisant suite à plusieurs demandes non suivies, Wang Bing s’est immergé dans l’hôpital-prison afin d’y recueillir les faits et gestes des patients. Le batîment se présente en une forme carrée, bâtie sur plusieurs étage (3 étages me semble-t-il), avec, au centre, une cour. Les patients sont pour la plupart des alcooliques, ou d’anciens toxicomanes. D’autres eussent été suspectés de comportements considérés comme « anormaux » selon les autorités (dépression nerveuse, homosexualité…). Enfin, d’aucuns y ont été placés, souvent par leurs familles respectives, en raison de comportements psychologique instables : violence conjugale, dépression, schyzophrénie… Tous y vivent dans le dénuement le plus total. Les patients ne disposent que d’un lit, et co-habitent, pour la plupart, à plusieurs, dans des chambres qui leurs sont assignées. Les murs sont crasseux, ternes et délabrés. Les coursives, ainsi que les sols, humides. Promiscuité, saleté et humidité semblent être le lot quotidien des patients. Une pièce, seulement, dispose d’une télévision permettant ainsi de briser la monotonie terrible de l’institut. Les médecins ne sont là que pour administrer les médicaments, et faire régner l’ordre si d’aventure un patient osait s’énerver. Le rythme journalier est seulement marqué par la prise de médicaments, ainsi que les repas. Sinon, chaque personne est livrée à elle-même, et ne dispose que d’un corridor pour se déplacer, avec comme seul horizon, ces barreaux disposés le long des rembardes. C’est moins un institut de soin qu’une prison. Ce sont les bannis de la société, les indésirables, alors que la Chine, d’un geste ostentatoire arrogant, étale sa richesse naissante de par le monde. Nous sommes dans l’envers du miracle économique chinois, et le cinéma est un médium permettant de capter les iniquités, et violences, du système étatique.

A la folie 2015 film documentaire

Quand le cinéma se veut témoin

Des cinéaste chinois, tels Jia Zhang-Ke, Zhao Liang, et donc Wang Bing, sont les témoins cinématographique de cette mutation de la société civile, ainsi que de cette mise au ban d’une partie de la population chinoise. Ici, le cinéma, devient un témoin, une captation de cette mise à l’écart. D’aucuns sont voués à disparaître, cependant le cinéma, dans une optique purement bazinienne, est présent pour garder une trace, une preuve de cet effacement. A la fois un témoignage, mais également un écrin visuel dans lequel ces personnes, non acceptées par la société, peuvent retrouver un espace d’expression et de mouvement. C’est ce qui différencie Wang Bing, et son approche morale, d’un autre documentariste comme François Reichenbach. Ce dernier, dans son documentaire Mexico, Mexico, habillé de son costume un peu chic, vient s’encanailler dans des zones rurales où la misère cotoie des paysages d’une grande beauté. Nous le voyons filmer une famille, vêtue de haillons, alors qu’il leur « ordonne » d’effectuer des mouvements pour les besoins de son film : tourner la tête de gauche à droite, lever la tête… A travers cette approche, il réalise, insconsciemment sûrement, une gestuelle héritée d’un passé colonialiste dans lequel les riches bourgeois, et aristocrates, asservissaient les paysans pauvres. Il y a là une impudeur, dont le cynisme n’a d’égale que l’aggressivité du geste, que je trouve assez gênante.

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Redonner une figure concrète à ces « indésirable »

Wang Bing, quant à lui, adopte une approche plus juste et morale à l’égard des personnes filmées. Alors que c’était Reichenbach qui imposait sa cadence dans le documentaire précité, Wang Bing se met au diapason, au rythme des patients de l’hôpital-prison. Témoin cette scène extraordinaire durant laquelle il suit cette personne et qui, subitement, se met à courir dans la coursive. Plutôt que d’abandonner la séquence, et de couper celle-ci au montage, Wang Bing se met à le suivre, armé de sa caméra, en adoptant le rythme du sujet filmé. Il y a là un vrai respect du réalisateur vis-à-vis des patients. Wang Bing n’impose rien, ne demande rien, il ne fait que filmer ces personnes. Alors qu’auparavant, ils ne vécurent qu’à travers une non-existence, voire dans une négation, de leur être, le médium cinématographique leur permet de recouvrer une dignité, une humanité et surtout une visibilité physique. L’existence même de ce documentaire permet de redonner, aux yeux de la communauté humaine, une figure concrète à ce « peuple » considéré comme « indésirable » par les autorités chinoises. En somme, le cinéma permet de discerner l’humanité au sein de l’inhumanité, et d’exposer des êtres dont la dignité a été, pendant très longtemps, sous-exposée, niée et violentée. C’est toute la portée éthique de ce film-documentaire de nous rendre accessible une humanité qui a été bafouée et piétinée par une communauté chinoise en pleine expansion économique.

[youtube]https://www.youtube.com/watch?v=HQasOgIlAgs[/youtube]

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