Compte-rendu Brive 2015 chapitre trois

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Deuxième jour de victuailles moyennes (rapport au format, moyen-métrage, voilà, jeu de mots) avec Françoise Lebrun derrière la caméra (mais aussi toujours devant), Hubert Viel devant la caméra (mais toujours aussi derrière) et Damien Bonnard partout mais aussi Thomas Blanchard d’Inupiluk, de l’humour, de l’écologie et encore des mineurs, plus détendus que les ukrainiens de la veille.

Petit lapin, avec Camille-Lou Grandrieux, Hubert Viel et la participation d'un paquet de Nesquik
Petit lapin, avec Camille-Lou Grandrieux et Hubert Viel

Une femme qui a des absences, l’autre qui s’endort

Premières nouvelles concrètes d’un abonné de Brive, Grand Prix en 2013 et présent aux Workshop Pitch l’an dernier. Petit lapin de Hubert Viel, toujours en noir et blanc mais moins impressionnant, formellement et dans ses thématiques qu’Artémis, cœur d’artichaut, disons-le nettement mais la barre était très haute, genre Sergueï Bubka ou pour rester dans le monde du moyen-métrage genre Un Monde sans femmes de Guillaume Brac, l’un des emblèmes du Festival de Brive. Cette comédie nonchalante permet de prendre des nouvelles tout de même très plaisantes de son auteur, et ici interprète neurasthénique principal (genre Benjamin Biolay – dans tous ses films – mais moins endormi) dont la cousine souffre d’un mal étrange. À cause de sa trop grande consommation de chewing-gums, elle a des absences et se retrouve à l’hôpital après un nouveau malaise. Cousin et cousine vont faire équipe avec une amie pour appeler les services consommateurs de produits de grande consommation pour leur demander de réduire voire de supprimer les additifs alimentaires présents partout. C’est un monde inquiétant qui est dénoncé dans ce court politico-écolo-biologique qui traite son sujet avec humour dans une succession d’appels qui virent à l’absurde mais basés sur des faits (plutôt) réels.

La fable se déroule sur un ton ironique qui se joue des théories du complot et de la paranoïa avec une prestation comique une nouvelle fois géniale de Noémie Rosset, l’inoubliable Callie Staux d’Artémis (ici brune et non plus blonde platine) en amie inquiète 1) pour les neurones de son amie et 2)de savoir si elle peut poursuivre sa consommation accrue d’apéricubes (au moins 24 par jour, ce qui est beaucoup, en effet). Entre fiction et documentaire, Hubert Viel est certes en dessous de son « tube » mais séduit tout de même avec cet exercice qui fleure bon l’improvisation (Noémie Rosset semble au bord du fou rire) mais heureusement pas l’amateurisme. Et une découverte, les emballages de sandwich Monoprix affichent cet étrange décalque d’une blague Carambar : « ce thon préfère sortir en club qu’en boîte ». Un film qui dénonce le mauvais goût, jusqu’au bout, jusqu’à la blague de trop. La mère inquiète des malaises de sa fille est jouée par Marie Rivière, l’une des actrices fétiches d’Eric Rohmer. Camille-Lou Grandrieux, qui joue sa fille et fait ses débuts à l’écran, lui ressemble comme deux gouttes d’eau, la photo ci-dessus où, il est vrai, elle baisse la tête, étant plutôt éloquente. Deuxième apparition (de l’ordre de la figuration) de la semaine briviste de Damien Bonnard qui fait passer un casting à la cousine, malmené par le cousin peu discret.

Damien Bonnard, nouvel abonné briviste
Damien Bonnard, nouvel abonné briviste

 

Comme pour Hubert Viel, la réalisatrice Christelle Lheureux penche vers Brive et Brive penche vers elle comme le prouve la longue gestation de La Terre penche. Ce moyen-métrage est en effet le résultat d’un long processus créatif et de production très local, l’idée de cette comédie romantique avec un peu de fantômes dedans ayant été présentée lors de l’édition 2013 de l’atelier Workshop Pitch, obtenant le prix du scénario l’année suivante.

Complice d’Apichatpong Weerasethakul sur deux films courts qu’ils ont réalisé ensemble et dédiés principalement à des installations vidéo (Second love in Hong Kong en 2002, Ghost of Asia en 2005), ce nouveau film de Christelle Lheureux s’inscrit dans le même sillon qu’Oncle Boonmee mais surtout dans celui de son moyen-métrage Mekong Hotel (d’ailleurs présenté à Brive en 2013) en mêlant ancrage dans le réel et décalage fantastique. Les codes du cinéma de genre étant différents d’un pays à l’autre, le résultat n’est pas du sous-Boonmee mais possède son propre style. Thomas débarque dans une petite station balnéaire où il revient après une longue absence hésitant entre louer ou revendre la demeure familiale. Il rencontre ainsi Adèle, agente immobilière et une histoire d’amour débute alors sous des influences étranges qui se révèlent petit à petit. Thomas Blanchard et Laetitia Spigarelli forment un joli couple mais ceci n’est pas une comédie romantique.

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Loin de La Maladie blanche, Grand Prix à Pantin en 2012, un essai là encore porté par un glissement progressif vers l’étrange mais plus artificiel, ce nouveau moyen-métrage est plus directement accessible grâce à son humour poétique et la façon dont le fantastique s’invite en douceur, de façon presque invisible. Le bizarre démarre avec un rêve dans un restaurant chinois sorti de nulle part et se poursuit avec la réalisation que les retrouvailles de Thomas avec Lucas, un ami d’enfance (re-re- Damien Bonnard) sont bien étranges, Lucas n’étant pas qui, quand et où il semble. Thomas ne sait pas où il en est et semble vivre des choses qu’il ne vit pas réellement, Adèle, elle, s’endort comme ça, sans raison.

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Des méduses empruntées au cinéma d’Alain Resnais (On connaît la chanson) apparaissent à l’écran pour refléter leur crise existentielle, flottant à l’écran sans savoir où elles vont comme la dépressive Agnès Jaoui qui s’ignorait et comme ce couple qui navigue sans objectif, lui ayant fait le tour du monde pour « passer le temps », elle perdant son travail mais s’inquiétant surtout du sens de la vie… qui n’en a pas, de sens, à ses yeux, sinon de «passer le temps» justement et d’inviter la génération suivante à reproduire ce schéma sans fin. Voilà qui n’est pas gai. Une apparition fantômatique, un passé lointain qui s’invite dans un rêve (une belle séquence dans un train d’époque, un joli moment de reconstitution d’époque), du registre existentiel caché dans une comédie tendre font de ce moyen-métrage un film plus original que ses prémices, le cadre faussement idyllique révélant sa condition de ville fantôme, comme sous l’emprise d’un cimetière chinois secret façon Poltergeist sans le gore.

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London calling

Histoire de faire bien original, comme toute œuvre française ou américaine digne de ce nom qui se sent obligée de glisser le tube des Clash dès qu’une séquence se déroule à Londres, voici la chanson culte « London Calling » pour un intermède anglais..

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Avec sa première réalisation Crazy Quilt, Françoise Lebrun, membre du jury 2015, évoque dans ce documentaire tourné en 2011, sa relation épistolaire de plus de cinquante ans avec une anglaise. Le titre évoque l’idée d’un « patchwork victorien fait à l’aventure, sans forme préétablie, selon les chutes de tissus qui sont dans le panier », la construction de ce journal intime filmé se faisant selon les hasards de ses retrouvailles ratées (à l’écran) avec sa correspondante anglaise du Yorkshire. La comédienne fait un voyage en Angleterre sur des lieux fréquentés dans sa jeunesse, allant de l’un vers l’autre mais ne les retrouvant guère fidèles à ses souvenirs. Les lieux que l’on traverse changent et/ou disparaissent, surtout avec cinquante ans d’écart, soulignant le passage du temps qui peut être ressenti comme cruel ou simplement dans l’ordre des choses.

crazy quilt 02À l’écran c’est autant la Françoise Lebrun d’aujourd’hui que celle d’hier (avant même La Maman et la Putain) que l’on suit, touché par la démarche même si le cinéphile est parfois frustré de ne pas découvrir une œuvre aussi forte que Winnipeg, mon amour de Guy Maddin ou Of time and the city de Terence Davies qui mêlaient l’histoire de son auteur à celui d’une vi(ll)e. Il manque pour cela une touche de grand cinéma, qui n’est pas loin dans l’idée du projet mais ce joli essai sur la mémoire est probablement victime de ses moyens modestes et des contraintes du petit écran où il était destiné à être présenté. Françoise Lebrun maîtrise son sujet, ses souvenirs intimes évidemment mais aussi son rapport à la culture anglaise, sa littérature surtout, Virginia Woolf en particulier et l’on sent de la matière pour en faire un vrai film de cinéma si un producteur inspiré lui en donnait les moyens. Joli petit moment d’émotion enfin à deux niveaux lorsque la voix grave de Maurice Garrel, disparu en 2011, lit un courrier écrit à Françoise Lebrun par son père alors qu’elle se trouvait en Angleterre.

 

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Ce retour du présent vers le passé possède l’effet inverse que celui des deux autres films du Free Cinema vus ensuite ce même jour. Que resterait-il dans l’inconscient collectif de ce passé ouvrier sans ces films imaginés par Tony Richardson, Karel Reisz et les contemporains ? Que reste-t-il de l’Angleterre de la jeunesse de Françoise Lebrun, (presque) contemporaine de ces films entre documentaires et fictions ? Every Day Except Christmas de Lindsay Anderson (1956) est une plongée dans un marché de fruits et légumes de Covent Garden où la beauté du travail est saisie via la répétition des gestes comme un automatisme.

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Le tournage s’est étalé sur quatre semaines, permettant au directeur de la photographie Walter Lassally (encore lui) d’en comprendre la chorégraphie de l’organisation et de la reproduire à l’écran. Comme Frederick Wiseman dans ses films d’aujourd’hui (et d’hier), le réalisateur et son équipe observent ce lieu de vie et reproduisent son essence de façon réaliste, enregistrant un jour comme un autre grâce à leur observation de la mise en place de ce marché dont ils saisissent la « poésie du quotidien » pour reprendre les propres mots du réalisateur, la course contre la montre pour accueillir acheteurs et vendeurs en temps et en heure, pour sélectionner les meilleurs produits, pour que tout soit prêt à l’heure de l’ouverture.

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Le montage de John Fletcher et la musique de Daniele Paris accompagnent la mise en scène immersive de Lindsay Anderson, la Dream Team du Free Cinema réunie pour ce grand moment. Alun Owen, futur scénariste de Quatre Garçons dans le vent (A Hard Day’s Night) est le narrateur (un peu trop illustratif, seule réserve) de ce « Day in the life » de maraîchers qui travaillent avec précision et élégance, portant la cravate, prenant le temps d’apprécier une tasse de thé et travaillant la clope au bec. Le film, Grand Prix du court-métrage à Venise en 1957, fut l’un des tout premiers de ce mouvement, son manifeste, et l’un des plus emblématiques, financé par… la Ford Motor Company pour lequel Karel Reisz (ici producteur) réalisait des films d’entreprises.. Une part importante de l’action de Frenzy d’Alfred Hitchcock sera tournée dans ce même marché mais dans un tout autre registre et il est particulièrement intéressant de comprendre comment fonctionne ce lieu avant son ouverture et sans meurtre sordide !

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Enfin, dans Gala Day (1963), John Irvin filme le 21 juillet 1962 la fête annuelle des mineurs à Durham, dans le nord-est de l’Angleterre, à l’aide de plusieurs caméras réparties dans plusieurs endroits stratégiques de la petite ville pour tout saisir de l’ambiance, des premiers préparatifs du matin aux tous derniers soubresauts du soir. Des plans vus du ciel ou en contre-plongée au sein de ceux qui défilent (parade, hommes politiques, familles… et même un sosie parfait de Popeye), des grands angles ou serrés, des plans d’ensemble et des gros plans, de la profondeur de champ ou des caméras collées à ses sujets, l’énergie de la fête est saisie sur tous ses angle. Pas de voix-off mais des musiques et/ou commentaires à la radio ou à travers des haut-parleurs comme une bande-son presque invisible qui enregistre la lente progression vers l’effervescence de ce divertissement populaire jusqu’à sa fin progressive. L’une des séquences finales saisit un homme dans le parc local avec jumelles matant un couple qui s’embrasse et que venait de saisir la caméra, elle-même en position de voyeur et qui en reculant révèle que le mateur n’était pas le seul témoin indélicat. Où quand le sordide s’invite, avec humour, à la fête. Les inconnus du parc en somme. Plus inquiétant, la tente des enfants perdus, égarés par leurs parents ! Une agréable légèreté, un regard bienveillant sur les habitants de cette ville de mineurs qui se remettent avec enthousiasme de leur labeur quotidien. Le reste de la carrière du réalisateur n’aura pas grand chose à voir avec ce premier film, signant ensuite des œuvres de série B efficace telles que Les Chiens de guerre avec Christopher Walken en 1980 ou Le Contrat avec Arnold Schwarzenegger en 1986.

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