Cannes 2018 : carnet de bord, première partie

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Penelope Cruz et Javier Bardem dans Everybody knows

Qui dit début de festival de Cannes, dit ouvertures de sections, officielles comme parallèles. Retrouvez en lien les avis de Tobias sur Everybody Knows d’Asghar Farhadi pour la compétition, et sur Donbass de Sergei Loznitsa pour Un Certain Regard et celui de Nicolas Santal sur Les oiseaux de passage pour la Quinzaine des Réalisateurs, nouvel opus de Ciro Guerra, co-réalisé avec Cristina Gallego, après la sublime Etreinte du serpent présenté en 2015 dans la même section. Cette tragédie à la grecque dans un cadre mafieux n’est certes pas aussi marquante, mais intrigue néanmoins, notamment grâce au décalage mythologique de son récit de cartel de la drogue, sise dans une communauté méconnue.

La Semaine de la Critique s’est ouverte avec Wildlife, le premier long-métrage de l’acteur Paul Dano (3/5), qui met en scène une famille dysfonctionnelle dans les années 60, au moment où un couple se sépare sans ménagement sous le regard impuissant de leur fils de 14 ans. Carey Mulligan est une femme qui s’émancipe de son mari Jake Gyllenhaal, alors que plus rien ne va entre eux. Rien d’exagérément original au final, mais une écriture sensible et une réalisation sobre et vivante. Les comédiens expriment les tourments émotionnels de leurs personnages avec la passion qui permet de faire ressentir profondément ce qui guide leurs choix et la retenue qui en facilite l’empathie, sans la surligner. Il est aisé de comparer, à son net avantage, ce premier film d’un acteur à un autre premier film d’un autre acteur, Ewan Mc Gregor qui, avec American Pastoral, tiré d’un roman de Philip Roth, ne faisait pas preuve de la même rigueur dans la mise en scène, l’écriture et la direction d’acteurs. La Semaine de la Critique aime les premiers films d’acteurs (longs ou courts) aime les films dirigés par des comédiens, avec plus ou moins de réussite. Ici, c’est un très joli lancement.

En compétition, nous avons déjà découvert Yomeddine, premier long-métrage de l’égyptien A. B. Shawky (2/5). Si l’idée de découvrir le film d’un débutant venu d’un pays trop rare sur la scène internationale faisait envie, le résultat est pour le moins décevant. Beshay est un lépreux guéri, mais son corps porte encore les stigmates de son mal, ce qui en fait un paria. Après la disparition de son épouse, il part sur les routes à la recherche de ses racines, sur une charrette tirée par son âne. Il effectue son odyssée en compagnie d’un orphelin nubien qu’il a pris sous son aile. Misérabiliste et accumulant les drames pour le plaisir de les accumuler (on sent assez rapidement que l’âne n’ira pas au bout du voyage), ce road movie gentillet a des ambitions de fable universelle mais nous a laissé au bord du chemin, à plusieurs titres, notamment en laissant penser qu’il est préférable pour ces rejetés de la société de rester entre eux pour ne pas souffrir.

Avec Leto, Kirill Serebrennikov (3,5/5) (compétition) recrée la scène rock soviétique des années 80, à travers la figure de la super star Viktor Tsoi. Ce film musical et politique est le premier grand rayon de soleil de la compétition, grâce à ses protagonistes à la vitalité éclatante et une mise en scène solaire. Les chansons des artistes russes se mêlent aux tubes d’Iggy Pop ou de Lou Reed, illustrées par d’inventives incrustations animées au milieu des acteurs. Entendre Passenger du premier, repris en choeur par des «passagers» justement, illustre la pêche qui anime une jeunesse corsetée qui résiste en chantant, en s’aimant dans une relative liberté de mœurs. Le ton faussement badin est porteur d’espoir mais ces visions positives de la démocratisation du pays sont recadrées par un narrateur sceptique qui invite à se méfier de toutes les propagandes. L’oppression des corps dans la salle de concert lors de la séquence d’ouverture reflète celle des esprits et la privation générale de liberté. Le rock est vaguement autorisé, mais sous surveillance et en discrétion. Preuve de l’intemporalité de cette pépite superbement mise en scène dans un noir et blanc éclatant, le réalisateur lui-même est assigné à résidence depuis août 2017 et n’a pas pu accompagner son film. Il revendique indirectement une libération (dont il a été privé après ce tournage) par l’imaginaire en célébrant le pouvoir d’une musique complice de l’envie de renverser l’ordre établi. Voir aussi la critique de Tobias.

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