Critique : Bunny Lake a disparu

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Bunny Lake a disparu

Royaume-Uni, États-Unis, 1965

Titre original : Bunny Lake is missing

Réalisateur : Otto Preminger

Scénario : John Mortimer & Penelope Mortimer, d’après le roman de Evelyn Piper

Acteurs : Laurence Olivier, Carol Lynley, Keir Dullea, Martita Hunt

Distributeur : Park Circus

Genre : Thriller

Durée : 1h47

Date de sortie : 6 août 2014 (Reprise)

2,5/5

Otto Preminger avait beau ne pas correspondre aux critères sélectifs de l’auteur, administrés avec fanatisme à ses contemporains par la critique française de l’époque, il disposait néanmoins du don considérable de transformer des histoires hautement triviales en des films à la forme et au propos sophistiqués. Au moins deux des œuvres majeures de sa filmographie en témoignent : Laura et Autopsie d’un meurtre, qui seraient sans doute devenus guère plus que de vulgaires séries B sous la direction d’un réalisateur moins scrupuleux. Hélas, ce regard anobli par voie d’une élégance sardonique ne peut pas non plus faire de miracles à l’infini. Dans le cas de Bunny Lake a disparu, la mise en scène finement travaillée reste en effet tributaire d’un scénario d’abord encore passablement fascinant, avant de dérailler complètement lorsque l’heure du dénouement aura sonné. Quelques observations pas sans mérité sur le choc des cultures, des générations et des classes sociales n’y laissent qu’un impact limité, à cause d’un suspense qui ne tarde pas à s’écrouler comme un château de cartes. Il ne nous reste donc que le verdict, toujours très cruel et peut-être injuste à l’égard des films du patrimoine, que cette histoire de plus en plus abracadabrante a éventuellement dû faire son petit effet il y a plus d’un demi-siècle, mais que – pour des spectateurs ayant suivi de près les hauts et les bas de la recette des revirements spectaculaires à laquelle on pourrait légitimement résumer la carrière de M. Night Shyamalan – elle ne tient nullement les vagues promesses cultivées avant que les choses ne se gâtent.

© Columbia Pictures / Park Circus Tous droits réservés

Synopsis : Accompagnée de sa fille Bunny, la jeune Ann Lake vient de rejoindre son frère Steven à Londres. Après les premiers jours passés dans un logement temporaire, elles doivent s’installer dans leur appartement définitif. En raison de divers contretemps causés par ces changements, Ann dépose sa fille en retard à sa nouvelle école, où la cuisinière doit la surveiller jusqu’à la prochaine récré. Or, quand la mère y retourne pour récupérer Bunny à l’heure du déjeuner, la fillette reste introuvable. Ann et son frère préviennent alors la police, qui lance une vaste opération de recherche. C’est le commissaire Newhouse qui mène l’enquête. A force d’interroger les deux Américains fraîchement arrivés en Angleterre, il doute de l’existence même de la fille disparue.

© Columbia Pictures / Park Circus Tous droits réservés

Une mère-louve américaine à Londres

Les manifestations de la névrose sont multiples dans Bunny Lake a disparu. Rien que le personnage principal, cette mère à laquelle Carol Lynley, qui nous a malheureusement quitté il y a deux mois, confère une aura aussi proprette que fragile, en déborde. Il ne serait d’ailleurs guère exagéré de rapprocher Ann Lake de Rosemary Woodhouse, interprétée par Mia Farrow chez Roman Polanski seulement trois brèves années plus tard. Ces deux personnages féminins entretiennent un lien conflictuel avec la maternité, leur malaise de mère, selon le film en panne ou en attente de progéniture, se répercutant sur leur rapport global au monde. Car l’une comme l’autre, elles apparaissent longtemps comme des victimes sans défense, manipulées à leur guise par des hommes plus ou moins malveillants à leur égard. Sans surprise, le moment de l’inversion des forces est infiniment plus virtuose dans Rosemary’s Baby qu’ici, où l’éveil de l’instinct maternel coriace coïncide avec l’écroulement misérable de toute logique scénaristique. Auparavant, on peut toutefois remarquer à quel point Ann est dépossédée de toute volonté, de tout signe d’intégration dans un environnement étranger, bientôt transformé en un cauchemar qui a l’air de tourner en une boucle d’hostilités sans cesse répétées. Cela peut prendre la forme innocente du pourboire excessif donné aux déménageurs, une gaffe de laquelle elle est sauvée grâce à l’honnêteté de l’un des ouvriers. Ou bien, de façon plus explicite et par conséquent plus dérangeante, lors d’un incident d’autant plus déplaisant à regarder aujourd’hui, quand pareil harcèlement soulèverait enfin un tollé public. A ce titre, Noël Coward y endosse sans sourciller le rôle du représentant, dépourvu de remords, de tout ce qui ne va pas dans une certaine frange de la société britannique, celle des alcooliques excentriques, voire carrément sadiques et malsains.

© Columbia Pictures / Park Circus Tous droits réservés

La folie des années ’60

Jamais très tendre avec la face sombre de la virilité, Otto Preminger ajoute quelques spécimens peu fréquentables à sa collection dans ce film. Dans ce contexte, on ne pense pas vraiment au commissaire, joué avec une sobriété presque ennuyeuse par Laurence Olivier, le seul et unique pôle de calme au cœur de tant d’hystérie et de soupçons orchestrés avec un soin en fin de compte vain. Aux côtés du propriétaire aux propos licencieux mentionné quelques lignes plus haut, ce serait surtout le frère initialement si protecteur qui mériterait qu’on s’y attarde. Sauf que nous allons tout de même nous efforcer de ne pas vous révéler le point de basculement principal de l’intrigue, à partir duquel plus rien ne fait réellement sens. Une tâche d’autant plus ardue que la dernière partie de Bunny Lake a disparu est assez symptomatique de la difficulté généralisée de terminer convenablement un récit dans les années 1960, une décennie au moins aussi frustrante à ce sujet que les années ’90 et leurs affrontements interminables qui avaient alors plombé bon nombre de blockbusters. Contentons-nous donc d’écrire que quelques gros plans plutôt efficaces sur le visage impassible de Keir Dullea ne suffisent point pour nous faire avaler l’énorme pilule de l’explication finale, fâcheusement bancale. Ou comment opter, après la traversée pas toujours adroite d’un labyrinthe de fausses pistes, pour celle qui allait relativiser d’un coup le bien qu’on aurait pu penser jusque là de ce thriller alambiqué …

© Columbia Pictures / Park Circus Tous droits réservés

Conclusion

Sans être un film d’horreur à proprement parler, Bunny Lake a disparu souffre cependant du mal narratif qui nous a souvent laissés dubitatifs à l’égard de ce genre de la création artificielle de la terreur. Après une mise en montée de la tension, agencée avec tout le savoir formel d’un réalisateur chevronné comme Otto Preminger, le film court le risque sérieux de l’égarement irrémédiable vers le grand n’importe quoi. La transition nous paraît d’autant plus dommageable, que la poursuite méthodique de l’enquête policière plonge sans prévenir dans un délire psychologique sans tête, ni queue !

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