Berlinale 2024 : The Devil’s Bath

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The Devil’s Bath

Autriche, Allemagne, 2024
Titre original : Des Teufels Bad
Réalisateurs : Veronika Franz et Severin Fiala
Scénario : Veronika Franz et Severin Fiala
Acteurs : Anja Plaschg, David Scheid, Maria Hofstätter et Natalija Baranova
Distributeur : Pan Distribution
Genre : Drame
Durée : 2h01
Date de sortie : 2 octobre 2024

3/5

Pour le dernier film de notre couverture berlinoise 2024, le cinéma germanique au sens large a encore frappé avec toute sa gravité et son sérieux. Ce qui n’est pas forcément un reproche à l’égard de Des Teufels Bad, présenté en compétition. Car le film de Veronika Franz et Severin Fiala fonctionne parfaitement bien, si on l’interprète comme le portrait engagé d’une femme particulièrement malmenée il y a près de trois siècles. Et pas en tant que film d’horreur un peu lourd, comme pourraient le laisser supposer la bande-annonce autrichienne et le seul film précédent du duo de réalisateurs sorti en France, Goodnight Mommy. Or, la terreur à l’œuvre ici est davantage celle de la rigidité des normes sociales que celle des délires pieux du personnage principal, une jeune épouse qui vit particulièrement mal l’arrivée dans son nouvel environnement familial.

D’un point de vue contemporain, les choses auxquelles elle aspire n’ont en effet rien de révolutionnaire. Elle aimerait tant être une bonne épouse pour son mari, dont elle espère porter rapidement le premier enfant. Le tout sur fond d’une frénésie spirituelle qui la met d’emblée à part dans son milieu paysan, avant tout préoccupé par des urgences matérielles. Alors que l’étau de sa démence se resserre de plus en plus autour d’elle, nous n’avons pas pu nous empêcher d’imaginer à quoi ressemblerait ce genre de destin au féminin aujourd’hui, à une époque où la liberté de penser et d’agir est quand même un peu plus acquise, espérons-le. Enfin, le tour de force de Anja Plaschg dans la peau de cette pauvre créature, complètement dépourvue de quelque soutien que ce soit, ajoute encore au caractère insoutenable de ce drame éprouvant.

© 2024 Alessio Maximilian Schroder / Ulrich Seidl Filmproduktion / Heimatfilm / Coop99 Filmproduktion /
Filmladen Filmverleih Tous droits réservés

Synopsis : En 1750 en Haute-Autriche, la jeune Agnès est aux anges après avoir épousé le pêcheur Wolf. Pour la première fois loin de chez elle, elle éprouve de grandes difficultés à s’intégrer dans son nouveau foyer. Alors qu’elle rêve d’avoir un enfant et qu’elle tient à ses pratiques religieuses, son mari est plus intéressé à ce qu’elle travaille bien qu’à remplir son devoir conjugal. Pétrie de crainte et consciente qu’elle n’est guère la bienvenue, Agnès trouve par hasard dans la forêt le cadavre décapité d’une femme, exposé là afin de mettre la population en garde contre le crime atroce qu’elle avait commis. Celui de tuer son propre bébé, avant de se dénoncer elle-même aux autorités.

© 2024 Alessio Maximilian Schroder / Ulrich Seidl Filmproduktion / Heimatfilm / Coop99 Filmproduktion /
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Ce n’est sans doute pas une coïncidence que ce film soit produit par Ulrich Seidl, en quelque sorte l’enfant terrible du cinéma autrichien, qui adore mettre le doigt là où ça fait mal. Pourtant, contrairement au terrain de jeu préféré, exclusivement contemporain, du réalisateur de la trilogie Paradis en 2012 et ’13, Des Teufels Bad procède à un dépaysement dans le temps des plus saisissants. Si Agnès se sent si mal, si rapidement, c’est aussi parce que l’état d’esprit dominant de l’époque ne lui aménage aucune sortie de secours de sa condition frustrante.

Elle a beau se soustraire aux tâches ménagères et à la participation au commerce familial, la pêche dans un étang qui appartient à son mari, ce n’est pas pour autant qu’elle trouve le bonheur quelque part ailleurs. Dans un film moins attaché à la cohérence et à la pureté d’âme de ce personnage tourmenté, ce mal-être aurait pu être guéri par la rencontre avec un autre homme, plus à même de satisfaire ses besoins sexuels.

Sauf que le désir le plus pressant d’Agnès est justement d’avoir un enfant de son mari. Ou par défaut, de se procurer le premier bébé venu, trouvé dans la forêt. Dès lors, peu importe qu’elle soit capable d’assouvir cette pulsion maternelle de plus en plus démesurée ou pas, elle fait abstraction de toutes les conventions sociales qu’on attend d’elle. Plus précisément, elle n’a jamais le courage nécessaire pour s’affirmer auprès de sa belle-mère dominante et de son mari, un brave gars chez qui de vagues tendances homosexuelles ne seraient pas exagérées d’être interprétées. Sans cesse, elle s’enferme dans un mouvement de fuite, probablement bien intentionné, mais hautement préjudiciable pour sortir du cercle vicieux de la bonne intention, suivie d’une action tristement maladroite.

© 2024 Alessio Maximilian Schroder / Ulrich Seidl Filmproduktion / Heimatfilm / Coop99 Filmproduktion /
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Ainsi, elle opte sans exception pour le chemin le plus laborieux. Ce refus inné de la facilité est à prendre littéralement, quand elle avance à peine à travers les ronces et la gadoue de l’étang. Une femme d’extérieur, elle s’accommode mal de l’espace exigu de la maison que son mari a acheté comme cadeau de mariage et dans laquelle la belle-mère fait sa loi. Sa foi plutôt archaïque lui permet de tenir que jusqu’à un certain point, ses grigris et autres remèdes médicaux barbares ne suffisant plus à conjurer le mauvais sort qui s’abat sur elle. Mais est-ce réellement un pouvoir surnaturel qui participe activement à l’ostracisation d’Agnès ? Ou bien, au contraire, un concours de circonstances à interpréter de moult façons différentes donne-t-il l’impression à cette jeune femme sensible d’être nullement à sa place dans son nouveau chez elle ?

La mise en scène évite soigneusement de trancher en faveur de l’héroïne soumise de plus en plus au délire. Bien que les réalisateurs gardent fermement un pied planté dans la réalité historique, ils ne font pas non plus abstraction du spectre progressivement plus paranoïaque dans lequel Agnès se réfugie. Grâce à son innocence et sa naïveté initiales, le pact d’identification entre le spectateur et ce personnage hanté par des démons de sa propre invention demeure intact, même quand elle commet un crime irréparable. Son absolution sous forme de confession devient alors une véritable catharsis cinématographique, aussi par la contribution considérable de Anja Plaschg, investie corps et âme dans le sursaut hystérique de son personnage.

Enfin, le retour du bâton du commentaire social ne se fait pas attendre. La banalité barbare des rites sociaux en vigueur au 18ème siècle rattrape sans tarder le semblant de conscience libérée à laquelle la narration nous avait fait croire encore quelques minutes plus tôt. Sans surprise, les mêmes convives du mariage au début de Des Teufels Bad se réjouissent deux heures de film plus tard avec la même exaltation de la punition publique de la mariée. Comme quoi, son parcours de combattante malheureuse en quête d’une quiétude d’esprit au delà de la rigidité des normes sociales avait parfaitement raison d’être mené en solitaire.

© 2024 Alessio Maximilian Schroder / Ulrich Seidl Filmproduktion / Heimatfilm / Coop99 Filmproduktion /
Filmladen Filmverleih Tous droits réservés

Conclusion

Les films que l’on a vus cette année en compétition au Festival de Berlin ont en commun de creuser sans relâche les bas fonds de la nature humaine. Pour voir des œuvres animées par un véritable optimisme, voire par un esprit comique, il convient absolument d’aller regarder ailleurs. Et pourtant, un film comme Des Teufels Bad – possédé non pas par un esprit sadique, mais par une conscience aiguë du rouleau compresseur que les conventions sociales les plus rudimentaires peuvent représenter pour des âmes sensibles – fait preuve d’une belle maitrise formelle afin de nous rendre accessible cette descente aux enfers à son niveau le plus intime. Là encore, on attendra en vain une quelconque rédemption. Mais la radicalité du ton nous fait espérer que le troisième long-métrage de fiction du tandem atypique formé par Veronika Franz et Severin Fiala sera suivi par plein d’autres !

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