Berlinale 2023 : Irgendwann werden wir uns alles erzählen

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Irgendwann werden wir uns alles erzählen

Allemagne, 2023
Titre original : Irgendwann werden wir uns alles erzählen
Réalisatrice : Emily Atef
Scénario : Emily Atef et Daniela Krien, d’après le roman de Daniela Krien
Acteurs : Marlene Burow, Felix Kramer, Cedric Eich et Silke Bodenbender
Distributeur : –
Genre : Drame romantique
Durée : 2h12
Date de sortie : –

3/5

Les grands sentiments ont d’emblée fait leur entrée en compétition au 73ème Festival de Berlin. Dès notre première journée complète de projections, nous nous trouvons en effet face à ce conte passionnel, situé dans une Allemagne encore en état de choc, quelques mois à peine après la chute du mur de Berlin. Or, ce contexte historique, éhontément nostalgique, cela va sans dire, n’apporte finalement pas grand-chose à Irgendwann werden wir uns alles erzählen.

Le film de Emily Atef séduit davantage par l’intensité avec laquelle il accompagne deux amants mal assortis dans leur romance poisseuse d’un été. Le traitement de l’amour fusionnel entre une jeune adulte et un paysan taiseux est assez lourd, soit. Mais grâce à l’implication pleine et entière de la mise en scène dans ce poncif romantique que l’on a déjà vu maintes fois dans le passé, il nous est arrivé de nous prendre au jeu des désirs et des pulsions sexuelles interdits.

Le dilemme sentimental dans lequel le personnage principal plonge avec une désinvolture consternante est vieux comme le monde. Ou en tout cas assez familier, pour qu’on sache à quelles crises d’états d’âme s’attendre. Grâce à l’interprétation très impliquée de la jeune Marlene Burow et au jeu encore plus tourmenté de Felix Kramer – un acteur accompli qu’on avait déjà croisé à l’écran lors d’une visite berlinoise précédente, dans Lands of Murders de Christian Alvart –, le couple inséparable navigue avec une certaine aisance à travers les différentes vicissitudes que le scénario lui a réservé. Ce qui doit y arriver arrivera, évidemment. Mais en dépit de la surcharge constante de la barque romantique, le récit continue de flotter convenablement au fil de ses revirements dramatiques.

Bref, nous ne tenons toujours pas là notre premier coup de cœur du festival. Mais en tant que divertissement mi-sulfureux, mi-ringard, le sixième long-métrage de la réalisatrice ne démérite pas.

© 2023 Peter Hartwig / Row Pictures / Pandora Film Verleih / The Match Factory Tous droits réservés

Synopsis : En 1990, Maria passe l’été sur une ferme familiale, proche de son village natal en Allemagne de l’Est. Alors qu’elle devrait réviser pour son bac et aider la mère dans ses tâches ménagères, la jeune femme préfère lire « Les Frères Karamazov » et faire l’amour avec Johannes, le fils aîné qui a de vagues aspirations artistiques. En même temps, Maria se sent attirée vers Henner, l’éleveur de chevaux voisin, deux fois plus âgé qu’elle et généralement peu sociable. Contre toute attente, elle entame une relation parfois viscérale avec lui, tout en s’efforçant de garder secret cet amour interdit.

© 2023 Peter Hartwig / Row Pictures / Pandora Film Verleih / The Match Factory Tous droits réservés

Passions champêtres

Seulement au cinéma, il suffit d’un regard de braise et d’un toucher furtif pour que les passions se déchaînent sans tarder. En cela, ce film allemand perpétue docilement le mythe du coup de foudre explosif, trop puissant pour ne pas perdre l’esprit et s’y abandonner sans la moindre retenue. Or, entre le cliché et sa transposition filmique crédible, il peut y avoir un écart considérable. Heureusement, Emily Atef a adopté une approche frontale indubitablement efficace pour rendre compte de ce jeu passablement sadique de la séduction.

Les corps frissonnent et les cris raisonnent, afin de refléter de manière adéquate une prise de plaisir charnel sans commune mesure avec le sexe plus sage que Maria peut avoir quand elle le souhaite auprès du brave type Johannes. En somme, rien de nouveau sous le soleil d’un certain cinéma érotique, légitimé ici par le cachet littéraire du roman du même nom, paru en Allemagne en 2011 et resté a priori sans traduction en France.

Là où la relation entre Maria et Henner sort des sentiers battus, c’est du côté d’une fragilité affective plutôt intéressante. Alors que les goûts littéraires assez pointus des deux amants relèvent de l’argument un peu snob afin de les démarquer des ploucs de la campagne, avant tout empressés de rattraper le retard matérialiste avec leurs voisins nouvellement accessibles de l’Allemagne de l’Ouest, leur engagement mutuel suit une courbe déjà moins prévisible.

Tandis que le mot amour est chuchoté avec parcimonie et par l’un, et par l’autre, c’est dans un va-et-vient irrégulier entre la prise de distance et des retrouvailles prématurées que leur relation atteint un équilibre fragile. Toute cette histoire doit bien sûr se terminer tragiquement, on ne vous apprend rien, si vous êtes tant soit peu familiers des ressorts inévitables du mélodrame romantique. Mais avant cette conclusion aux accents excessifs, la dynamique des sentiments plus ou moins libidineux n’est pas sans piquant.

© 2023 Peter Hartwig / Row Pictures / Pandora Film Verleih / The Match Factory Tous droits réservés

A l’est rien de nouveau

Il a beau n’apporter rien d’essentiel à l’intrigue amoureuse, le décalage entre le style de vie des personnages issus de la RDA et celui perçu par eux comme un but ultime à atteindre de l’autre côté de l’ancienne frontière n’est pas non plus complètement dépourvu d’intérêt. Rares sont ceux qui ne s’y évadent pas, soit pour faire leurs courses, soit pour renouer avec des membres de la famille perdus trop longtemps de vue.

Cet abandon poussif des valeurs archaïques de l’Est, symbolisées par la chanson fédératrice, entonnée d’abord par Maria, puis par toute la tablée, à l’exception des invités de l’Ouest, parfaitement étrangers à pareille ferveur collective, il est alimenté par toutes sortes de gadgets à l’utilité discutable. Entre la chantilly instantanée et le nouveau canapé de la grand-mère de Maria d’un côté, et l’appareil photo adulé par Johannes de l’autre, les occasions ne manquent pas pour enfoncer le clou sur la perte de ce qui faisait autrefois l’âme de la bourgade.

Néanmoins, ce coloris d’un autre temps ne réussit jamais tout à fait à opérer la jonction avec le cœur dramatique de l’intrigue. Est-ce que Maria et Henner auraient pu s’aimer plus sereinement à un autre moment de l’Histoire allemande ? Rien n’est moins sûr. D’autant plus que ce chamboulement des habitudes de vie induit par l’avènement prochain de la réunification fait au mieux discrètement intrusion dans leurs discussions : au détour de l’évocation des sévices de l’occupant russe sur la mère de Henner, avant qu’elle ne se réfugie à la campagne. Ce n’est guère plus qu’une référence abstraite au passé, alors que la plupart des autres personnages ont le regard fermement tourné vers l’avenir, plein d’appréhensions et d’incertitudes légitimes.

Conclusion

Le cinéma comme substitut d’amour dans la vraie vie fonctionne à plein régime dans Irgendwann werden wir uns alles erzählen. Emily Atef n’y réinvente point le genre des ébats impulsifs, condamnés d’avance. Grâce aux deux acteurs principaux prêts à se livrer corps et âme à la caméra, la réalisatrice réussit toutefois à insuffler une intensité bienvenue à son récit, qui aurait aussi facilement pu sombrer dans une vulgarité voyeuriste du plus mauvais effet !

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