Berlinale 2018 : Waldheims Walzer

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Waldheims Walzer

Autriche, 2018
Titre original : Waldheims Walzer
Réalisateur : Ruth Beckermann
Scénario : Ruth Beckermann
Distribution : –
Durée : 1h34
Genre : Documentaire historique
Date de sortie : –

Note : 3,5/5

Kurt Waldheim, ce nom ne dit plus forcément grand-chose aux hommes et aux femmes du monde d’aujourd’hui, en dehors du pays, l’Autriche, dont il avait marqué l’Histoire par ses aspirations présidentielles à l’écho plutôt tumultueux dans les années 1980. Puisque l’Histoire a cependant tendance à se répéter, l’occasion est plus que bienvenue de se remémorer, à travers ce documentaire présenté dans la section Forum du Festival de Berlin, la vie politique d’une personnalité pour le moins controversée. Dans Waldheims Walzer, Ruth Beckermann revient sous la forme d’un thriller historique intense sur cette campagne électorale, qui avait tenu en haleine l’actualité mondiale en ce début d’été il y a plus de trente ans. Ce n’est alors pas tellement l’issue du vote de ces braves Autrichiens d’une autre époque qui importe ici, mais davantage le discours à la fois politique et médiatique accompagnant ce dernier sursaut du souvenir gênant d’un passé sombre, que bon nombre de peuples européens auraient préféré blanchir définitivement d’un quelconque soupçon de collusion avec l’ennemi nazi. Le message que la réalisatrice cherche à y transmettre est décidément militant. Les enregistrements vidéo de son propre engagement le prouvent, elle qui s’était indignée dans sa jeunesse contre le maintien d’un individu, hanté par une biographie aux zones d’ombres trop nombreuses pour être encore crédible en homme d’état fédérateur et sans reproche. En même temps, sa mise en scène se distingue par un ton suffisamment factuel et universel, pour ne même plus avoir besoin de faire le lien direct avec ce qui se passe actuellement en Autriche et dans quelques pays voisins, en termes d’élections remportées de justesse – ou pas – par les ultimes barrages contre l’extrême droite.

Synopsis : En 1986, Kurt Waldheim, l’ancien secrétaire général des Nations Unies et un politicien chevronné, se présente à l’élection présidentielle en Autriche. Sa victoire semble courue d’avance, tant ce haut dignitaire personnifie l’âme autrichienne, juste et consciencieuse. Mais quelques semaines avant le premier tour du vote, des accusations troublantes font surface d’abord dans les journaux nationaux, puis américains, par rapport à l’activité de Waldheim pendant trois ans au cours de la Deuxième Guerre mondiale, entre 1941 et ’44. Tandis que le candidat réfute toute implication dans les faits qui lui sont reprochés, y compris l’exécution de centaines de partisans sur les Balkans et la déportation de milliers de juifs en Grèce, le tollé international se fait de plus en plus bruyant, au fur et à mesure que le Congrès juif mondial produit des documents compromettants.

Un père problématique de la famille des hommes

Les meilleurs documentaires historiques sont ceux qui font office à la fois de capsule d’un passé soigneusement préservé et de mise en abîme avec les préoccupations présentes dominant l’esprit collectif, au rythme frénétique d’une actualité en surchauffe de manière permanente. Waldheims Walzer est indubitablement de ceux-là, grâce au choix très judicieux des documents d’archives qu’il a su déterrer et de la sincérité de son indignation face à une situation jugée intenable, au moins avec le bénéfice de la sagesse rétrospective. Car longtemps avant la dictature discursive du politiquement correct et des scandales qui se répandent désormais à la vitesse du tweet sur les réseaux sociaux, avant même que les accusés n’aient le temps de se défendre, il devait paraître entièrement concevable d’élire, voire de soutenir sans honte, un homme au passé trouble. C’est sans doute une question de génération, à quelques décennies seulement de la fin d’une guerre atroce, dont très peu de peuples impliqués avaient alors tiré un bilan honnête. Ruth Beckermann relaye avec adresse les relents nauséabonds de ce droit à l’oubli, de cet aveuglement volontaire qui devait équivaloir dans pas mal de cas à une sorte d’auto-absolution par l’intermédiaire de la figure douteuse de Kurt Waldheim. L’aspect peut-être le plus étonnant de son récit passionnant serait par conséquent l’empressement de la conscience collective autrichienne de rejeter en bloc toute mise en question sérieuse de son futur père de la nation, à tel point de l’élire in extremis, quitte à se retrouver sur le banc des ostracisés internationaux pendant la durée de son mandat. Et d’être en parallèle le témoin de l’argumentation infiniment plus lucide, quoique au moins aussi partiale, des opposants américains et juifs à la consécration politique d’une vie passée sous le signe du mensonge.

L’élasticité autrichienne

Si Waldheims Walzer fait donc un procès tardif à l’homme qui avait stoïquement mené l’Autriche dans l’impasse de la négation d’un passé fautif, il s’emploie au moins autant à démontrer à quel point il peut parfois être vain ou en tout cas frustrant de se révolter contre les injustices les plus manifestes. La loi du silence et la complaisance de la part de parents idéologiques plus ou moins indirects, comme le chancelier allemand Helmut Kohl ou une bonne partie de la classe politique autrichienne, priment ainsi sur des scrupules qui ont heureusement gagné en force au fil du temps. Encore que … Pour quiconque suit un peu les nouvelles venues d’Autriche, il doit être évident que les démons d’antan sont plus que jamais de retour. Il suffit de citer le parcours de l’ancien candidat de l’extrême droite à la présidence Norbert Hofer, vaincu laborieusement au bout de deux scrutins, pour finir pour l’instant au poste pas sans prestige de ministre de l’infrastructure. La réalisatrice a la doigté nécessaire pour ne jamais citer de près ou de loin cet exemple, qui prend l’allure d’une réplique cauchemardesque de ce que Kurt Waldheim personnifiait à l’époque, sous son apparence trompeuse de vieillard cosmopolite. Elle préfère donner la parole à des intervenants, journalistes, activistes et autres historiens, qui savaient déjà à l’époque tirer au clair la nature moralement corrompue en profondeur de cette affaire. On aurait tant aimé pouvoir affirmer que l’humanité a depuis retenu la leçon. Il n’en est hélas pratiquement rien, même si des documentaires de la trempe de celui-ci, éveillés, engagés et subtilement évocateurs, permettent au moins d’apprécier la distance parcourue – aussi dérisoire soit-elle –, depuis ce temps pas si lointain où la génération des rescapés de la guerre avait carte blanche dans ses tentatives de réécrire l’Histoire.

Conclusion

Waldheims Walzer, ce n’est pas, comme son titre peut le laisser supposer, une valse consensuelle sur les pirouettes effectuées par Kurt Waldheim au fil d’une existence publique sous le feu des projecteurs. Il s’agit au contraire d’un formidable documentaire coup de poing, très juste dans son propos et néanmoins parfaitement conscient des limitations auxquelles doit se heurter le combat de David contre ces dinosaures intouchables dans le rôle de Goliath. C’est sur un petit air de jazz que Ruth Beckermann y orchestre son raisonnement, en rupture à la fois avec la pesanteur viennoise proverbiale et son propre idéal de jeunesse, amèrement déçu par le très fâcheux penchant d’une majorité d’Autrichiens – mais malheureusement pas qu’eux – de fermer les yeux devant des évidences trop pénibles et d’adopter de préférence la politique de l’autruche, toujours aussi rassurante et néfaste pour le maintien d’un minimum d’intégrité morale.

https://youtu.be/TDkY-s3Pd6w

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