Critique : Ascenseur pour l’échafaud

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Ascenseur pour l’échafaud

France, 1958
Titre original : –
Réalisateur : Louis Malle
Scénario : Roger Nimier et Louis Malle, d’après le roman de Noël Calef
Acteurs : Jeanne Moreau, Maurice Ronet, Georges Poujouly
Distribution : Gaumont
Durée : 1h31
Genre : Thriller
Date de sortie : 24 juin 2015 (Reprise)

Note : 4/5

Près de vingt ans après la disparition de Louis Malle, ses films courent le risque sérieux de tomber dans l’oubli. Ce serait pourtant un crime contre le cinéma d’ignorer les multiples facettes d’une œuvre au moins aussi riche et foisonnante que celle de son contemporain François Truffaut dont les rétrospectives se succèdent à un rythme soutenu. La preuve avec ce premier long-métrage de fiction réalisé par Malle : Ascenseur pour l’échafaud s’inscrit d’ores et déjà dans une forme moderne du langage filmique, tout en développant une intrigue de sombres crimes passionnels sur un ton prenant. Il s’agit – avant même que l’heure de la Nouvelle Vague n’ait sonné – d’un film qui vit autant de son histoire aux multiples revirements fatidiques que de sa forme à la fois crue et d’une élégance folle. Les deux principaux ambassadeurs de cette expression sophistiquée selon Louis Malle sont ici Jeanne Moreau, dont l’interprétation à fleur de peau soutiendrait à elle seule le récit à trois actions parallèles, ainsi que la musique de Miles Davis, un sommet du jazz qui ne tire pas pour autant inutilement l’attention vers elle.

Synopsis : Florence Carala, l’épouse d’un riche marchand d’armes, a pris rendez-vous avec son amant Julien Tavernier. Celui-ci devra auparavant assassiner son patron, le mari de Florence, et donner à ce meurtre l’apparence d’un suicide. Le crime est presque parfait, sauf que Julien a oublié un détail compromettant avant de quitter son lieu de travail. Il y revient discrètement, mais reste coincé dans l’ascenseur quand le personnel quitte l’immeuble et coupe le courant. En même temps, Louis, le petit ami de la fleuriste du coin, vole la voiture de Julien et part avec sa copine pour une virée à la campagne. Florence voit passer l’automobile et craint que son amant l’ait trahie. Désespérée, elle fait la tournée des bars pendant toute la nuit afin de le retrouver.

Vous n’avez pas vu Julien ce soir ?

L’échange téléphonique au début du film, entre Florence et Julien, pourrait paraître exagéré dans son idéalisme romantique poussé à l’extrême. Il constitue cependant la base, concise et intense, de ce qui va suivre : le désarroi de la femme et sa méprise envers l’homme, pris au piège, mais qu’elle croit parti avec une autre. La relation que les deux amants entretiennent ne se nourrit que de ce bref instant de conspiration, d’autant plus crucial que l’on ne les verra pratiquement jamais ensemble à l’image par la suite. De cette séparation dans l’espace, malgré l’union dans le dessein machiavélique, la narration s’en accommode avec une aisance bluffante, tant elle sert de fil rouge à une histoire qui aurait à première vue tendance à s’éparpiller. Or, la digression dramatique autour du couple plus jeune et plus violent est en fait un reflet hautement révélateur de la volonté de nuisance que les amants maudits plus âgés cachent tant bien que mal derrière une façade de mondanités.

 

Longtemps avant que les chemins de ces deux générations de malfaiteurs ne se croisent, cette interaction devient apparente. Elle laisse sous-entendre, presque en passant, à quel point on envisage avec plus ou moins d’emphase les tragédies de la vie, selon l’âge auquel elles surviennent. La réaction au déraillement d’un mécanisme parfaitement calibré – l’éviction du mari gênant d’un côté et la tolérance temporaire des frasques de délinquant de l’autre – répond en fin de compte aux mêmes règles du désespoir. Qu’est-ce que la quête fastidieuse et humiliante à travers le Paris nocturne d’autre pour Florence qu’une forme de suicide social, aussi peu glorieuse que la mise en scène digne d’un roman à l’eau de rose des derniers moments supposés de la vie par la copine de Louis dans sa misérable chambre de bonne ?

Le plaisir de rouler

Même si on peut lui reprocher un certain goût pour les faits divers scabreux, le scénario garde une allure des plus séduisantes sous l’œil attentif de Louis Malle. Le va-et-vient entre les trois décors distincts, le huis-clos de l’ascenseur, la recherche sous la pluie et l’excursion sanglante à Trappes, est agencé avec une fluidité qui n’oublie jamais les conséquences plus graves de chaque petite pièce du puzzle. La progression du traquenard dans lequel les personnages sont pris presque malgré eux reste alors d’une étonnante simplicité, comme s’il ne servait à rien de courir puisque le mauvais sort allait de toute façon s’abattre sur eux. Cette détresse suprême est encore accrue par l’indifférence des tiers observateurs, interprétés par de futurs piliers du cinéma français comme Jean-Claude Brialy, Lino Ventura et Charles Denner, qui n’éprouvent pas le moindre état d’âme face à la panique grandissante de ces Roméos et Juliettes sans prestance. Enfin, pour un film de genre de haut vol, Ascenseur pour l’échafaud réserve une place de choix aux préoccupations propres à l’époque, cette parenthèse nullement rassurante entre les guerres d’Indochine et d’Algérie.

Conclusion

Après avoir découvert ce film il y a longtemps dans des circonstances loin d’être idéales, nous ne pouvons que jubiler face à ces retrouvailles des plus enrichissantes. Une reprise à déguster d’urgence donc, tellement elle nous rappelle avec panache l’immense maîtrise de l’outil cinématographique par Louis Malle, un réalisateur honteusement négligé par les gardiens du patrimoine du cinéma français ! Espérons que le vingtième anniversaire de sa mort au mois de novembre prochain rencontrera le même écho que le dixième en 2005, qui avait été suivi par une petite rétrospective de sept de ses films.

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