Test Blu-ray 4K Ultra HD : La traque

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La traque

France, Italie : 1975
Titre original : –
Réalisation : Serge Leroy
Scénario : André G. Brunelin, Serge Leroy
Acteurs : Mimsy Farmer, Jean-Luc Bideau, Michael Lonsdale
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h37
Genre : Thriller
Date de sortie cinéma : 14 mai 1975
Date de sortie BR/4K : 15 février 2021

En vue de louer une propriété, Helen Wells, Anglaise trentenaire travaillant à l’Université de Caen, se rend dans un hameau situé près d’Alençon. Elle y fait la connaissance de quelques bourgeois et parvenus liés par une passion commune : la chasse. Parmi eux, les frères Danville, Albert et Paul, ferrailleurs de profession. Le cadet, Paul, tombe immédiatement sous le charme de Helen. Tandis qu’elle se promène dans la forêt, la jeune femme croise à nouveau les deux hommes, accompagnés de leur ami Chamond. Les deux frères se montrent grossiers, le ton monte jusqu’à l’altercation. Paul se jette sur Helen et la viole, sous le regard complaisant d’Albert. Mais un autre drame va bientôt survenir…

Le film

[5/5]

Oyez oyez, amis bisseux z’et cinéphages : La traque, le film-culte français, invisible depuis de nombreuses années et quasi-unanimement considéré comme l’un des piliers du cinéma de genre hexagonal, vient de débarquer au format Blu-ray 4K UHD et Blu-ray en France. Ce tour de force, on le doit bien sûr au Chat qui fume, qui nous a livré courant février deux films français – La traque et Possession – faisant sans aucune contestation possible des plus attendus en Haute-Définition depuis l’apparition du format il y a une quinzaine d’années.

Les origines de La traque vont sans doute chercher du côté du Délivrance de John Boorman (1972), mais peut-être bien également de The intruder (Roger Corman, 1962) ou de chez Yves Boisset, qui signerait Dupont Lajoie la même année que Serge Leroy, et qui proposait également un triste portrait de la France des années 70. Mais l’influence que l’on sent de la façon probablement la plus nette sur l’œuvre de Serge Leroy est celle de… Claude Chabrol. Nan mais les gars oH ! HÉ LES GARS non ATTENDEZ !!! Les gars. Attendez, revenez. Ne fuyez pas. On va vous expliquer pourquoi.

L’influence de Claude Chabrol sur l’intrigue de La traque se ressent dans la description, minutieuse et extrêmement réaliste, d’une certaine petite bourgeoisie de province, soudée dans l’abjection et prête à couvrir un meurtre afin de préserver ses avantages. Bien sûr, tous les personnages du film ne s’apprécient certes pas – les tensions entre Sutter et Mansart, les personnages campés par Michael Lonsdale et Jean-Luc Bideau sont manifestes, et de la même façon, celui de Rollin incarné par Paul Crauchet n’apprécie clairement pas la compagnie des frères Danville (Jean-Pierre Marielle et Philippe Léotard), qu’il considère comme des parvenus ; si ses confrères chasseurs les considèrent volontiers comme « amusants », sa conscience de classe l’empêche quant à lui de se sentir à l’aise en leur présence.

Pour autant, lorsque le drame se produit, tous les chasseurs au cœur de l’intrigue de La traque se serreront les coudes afin de faire régner la loi du silence autour du meurtre d’Helen Wells, la jeune touriste incarnée par Mimsy Farmer, qui au fur et à mesure que le film avance, paraîtra de plus en plus inévitable au spectateur, la possibilité d’un happy end s’éloignant de plus en plus de minute et minute. Habile, voire même machiavélique, le scénario de Serge Leroy et André-Georges Brunelin dévoilera par la suite que ce genre de mésaventure a déjà eu lieu par le passé, puisqu’une partie de la bande de joyeux chasseurs a déjà étouffé la mort d’un cycliste quelque temps auparavant. Que représente la mort d’un inconnu par rapport à une éventuelle déchéance sociale ? Rien.

Cette violence larvée et ces frustrations plus ou moins explicites, que l’on ressent confusément tout au long de La traque, semblent en partie nées des blessures liées à la guerre, en Algérie ou en Indochine, qui s’avère au cœur des souvenirs de plusieurs des personnages (Paul Crauchet, Michel Constantin, Gérard Darrieu). Ce rapport traumatique à la guerre contribue grandement à « lier » ces hommes les uns par rapport aux autres, dans un esprit de camaraderie masculine dépassant de loin leurs valeurs, voire même leur humanité. En lieu et place des marais de Sologne, les chasseurs évoluent mentalement dans le bourbier des « premières lignes » des champs de bataille les ayant façonnés. D’une certaine façon, ils sont là pour tuer ou pour être tués…

L’autre grosse influence que l’on pourra ressentir à la découverte de La traque est profondément liée à la présence de Jean-Pierre Marielle au casting, qui « vampirise » quasiment à lui-seul l’intégralité du casting du film de Serge Leroy. Sa gouaille naturelle, couplée aux dialogues brillants et « plus vrais que nature » d’André-Georges Brunelin, permettra en effet au spectateur de dresser, presque malgré lui, des passerelles mentales entre le film de Serge Leroy et le cinéma de Joël Séria, qui contribuerait à façonner tout au long des années 70 l’image publique de l’acteur, que Jean-Pierre Marielle conserverait jusqu’à sa disparition en 2019.

Le parallèle que l’on dresse ici entre le film de Serge Leroy et l’œuvre de Joël Séria n’est pas anodine, dans le sens où elles contribuent à véhiculer une image de la France bien éloignée des sentiers battus et des images d’Epinal d’un pays bucolique où il fait bon vivre sous la bannière « Liberté / Égalité / Fraternité ». De même, La traque fait partie de la tradition française du cinéma de genre – c’était également le cas du premier film de Joël Séria, Mais ne nous délivrez pas du mal (1971), qui fut interdit à sa sortie, mais proposait également au spectateur de découvrir une « autre » France, aux atours bien peu séduisants.

Ainsi, les deux films nous proposent une critique explicite de la société française de son époque, et plus particulièrement de la petite bourgeoisie aux mentalités (et aux vies) étriquées, où les hommes sont « castrés » par leurs femmes ou par les institutions religieuses. Dans les petits villages de la France profonde que nous donnent à voir Leroy et Séria, l’évasion passe par le recours à divers formes de violence, qui permettent aux hommes de libérer leurs « pulsions » animales, pour le meilleur et pour le pire. Pour autant, les deux cinéastes prennent le parti de ne pas juger les protagonistes de leurs récits, faisant même d’une bande d’ordures criminelles des anti-héros finalement relativement attachants, même si dans le cas de La traque, une grande partie du plaisir ressenti par le spectateur viendra de leurs difficultés à rattraper et à maîtriser une « faible femme ».

Vous l’aurez compris, si l’on s’amuse ici à qualifier de « faible » le beau sexe, c’est bel et bien afin de souligner la dimension féministe que l’on pourra déceler, en filigrane, dans l’intrigue et le déroulement des événements prenant place dans La traque. Porté par l’interprétation de Mimsy Farmer, érigée un peu malgré elle en égérie hippie à la fin des années 60, le film de Leroy met en effet en avant une forte personnalité de femme, digne et sûre d’elle, que l’on se régalera voir donner du fil à retordre à cette bande de mauvais chasseurs. Elle apporte sans le moindre doute à La traque une dimension supplémentaire, lui permettant d’aller au-delà de la dénonciation de la France « saucisson pinard et viol » mise en scène par Serge Leroy, et contribuant en partie à la légende tournant autour du film.

Car il y a bel et bien une « légende » autour du film de Leroy, et cette dernière était en partie née du fait que personne ou presque n’avait été en mesure de le voir depuis 45 ans. On s’explique : avant d’être exhumé cette année par Le chat qui fume, La traque était devenu quasi-invisible. Cette discrétion forcée avait contribué à lui entretenir, doucement mais sûrement, une solide réputation de film-culte. Annoncé au format DVD il y a quelques années par la branche française de Warner Bros., le film de Serge Leroy n’était finalement jamais sorti, entretenant toutes sortes de légendes autour de son indisponibilité, et augmentant encore grandement le « fantasme » cinéphile qui l’entourait. Mais impossible n’est pas Le chat qui fume : après avoir dénoué il y a quelques années l’imbroglio de droits qui empêchait à 36-15 code Père Noël de retrouver le chemin de la vidéo physique, voilà qu’ils remettent le couvert avec une sublime édition de La traque en Blu-ray 4K Ultra HD.

Cette attente fantasmée, entretenue durant plusieurs décennies dans le cas de certains cinéphiles, a-t-elle fini par jouer contre La traque ? Oui et non. Une chose est sûre en tous cas, c’est que les bourrins seront sans doute un peu déçus, dans le sens où le film n’est sans doute pas aussi extrême qu’on a pu nous le vendre durant toutes ces années, la faute sans doute à une coproduction franco-italienne propre à nous faire imaginer toutes les outrances. Le film s’impose au contraire comme d’une rare élégance, faisant même preuve d’une certaine retenue dans les scènes trop attendues. Durant sa première demi-heure, les différentes « forces en puissance » sont mises en scène par Serge Leroy avec une intelligence remarquable, enchaînant les scènes de présentation des différents personnages sans jamais distiller le moindre ennui.

C’est dans son deuxième tiers que La traque commence à devenir vraiment intéressant, faisant monter la pression au fur et à mesure, en révélant un peu plus sur chacun des protagonistes de l’histoire au détour d’une séquence ou d’une autre, comme si la présence de cette femme en fuite leur faisait ressentir la présence imminente de la mort, et les incitait à soulager leur conscience des poids qui les empêchent d’avancer. Au fur et à mesure, La traque s’imposera finalement comme un véritable cauchemar misanthrope, puissant et désespéré – autant dire à la hauteur de ce que laissait supposer sa réputation.

Le Blu-ray 4K Ultra HD

[5/5]

A l’occasion de la sortie de La traque au format Blu-ray 4K Ultra HD, Le chat qui fume se fend comme à son habitude d’un boîtier au visuel superbe, composé d’un Digipack trois volets illustré de photogrammes du film, le tout étant surmonté d’un étui rigide. Il s’agit d’une édition limitée à 1000 exemplaires, s’étant d’ailleurs tous vendu en l’espace de quelques heures au moment même de la phase des précommandes – la rançon de la gloire sans doute ! On ne va pas tortiller du cul pour chier droit : comme d’hab avec Le chat, on a bel et bien entre les mains un véritable et bel objet de collection, dont la conception graphique a été assurée par le toujours excellent Frédéric Domont.

Côté galette, le Blu-ray 4K UHD de La traque nous propose une image littéralement impeccable : l’image est présentée au format 1.66:1 d’origine, et est encodée en HEVC 2160/24p, le tout étant tiré d’un scan 4K du négatif original. Si l’on excepte une ou deux séquences un peu plus abîmées que les autres, le master est globalement de toute beauté, d’une propreté remarquable. Le grain argentique est parfaitement préservé, et le rendu précis, avec un niveau de détail saisissant, aussi appréciable lors des gros plans qu’en termes de profondeur de champ sur les plans d’ensemble et les plans larges nous donnant à voir les beaux paysages de la campagne française photographiée par Claude Renoir. Côté son, le film est proposé en DTS-HD Master Audio 2.0 mono d’origine, et dès la séquence d’ouverture, on appréciera le rendu acoustique de l’ensemble, clair, net et puissant. Les dialogues sont de la plus parfaite clarté, et la musique de Giancarlo Chiaramello donne à l’ensemble un surplus d’intensité remarquable.

Du côté des suppléments, on se régalera tout d’abord d’un reportage TV dédié au tournage de La traque (10 minutes), donnant notamment la parole à Mimsy Farmer, Michel Constantin mais également à Serge Leroy, qui reviendra notamment sur la genèse du film, né de films documentaires qu’il avait tourné aux côtés de chasseurs. On continuera ensuite avec un entretien d’époque avec Mimsy Farmer (11 minutes), enregistré quelques années plus tard pour la télévision belge, qui diffusait le film. Cette dernière se remémorera quelques anecdotes de tournage, en mettant en avant la forte dimension « féministe » du film.

Enfin, on terminera avec un entretien avec Jean-Luc Bideau (15 minutes), au cours duquel l’acteur dressera, non sans une certaine amertume, un bilan de sa carrière au cinéma, tout en évoquant ses souvenirs du tournage de La traque. Pas spécialement tendre ni avec Serge Leroy ni avec Jean-Pierre Marielle, il évoquera d’un côté un cinéaste incapable de diriger ses acteurs et de l’autre un acteur ayant pris l’ascendant sur toute la petite bande d’acteurs évoluant devant la caméra. Un peu snob sur les bords, il se rappellera avec un certain mépris de classe d’un Marielle entonnant « La digue du cul » avant d’être repris en cœur par tous les acteurs du film. Pour terminer, il avouera que pour la classe « populaire » s’adressant à lui, les deux faits d’arme les plus marquants de sa carrière sont Et la tendresse ? Bordel (Patrick Schulmann, 1979) et la série humoristique H (Kader Aoun, Eric Judor & Xavier Matthieu, 1998-2002).

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