Critique : Casier judiciaire

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Casier judiciaire

États-Unis, 1938

Titre original : You and me

Réalisateur : Fritz Lang

Scénario : Virginia Van Upp, d’après une histoire de Norman Krasna

Acteurs : Sylvia Sidney, George Raft, Barton MacLane, Harry Carey Sr.

Distributeur : Swashbuckler Films

Genre : Drame

Durée : 1h34

Date de sortie : 6 mars 2019 (Reprise)

3/5

Comme bon nombre de ses contemporains, contraints par la barbarie nazie à quitter leurs pays d’origine en Europe, Fritz Lang était resté assez loin des sommets du microcosme hollywoodien pendant la partie américaine de sa filmographie. Il a certes su y réaliser quelques perles du film de genre, des œuvres à la noirceur inhabituelle dans le contexte de l’optimisme pathologique qui régnait dans les années 1930 et la première moitié de la décennie suivante sur le cinéma américain. Mais la plupart du temps, il se voyait contrait d’accepter des films de commande, dans le cas de Casier judiciaire chez la Paramount, qu’il abordait d’une manière presque routinière. Presque, puisque l’on sent bien son génie de la mise en scène faire de brefs soubresauts par le détour d’une séquence ou deux, des morceaux de bravoure qui dénotent dans ce conte moralisateur au message transmis avec insistance. Car il s’agit dans l’ensemble de quelque chose qui s’apparente à un film de propagande, en faveur du maintien du statu quo social aux États-Unis, de ce mythe du rêve américain, propret et respectable, auquel le couple de protagonistes, d’anciens parias en cours de réhabilitation, aspirent avec la force du désespoir.

© Paramount Pictures / Swashbuckler Films Tous droits réservés

Synopsis : Au grand dam de son épouse, Jerome Morris, le patron d’un grand magasin, collectionne d’anciens criminels auxquels il donne volontairement une deuxième chance, une fois qu’ils ont purgé leur peine de prison, en les faisant travailler dans les rayons de son établissement. Joe Dennis est de ceux-là, autrefois un gangster redouté et désormais contraint à vendre des accessoires sportifs. Cette nouvelle existence lui conviendrait, si ce n’était pour les sollicitations de ses anciens complices qui cherchent à l’associer à leurs nouvelles combines. De surcroît, il est devenu ami avec sa collègue Helen, qui ne lui reproche nullement sa vie d’avant. Alors qu’il est sur le point de partir en Californie, elle lui demande en mariage. L’ancien prisonnier accepte tout de suite, sans se douter que sa future épouse lui cache une partie essentielle de son passé.

© Paramount Pictures / Swashbuckler Films Tous droits réservés

Le prix d’une heure d’extase

Alors que le but principal de chaque production issue des studios hollywoodiens a été et reste jusqu’à ce jour de faire tourner la machine de cet immense appareil industriel, Casier judiciaire commence avec un hymne hautement ironique au capitalisme. On y voit défiler toutes sortes d’objets de convoitise matérielle sur fond d’une mise en garde musicale qui dit en somme qu’il vaut mieux avoir de l’argent, si on prétend accéder à cette forme de bonheur typiquement américaine. Bien évidemment, l’histoire qui suit illustre au fil de maints revirements et autres crises conjugales à quel point il est difficile de rester sur le droit chemin, censé mener à l’obtention de toutes ces richesses factices. Le réalisme social, dont les bases seront posées quelques années plus tard en Italie, avant de devenir une partie intégrante du cinéma mondial dans son volet le plus contestataire, n’a pas encore été de mise à l’époque, ni dans le fond, ni dans la forme. Le récit demeure par conséquent largement sage. La dynamique du couple en est le premier indicateur, en dépit de son déséquilibre relatif, à la fois à cause du rôle de fautive endossé presque exclusivement par la femme et d’une complicité guère manifeste entre la pimpante Sylvia Sidney et le plus sombre George Raft. Puis, le fil conducteur dramatique subit sans broncher les ordres d’une conception de la société qu’on pourrait qualifier de réactionnaire, voire de carrément répressive, tellement le respect des règles de conduite très strictes exigé de la part des personnages en sursis enferme ces derniers dans un climat de stress social omniprésent.

© Paramount Pictures / Swashbuckler Films Tous droits réservés

Le crime ne paie pas

Bref, on s’était résigné à regarder sans déplaisir un conte moralisateur conforme à l’état d’esprit des années ’30, lorsque soudainement, sans crier gare, la mise en scène de Fritz Lang s’est réveillée. Paradoxalement – ou peut-être pas, justement –, cet éveil narratif a eu lieu à l’occasion d’une séquence, où tous les bons sentiments élaborés si consciencieusement jusque là sont démentis avec vigueur. Les rescapés de la pègre, ceux qui ne croient pas au fond à la promesse d’une vie meilleure en dehors des codes du crime, se sont réunis comme dans le bon vieux temps afin d’échanger leurs souvenirs nostalgiques d’une époque, où un bon repas faisait encore saliver pendant des mois, alors qu’il serait à présent accessible sans qu’il y ait besoin de fournir le moindre effort. Ce sont des références à une autre formidable plongée dans le monde clandestin qui se rappellent alors à nous, celle dans M le maudit, de Lang également, un film infiniment plus percutant, mais dont la sympathie diffuse pour l’univers des gangsters trouve son prolongement ici. Après ce coup d’éclat, au cours duquel on découvre un jeune Robert Cummings, encore cantonné à ce moment-là aux seconds rôles, les affaires du rouleau compresseur de la morale consensuelle reprennent hélas. Elles s’agencent au moins d’une manière à peu près didactique, quand Helen explique, chiffres détaillés à l’appui, à la bande de petits malfrats en pleine rechute, pourquoi leur retour en arrière ne vaut pas la peine.

© Paramount Pictures / Swashbuckler Films Tous droits réservés

Conclusion

Même confronté aux sujets les plus ingrats, Fritz Lang réussit toujours à tirer tant soit peu son épingle du jeu. D’où une filmographie à la qualité quasiment irréprochable sur une durée de près d’un demi-siècle. Ainsi, Casier judiciaire ne compte certainement pas parmi ses chefs-d’œuvre. Il s’agit toutefois d’un film solide, dans l’air de son temps, c’est-à-dire tributaire d’une mission détournée de service public, visant à faire passer des messages sociaux à caractère moralisateur. Au moins, cette couche sentimentale et bien intentionnée est temporairement percée par une célébration sans réserve et formellement sans reproche de la loyauté parmi les exclus d’une société, acquise à la philosophie du gain égoïste.

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