Berlinale 2018 : Otages à Entebbe

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Otages à Entebbe

Etats-Unis, Royaume-Uni, 2018
Titre original : 7 Days in Entebbe
Réalisateur : José Padilha
Scénario : Gregory Burke
Acteurs : Rosamund Pike, Daniel Brühl, Eddie Marsan, Lior Ashkenazi, Ben Schnetzer
Distribution : UGC Distribution
Durée : 1h47
Genre : Drame historique
Date de sortie : 2 mai 2018

Note : 2,5/5

Parmi les trois grands festivals de cinéma européens, celui de Berlin est peut-être le plus empreint d’une conscience politique et par assimilation historique. Tandis que les actualités cannoise et vénitienne sont ponctuées de scandales sur des tabous rompus à l’écran dans la forme ou le fond, en Allemagne, les esprits peinent à s’échauffer en plein mois de février pour ce genre de question artistique. L’engagement en faveur des grandes causes perdues de l’humanité y est sans doute aussi si fermement enraciné à cause de l’Histoire même de l’événement, qui était jusqu’à la chute du mur en 1989 un signe à la fois de résistance contre l’oppression de la parole en RDA et d’ouverture vers le monde extérieur auquel cette enclave des alliés n’avait alors qu’un accès restreint. Depuis, la situation géopolitique de la région a changé de fond en comble. Toutefois, il est encore et toujours de rigueur d’inviter des films véhiculant une prise de position surtout pas trop osée, mais juste assez lucide dans le traitement d’événements passés pour que leur sélection puisse élever le prestige du Festival de Berlin. Présenté hors compétition, Otages à Entebbe est de ceux-là, un énième retour sur des faits sanglants qui avaient tenu en haleine le monde entier dans les années 1970, une époque pas si différente de la nôtre par sa menace diffuse d’un terrorisme amateur contre lequel les pouvoirs en place s’étaient longtemps montrés inefficaces. Malheureusement, le film de José Padilha, un réalisateur plutôt spécialisé dans le cinéma d’action de son pays d’origine, le Brésil, n’apporte pas grand-chose de percutant, ni à la reconstitution de cette prise d’otages au long cours, ni à sa mise en perspective avec un statu quo plus que jamais envenimé au Proche-Orient.

Synopsis : Le 27 juin 1976, deux terroristes allemands, Brigitte Kuhlmann et Wilfried Böse, ainsi que leurs complices palestiniens, prennent en otage un avion Air France qui devait relier Tel Aviv à Paris. Ils le dévient d’abord en Libye, où il est réapprovisionné en carburant, puis sur l’ancien terminal d’Entebbe en Ouganda, où le dictateur excentrique Idi Amin Dada espère tirer profit sur la scène internationale de son intervention dans ce cas d’urgence extrême. Car la cible principale parmi les passagers sont les quelques dizaines d’Israéliens, pour lesquels le gouvernement de l’état hébreux refuse catégoriquement d’abandonner sa politique de ne jamais entrer en pourparlers avec des terroristes. Pendant que le premier ministre Yitzhak Rabin et son ministre de la défense Shimon Peres évoquent dans un climat de concurrence politique accru toutes les options de sauvetage à peu près praticables, Kuhlmann et Böse se voient progressivement écartés des décisions importantes à prendre dans le hangar de l’aéroport, désormais sous le contrôle des forces révolutionnaires palestiniennes et de l’armée ougandaise.

Merci d’avoir choisi Air France … et Mr Gaga

Nul besoin en effet de savoir anticiper l’avenir proche pour pouvoir être certain que l’hostilité entre Israéliens et Palestiniens, déjà à cran il y a quarante ans, reste hélas toujours aussi vive et nullement prête à tenter de nouvelles voies de réconciliation. D’un point de vue purement cinématographique – aussi anodin soit-il dans le grand déséquilibre des choses qui produit chaque jour une somme colossale d’injustices et de misère –, il est dommage qu’Otages à Entebbe n’ait pas trouvé un angle d’attaque plus pertinent pour relayer une fois de plus des faits, qui avaient déjà fait l’objet de versions partielles ou intégrales pour la télévision et le cinéma. Alors que la porte d’entrée du récit a encore de quoi surprendre, avec cette répétition d’une des chorégraphies phares de Ohad Naharin, dont le public français plus adepte du grand écran que des salles de spectacle de danse avait pu découvrir le travail exceptionnel en juin 2016 dans le documentaire Mr Gaga Sur les pas d’Ohad Naharin de Tomer Heymann, cette mise en abîme devient vite clinquante, voire incongrue, au lieu d’élargir l’horizon de réflexion du récit. Car au moment de la tension dramatique la plus forte, lors de l’assaut final contre le repère des preneurs d’otages, l’inclusion de ces numéros de danse à la beauté très abstraite ne peut que dénoter. Dans ce contexte formel, marqué par l’emploi poussif de dispositifs à la gloire des héros sans peur et pourtant armés jusqu’aux dents, dont ce terrible faux pas esthétique du ralenti, le fait de voir en montage parallèle un public de théâtre applaudir à tout rompre les danseurs sur scène envoie certainement des signaux de positionnement idéologique douteux.

Un plombier vaut mieux que dix révolutionnaires

Le grand écart entre le divertissement de haut vol et un regard supposément engagé sur un conflit pernicieux ne réussit guère à José Padilha. D’un côté, le spectacle aurait dû raviver le suspense, considérablement diminué à cause du cadre temporaire délimité précocement par le titre original. Et de l’autre, il est plus que périlleux de prendre parti dans ce trafic d’influences à l’échelle mondiale, que personne n’a osé trancher depuis la création de l’état d’Israël. La gestion du temps dramatique s’avère ainsi peu heureuse, faute de déclencher un compte à rebours passionnant. Au cours de ce dernier, les nerfs des adversaires auraient dû être mis à nu d’une manière incisive, plutôt que d’entrecouper la linéarité de l’intrigue par des retours en arrière à la seule vocation de construire la légende des terroristes. De même, la frilosité du discours, qui voit de pauvres illuminés dépassés par les événements dans le camp allemand et des politiciens en proie à l’hystérie va-t-en-guerre en face, prépare assez mal sa morale finale, qui voudrait essentiellement que les Israéliens – chanceux cette fois-là – se résignent enfin à négocier avec leurs voisins aussi belliqueux qu’eux, afin d’entamer une désescalade durable. Bien sûr, une telle propension à vouloir réécrire l’Histoire, ou plus précisément à lui infliger un tournant jusque là fictif vers une solution pacifique, qui ne veut toujours pas se matérialiser dans la réalité, a du mal à passer. Au moins, ces tentatives maladroites de condenser de façon sommaire une semaine de guerre des nerfs hautement complexe valent toujours mieux que les interprétations de Rosamund Pike, Daniel Brühl et Eddie Marsan, qui lorgnent avec une insistance inquiétante vers le cabotinage en roue libre.

Conclusion

Si vous ne saviez rien de la prise d’otage d’Entebbe, cette production américano-britannique peut éventuellement vous fournir une première introduction à ce chapitre important de l’Histoire récente du terrorisme international. Sinon, les lacunes sont tout de même un peu trop nombreuses, des otages réduits en somme à la fonction de figurants quasiment anonymes jusqu’à quelques prises de position dangereusement tendancieuses, en passant donc par cette référence étrange à la danse moderne, pour que Otages à Entebbe remplisse convenablement son contrat de vulgarisation. Comme quoi, même le cinéma commercial dans sa forme la plus convenue n’arrive pas à faire abstraction des tenants et des aboutissants contradictoires du conflit israélo-palestinien, pas plus clairs aujourd’hui qu’en 1976 !

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