Critique : Moonlight

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Moonlight

Etats-Unis, 2016
Titre original : Moonlight
Réalisateur : Barry Jenkins
Scénario : Barry Jenkins, d’après une histoire de Tarell Alvin McCraney
Acteurs : Alex Hibbert, Ashton Sanders, Trevante Rhodes, Mahershala Ali, Naomie Harris
Distribution : Mars Films
Durée : 1h51
Genre : Drame
Date de sortie : 1er février 2017

Note : 4/5

Elle est toujours très compliquée, l’éternelle histoire du film attendu comme un messie, qui porte en même temps en lui la promesse d’une déception inévitable. Nous avons par conséquent découvert avec autant d’anticipation que d’appréhension Moonlight, le chouchou de la critique outre-Atlantique et un film entièrement prédisposé à conquérir notre cœur de cinéphile depuis longtemps sensible à la représentation de l’homosexualité à l’écran. Le sujet du deuxième film de Barry Jenkins s’inscrit en effet dans une lignée en croissance constante de regards multiples sur la question de l’identité sexuelle, désormais libérée de tous ces préjugés infectes qui l’avaient idéologiquement teintée jusqu’aux années 1990 environ. Encore fallait-il remplir le contrat du traitement à la fois délicat et poignant d’une intrigue potentiellement exposée au grand écart entre l’apitoiement misérable et la conclusion hâtive, baignée dans l’eau de rose. Nous sommes hautement ravis de vous apprendre que ce film a su se montrer à la hauteur de nos attentes, grâce à sa narration artistiquement ambitieuse, qui ne perd pourtant jamais de vue la simplicité et l’infinie tristesse du sort de son protagoniste !

Synopsis : Le dealer Juan fait le tour de son quartier quand son chemin croise celui du jeune Chiron, pris en chasse par des enfants qui veulent le tabasser. Juan accueille chez lui ce garçon taciturne et effrayé, avant de le ramener chez sa mère toxicomane. Il remplit tant soit peu le rôle de père de substitution, soutenu par sa copine Teresa qui fournit à Chiron une sorte de deuxième foyer, où il peut se réfugier quand sa mère devient ingérable. A l’adolescence, le jeune homme peine toujours autant à s’intégrer. La cible de harcèlements incessants de la part de ses camarades de classe, il ne trouve du réconfort qu’auprès de son ami d’enfance Kevin.

Bleu est la couleur la plus chaude

Qu’est-ce qui fait un homme ou plus spécifiquement, quels traits de caractère et quels événements sont déterminants pour façonner notre personnalité ? Il n’y a bien sûr aucune réponse unique et définitive à ce dilemme philosophique, psychologique et social. Barry Jenkins le sait pertinemment et il a donc conçu son film comme une suite d’indices, de bribes du quotidien qui se complètent au fur et à mesure pour aboutir au portrait saisissant d’un paria. Chiron est tout sauf un héros. Il adopte très tôt le rôle de la victime murée dans le silence, du souffre-douleur impassible, qui subit les abus dont le plus pénible est sans doute celui de la solitude, de l’impossibilité de faire grandir sainement sa personnalité. Or, en dépit de toute cette souffrance savamment contenue, le ton du film n’a strictement rien en commun avec celui, tragiquement grandiloquent, d’un Precious de Lee Daniels, pour ne citer que l’exemple le plus évident. La fêlure intime du personnage principal s’étire plutôt tel un fil rouge tout au long des trois chapitres du scénario. C’est certes un éternel retour d’humiliations, mais Chiron devra malgré lui apprendre à grandir, c’est-à-dire à assumer qui il est réellement. Heureusement, la mise en scène se garde bien de tomber alors dans l’autre extrême, celui du conte des pédés qui vivront fièrement une fois qu’ils auront envoyé au diable les responsables de la chape de plomb de l’intolérance, qui leur a rendu jusque là la vie infernale.

Mille lieues à parcourir avant de pouvoir dormir

En effet, l’aspect peut-être le plus appréciable de Moonlight est l’immense pudeur avec laquelle il explore un parcours semé d’embûches de nature foncièrement déplaisante. A commencer par la représentation de l’univers de la drogue, dans lequel Chiron nage par procuration jusqu’à l’asphyxie et qui demeure le deuxième point fort de la visée sociale du film, aux côtés du traitement pas moins lucide et douloureusement fataliste de l’homosexualité dans un milieu défavorisé. Car le personnage principal est autant un prisonnier subtilement noble de son identité sexuelle (très) mal vécue que des conséquences néfastes du trafic de drogues, qui gangrènent tous les points de repère dans son entourage. Ainsi, la figure paternelle par excellence, interprétée avec une force tranquille remarquable par Mahershala Ali, n’est en fin de compte guère plus lumineuse que celle de la mère, possessive et auto-destructrice à souhait. Or, la faute d’une existence au moins partiellement ratée revient à Chiron lui-même, incapable de faire siens ses démons et de rompre avec un héritage toxique. Dans cette ambiguïté morale, qui ne pointe jamais platement le doigt mais qui en dit néanmoins long sur le malaise profond de la société américaine, réside toute la beauté suprême, dans le fond et la forme, d’un film en tous points magistral.

Conclusion

Difficile pour nous de ne pas tomber dans l’emploi excessif de superlatifs, lorsqu’on évoque Moonlight ! C’est le genre de film qu’on aurait adoré faire, mais devant lequel on préfère rester bouche bée, submergé d’admiration face à une telle sensibilité à fleur de peau ! Barry Jenkins y réussit l’exploit insensé de nous plonger dans un état de transe douce-amère, tout en rendant compte avec sincérité et vigueur de fléaux – l’homophobie et le marasme de la drogue – desquels ne souffre pas seulement la société américaine.

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