Berlinale 2016 : La Route d’Istanbul

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La Route d’Istanbul

France, 2016
Titre original : –
Réalisateur : Rachid Bouchareb
Scénario : Olivier Lorelle, Yasmina Khadra, Zoé Galeron et Rachid Bouchareb
Acteurs : Astrid Whettnall, Pauline Burlet, Patricia Ide, Abel Jafri
Distribution : –
Durée : 1h38
Genre : Drame
Date de sortie : –

Note : 3/5

Visiblement, Rachid Bouchareb n’aime pas coller trop près à l’actualité. Bien que plusieurs de ses films traitent d’un sujet brûlant, le réalisateur trouve régulièrement une façon indirecte de se l’approprier. Nous pensons notamment à London River, où les séquelles des attentats terroristes dans la capitale anglaise étaient évoquées par le biais d’une mère en deuil. Ce point de vue filtré est une fois de plus employé dans La Route d’Istanbul ou le calvaire d’une mère – encore – pour récupérer sa fille partie faire le djihad en Syrie. Attendez un instant, vous dites que cette prémisse vous rappelle un souvenir récent ? Eh oui, en plus du matraquage médiatique focalisé jusqu’à l’écœurement sur la menace islamiste, le cinéma n’a pas non plus attendu longtemps pour l’exploiter ; pas plus tard que l’année passée d’ailleurs dans Les Cowboys de Thomas Bidegain, présenté à la dernière Quinzaine des réalisateurs à Cannes et sorti en France il y a moins de trois mois. Le dixième film de Rachid Bouchareb devra hélas supporter la comparaison, alors qu’il se suffit amplement à lui-même en tant que portrait passionnant d’une femme anéantie par une problématique qui lui échappe complètement.

Synopsis : L’infirmière Elisabeth et sa fille Elodie, âgée de vingt ans, vivent seules dans leur maison au bord d’un lac reculé en Belgique. Quand sa fille ne rentre pas d’un week-end qu’elle aurait dû passer en compagnie de sa meilleure copine afin de réviser pour leurs examens, Elisabeth ne pense d’abord à rien de grave. Elle s’inquiète davantage quand elle apprend plusieurs jours plus tard qu’Elodie serait partie en Chypre avec un certain Kader Slimani. L’hypothèse des vacances inopinées est vite écartée, quand la police informe Elisabeth que sa fille se serait convertie à l’islam et qu’elle aurait suivi son amant pour aller combattre ensemble dans la guerre civile syrienne. Complètement désemparée, la mère ne peut pas se résoudre à l’inéluctable et part par ses propres moyens en Turquie pour retrouver sa fille.

Faut-il encore sourire ?

Lorsque nous faisons connaissance avec Elisabeth, cette dernière a déjà dû vivre des épreuves désagréables pour être autant sur les nerfs et marquée par un passé que l’on devine mouvementé. Son seul rayon de soleil est sa fille, à laquelle elle laisse pourtant une certaine liberté de mouvement. Cette largesse toute relative deviendra problématique, dès lors que la mère abandonnée sera confrontée à une situation foncièrement inextricable. Tandis que sa réaction émotive après le premier choc se comprend aisément, le personnage s’enfonce par la suite dans un entêtement duquel rien, ni personne ne pourra la faire sortir. Depuis que sa fille a fait la pire des fugues, Elisabeth ne survit que grâce à l’idée fixe de la ramener de gré ou de force. Sa déchéance est encore accentuée par sa solitude : désormais seule à la maison, elle n’a pratiquement personne dans son entourage à qui se confier. La mise en scène suit cette dégringolade vers le désespoir sans le moindre état d’âme, insistant presque sur l’aspect visuel désolant du paysage belge et montrant cette femme au bord du gouffre noyer ses peurs dans un verre de vin blanc après l’autre. L’interprétation saisissante de Astrid Whettnall dans ce rôle ingrat est tout à l’honneur d’un film, qui ne cherche jamais à embellir artificiellement cette impasse existentielle et idéologique.

 

Jamais sans ma fille

Du côté de l’incompatibilité absolue des philosophies de vie, La Route d’Istanbul reste plutôt schématique. La tragédie qu’Elisabeth subit de plein fouet résulte précisément de son incapacité de dissuader sa fille de l’erreur monumentale qu’elle est en train de commettre. La rupture du contact entre les générations et les pays n’est ainsi pas le problème principal auquel la mère doit remédier. Elle a beau avoir des nouvelles d’Elodie de temps en temps, ces bribes de messages sont au mieux les ultimes vestiges d’un attachement familial sur le point de s’estomper. Sa progéniture ne veut pas entendre raison. Ce refus catégorique de toute forme de compromis est symptomatique du dialogue de sourd actuel. Celui-ci laisse désespérer de nombreux parents dans les pays occidentaux dont les enfants croient avoir trouvé la vérité absolue, ce qui constitue sans doute le mensonge le plus cruel de l’endoctrinement islamiste. Au fond, il n’y a rien à dire et rien à entendre non plus dans cette rupture radicale avec le mode de vie plus mesuré de leurs aînés que les esclaves du djihad rejettent en bloc. Le scénario du film ne cherche guère à prétendre qu’il pourrait un jour en être autrement. La gaieté et l’espoir sont par conséquent absents de ce film sérieux sur un sujet qui est bien trop grave pour être traité d’une manière moins sombre et sobre à l’heure actuelle.

Conclusion

Que peut-il arriver de plus traumatisant à une mère divorcée que de perdre son enfant unique parce que celui-ci préfère couper les ponts avec elle et rejoindre ses frères et sœurs d’une foi extrême ? Ce film explore adroitement cette thématique à l’ordre du jour en ayant le culot de faire abstraction du réflexe naturel de donner du réconfort, soit à la mère malmenée, soit au spectateur qui pourra néanmoins y apprécier le style toujours aussi dense et solide du réalisateur Rachid Bouchareb.

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