Cannes 2018 : Donbass

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Donbass

Allemagne, Ukraine, France, Pays-Bas, 2018
Titre original : Donbass
Réalisateur : Sergei Loznitsa
Scénario : Sergei Loznitsa
Acteurs : Tamara Yatsenko, Liudmila Smorodina, Olesya Zhurakovskaya
Distribution : Pyramide Films
Durée : 2h02
Genre : Guerre
Date de sortie : 26 septembre 2018

Note : 3/5

Dans le climat géopolitique actuel, entre la détente nord-coréenne et un nouveau round dans l’affrontement États-Unis – Iran, le conflit aussi long que lent dans l’est ukrainien ne figure pratiquement plus sur la liste des priorités de la communauté internationale. Pourtant, les gens y vivent dans tout sauf un état de paix, puisque aucun leader des anciens blocs idéologiques ne semble avoir d’intérêt à envenimer ou au contraire à apaiser définitivement la situation. Ce no man’s land guerrier, Sergei Loznitsa l’explore avec une dose considérable de noirceur et de dérision dans Donbass, présenté en ouverture de la section parallèle Un certain regard au Festival de Cannes. Aussi sombre et cruel le ton du film soit-il, il serait sans doute hâtif de n’y voir qu’une prise de position tendancieuse, un pamphlet outrancier qui ne ménage pas les moyens pour insister sur le dérèglement irrécupérable d’une région en état d’urgence depuis quatre ans déjà. Chaque vignette, vaguement reliée l’une à l’autre pour former une galerie de portraits grotesques, symbolise ainsi une forme de barbarie différente, sans que ce cabinet de l’horreur ne remplisse forcément une finalité morale. On dirait plutôt qu’il s’agit pour le réalisateur de démasquer les hypocrisies et autres artefacts à l’œuvre dans cette partie de son pays en pleine déroute.

Synopsis : Dans le Donbass, région de l’est de l’Ukraine, une guerre hybride, menée par divers gangs séparatistes, a plongé la population locale dans un état de désarroi total. Tandis que des figurants interprètent des témoins d’attentats pour les besoins de la propagande à la télévision, les courageux qui veulent rentrer dans leur ville au moins temporairement épargnée par les bombes subissent le harcèlement des soldats postés aux barrages routiers. En plus, l’approvisionnement en vivres est des plus aléatoires, à cause des notables qui s’en mettent plein les poches, alors que de nombreux hommes et femmes ont dû se réfugier dans des bunkers insalubres.

Mise en scène du chaos

Fiction ou documentaire ? Il n’y a strictement rien d’étonnant à ce que la différence entre ces deux types de représentation s’estompe chez un réalisateur comme Sergei Loznitsa, qui alterne depuis plus de vingt ans entre eux. Dans Donbass, même si la mise en abîme initiale est assez astucieuse, la balance penche clairement en faveur de la fiction. Or, le but dramatique du film n’est point de déclencher un lien affectif fort, basé sur l’identification du spectateur envers un ou plusieurs personnages. Pour cela, l’accent est trop mis sur l’incongruité des situations, une série de contextes à peu près ordinaires qui ne tardent pas à basculer dans l’horreur de la violence aveugle. En apparence, le récit s’efforce ainsi à boucler la boucle, en retournant à la fin dans la loge des figurants, un autre jour de tournage d’actualités montées de toutes pièces. Et une certaine récurrence par rapport au cycle de la vie devient également évidente, à travers des moments clefs de l’existence d’un homme, comme le passage à la maternité et le mariage. Un autre point en commun serait l’abus de pouvoir, qui se conjugue de façon plus ou moins larvée. Encore presque enjoué lorsque le politicien donne la comédie du redresseur des torts devant un parterre d’infirmières amorphes ou bien lors de la cérémonie à la mairie où les invités prennent en otage le sérieux des démarches administratives, déjà plus ambigu quand une militante s’incruste dans une réunion officielle avec un seau d’excréments, voire alarmant sans équivoque face à la séquence de lynchage public d’un ennemi présumé, le rapport de forces se situe au cœur d’une intrigue qui n’en est pas vraiment une.

Des fachos en veux-tu en voilà

Car en dépit de son agilité apparente et de son expertise formelle indéniable, la réalisation s’emploie à instaurer une distance parfois préjudiciable entre la farce qu’elle déploie devant nos yeux et ce que ce spectacle macabre est censé en dire concrètement sur la guerre en Ukraine. Jamais ce sentiment d’impuissance et de révolte sourde n’a été plus fort que lors du plan final, qui observe sans états d’âme un énième détournement de la vérité, au profit du simulacre d’une enquête policière et son relais médiatique. Le filtre des médias opère en effet avec persistance, toujours depuis le point de vue d’un observateur détaché, mais de même toujours au plus près des bombes qui déchiquettent le paysage, les véhicules et les anonymes. Les personnages fugaces ont tendance à ne pas terminer indemnes la partie du film qui leur est dédiée, en guise de futurs fantômes dont la fonction principale serait d’exacerber la débâcle généralisée. La colère d’une population éreintée par son quotidien meurtrier se décharge ainsi dans le vide, voire – dans l’une des trouvailles les plus poignantes et dans l’air du temps du film – dans une sorte de salle des pas-perdus, où les rares hommes d’affaires fortunés de cette région sinistrée sont suspendus à leur téléphone portable afin de rassembler la rançon imposée par des mercenaires sans scrupules.

Conclusion

Si même un réalisateur aussi intimement lié à son pays que Sergei Loznitsa n’ose pas imaginer une issue prochaine à la crise qui secoue l’Ukraine depuis trop longtemps, mieux vaut peut-être abandonner tout espoir de paix dans le Donbass. Dans un tel contexte, l’utilité d’un film comme celui-ci, mi-moqueur et mi-fataliste, reste discutable. Il n’empêche qu’en tant que brûlot volontairement tendancieux, il réussit le double exploit de tirer ce conflit de l’amnésie collective et de lui conférer des traits peu consensuels.

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