Critique : Ava

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Ava

France : 2017
Titre original : –
Réalisation : Léa Mysius
Scénario : Léa Mysius
Acteurs : Noée Abita, Laure Calamy, Juan Cano
Distribution : Bac Films
Durée : 1h45
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 21 juin 2017

4/5

Diplômée de la Femis, section scénario, en 2014, Léa Mysius a présenté Ava, son premier long métrage en tant que réalisatrice (et scénariste !), à la Semaine de la Critique du dernier Festival de Cannes et ce film s’y est vu attribuer le Prix SACD. Auparavant, Léa Mysius s’était fait connaître par la réalisation de  3 court-métrages, tous primés dans divers festivals, et par sa participation à l’écriture du scénario de Les fantômes d’Ismaël d’Arnaud Desplechin.

Synopsis : Ava, 13 ans, est en vacances au bord de l’océan quand elle apprend qu’elle va perdre la vue plus vite que prévu. Sa mère décide de faire comme si de rien n’était pour passer le plus bel été de leur vie. Ava affronte le problème à sa manière. Elle vole un grand chien noir qui appartient à un jeune homme en fuite…

Vers le noir

13 ans, les vacances d’été au bord de la mer dans les Landes, la plage, une lumière éclatante, une mère très libre, très compréhensive mais également très envahissante et irresponsable : presque tout semble réuni pour que ce mois d’août représente une période de bonheur intense pour la jeune Ava. Sauf qu’Ava souffre d’une maladie dégénérative, la rétinite pigmentaire, et qu’un médecin vient de lui apprendre qu’elle allait perdre la vue plus vite que prévu. Comment vivre ce qui sera peut-être, sans doute même, son dernier été de lumière, comment affronter ce problème de la perte prochaine d’un sens essentiel, comment renforcer ses autres sens, alors même qu’elle est à l’âge où s’annonce la perte de l’adolescence, à l’âge où elle doit construire son corps d’adulte, à l’âge où se manifestent pour elle les premiers appels de la sexualité ? Il y aurait vraiment matière pour elle à sombrer dans une noirceur absolue qui ne serait pas seulement celle vers laquelle ses yeux vont la conduire si ne survenaient pas la rencontre d’un grand chien noir et celle de Juan, un jeune et beau gitan que tourmente la police locale.

Un risque assumé, un pari gagné

Pour arriver au point final d’un scénario qui va donner naissance à un premier long métrage particulièrement prometteur, les cheminements sont parfois très sinueux. C’est ainsi qu’Ava était, pour Léa Mysius, son scénario de fin d’étude à la Fémis, qu’elle était en retard pour le rendre et qu’au moment où elle s’est attelée à cette tâche, elle souffrait de migraines ophtalmiques qui l’obligeaient à travailler dans le noir. Cela l’a amenée à s’interroger sur ce que pouvait être la vie lorsqu’on allait être plongé dans le noir pour toujours, une réflexion d’autant plus intéressante lorsqu’on est dans le monde du cinéma, un monde où le procédé du fondu au noir n’est pas très éloigné de ce que provoque la rétinite pigmentaire sur le long terme, un monde où une salle est plongée dans le noir au moment où la lumière prend possession d’un écran. On peut voir également un côté métaphorique dans cette obscurité qui s’annonce, avec, un peu partout dans le monde, la montée des nationalismes et des intégrismes, un phénomène que Mathias, un ami d’Ava, résume en une phrase : « C’est bientôt la fin de notre civilisation, lis les journaux, regarde autour de toi, tu n’y verras que du noir ».

A cette réflexion sur l’obscurité, Léa Mysius a ajouté un grand chien noir, déjà présent dans Les oiseaux-tonnerre, un de ses court-métrages et elle a surtout pris un grand risque. Celui, plutôt casse-gueule, consistant, pour un premier long métrage, à tenter un pari audacieux, le mélange des genres : commencer son film par un épisode naturaliste racontant l’histoire d’une adolescente qui a le sentiment de ne pas trouver sa place dans la société, qui a l’impression que personne ne la voit, et le faire progressivement glisser vers un monde de fantasme flirtant parfois avec le fantastique, avec, en particulier, une magnifique scène de cauchemar dans laquelle se télescopent de façon très crue des visions liées à la sexualité et les rapports qu’Ava entretient avec sa jeune sœur. Le résultat est plutôt bluffant et le mélange de sensualité et d’énergie qui en découle place, sans l’ombre d’un doute, la jeune réalisatrice parmi les grands espoirs du cinéma français.


Une démarche quasiment artisanale

Face aux « usines » à cinéma qu’on voit à l’œuvre dans la réalisation des blockbusters et aux montagnes de fric qui les accompagnent, il y a une autre façon de faire des films, une démarche quasiment artisanale et même, dans le cas de Ava, partiellement familiale. Aux côtés de Léa Mysius, on trouve en effet Paul Guilhaume, son compagnon, comme Directeur de la photographie, Esther Mysius, sa sœur jumelle, comme chef décoratrice, sans oublier deux frères, l’un régisseur adjoint sur le film, l’autre assistant réalisateur.

Aux qualités du scénario, de la mise en scène et de la direction d’acteurs de Léa Mysius, viennent s’ajouter deux éléments importants : la photo, magnifique,  et la musique, à la fois dérangeante et révélatrice. Le choix a été fait de tourner le film en 35 mm, ce qui donne du grain à l’image et permet de mieux mettre en valeur les corps et les éléments baignant dans la lumière de l’été. Petit à petit, en relation avec la vue d’Ava, les couleurs s’affadissent. Très beau travail de Paul Guilhaume, déjà présent à Cannes 2016 en tant que Directeur de la photographie sur Les vies de Thérèse de Sébastien Lifshitz. Quant à la musique, elle est l’œuvre de Florencia Di Concilio, une musicienne originaire de l’Uruguay qui propose une musique qui évolue au fur et à mesure que la vue d’Ava se détériore : une musique à base de violoncelle et de percussions, tout d’abord grinçante et chaotique lorsque s’ouvre le film et qu’on découvre le côté rebelle d’Eva, et qui devient de plus en plus tonale lorsque Ava, qui voit de moins en moins, ressent, tout en découvrant l’amour, le besoin de s’ouvrir aux autres et de leur faire confiance.

La distribution de Ava ne présente qu’un nom ayant déjà une certaine notoriété, celui de Laure Calamy, une comédienne qui prend une place de plus en plus importante dans le cinéma français et qui trouve ici un de ses meilleurs rôles, celui de Maud, la mère d’Ava. Dans le rôle d’Ava, une débutante au cinéma, une débutante très douée : Noée Abita, dont le physique et la moue pourraient faire penser qu’elle est la petite sœur d’Adèle Exarchopoulos et qui fait preuve d’un grand talent dans le rôle difficile d’une adolescente faisant l’objet de nombreuses métamorphoses en peu de temps. Le choix d’une jeune fille de 17 ans, faisant plus jeune que son âge, pour jouer le rôle d’une adolescente de 13 ans a certainement contribué à cette réussite en apportant plus de maturité dans l’interprétation. Quant à Juan Cano, qui interprète Juan, le jeune gitan dont Ava s’amourache, il a été trouvé lors d’une opération de casting organisée dans une cinquantaine d’aires de gens du voyage un peu partout en France.

Conclusion

C’est toujours avec plaisir qu’on découvre les premiers pas réussis, dans l’exercice de la réalisation d’un long métrage de fiction, d’un ou d’une jeune cinéaste. Léa Mysius semble vouloir continuer à pratiquer les deux voies qu’elle s’est ouvertes depuis sa sortie de la Fémis : d’un côté, l’écriture de scénarios pour des films qu’elle ne réalise pas elle-même, de l’autre, l’écriture de scénarios pour des films qu’elle réalisera dans la foulée. En tout cas, concernant ces derniers, c’est avec une certaine impatience qu’on va attendre le prochain.


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