Critique : Au-delà des montagnes

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Au-delà des montagnes

Au delà des montagnes affiche Chine : 2015
Titre original : Shan he gu ren
Réalisateur : Jia Zhang Ke
Scénario : Jia Zhang Ke
Acteurs : Zhao Tao, Sylvia Chang, Dong Zijian
Distribution : Ad Vitam
Durée : 2h06
Genre : Drame, romance
Date de sortie : 23 décembre 2015

4/5

La Croisette au mois de mai, le réalisateur chinois Jia Zhang Ke commence à bien la connaître ! Ne serait-ce que ces trois dernières années : en compétition avec A Touch of Sin en 2013, Prix du scénario, membre du Jury en 2014 et de retour à la sélection officielle en 2015, en compétition, avec Au-delà des montagnes. Une présence en compétition qui, cette fois ci, ne lui a rien rapporté mais une présence à Cannes qui lui a permis de recevoir en mains propres Le Carrosse d’Or 2015, la récompense décernée chaque année par la Société des Réalisateurs de Films, dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs, à un cinéaste choisi pour les qualités novatrices de ses films, pour son audace et son intransigeance dans la mise en scène et la production. A 45 ans, Jia Zhang Ke continue de s’interroger sur le devenir de son pays. Cette fois ci, il va même jusqu’à situer la 3ème partie de son film en 2025, sans que, pour autant, on puisse parler de film d’anticipation.

 

Synopsis : Chine, fin 1999. Tao, une jeune  fille de Fenyang est courtisée par ses deux amis d’enfance, Zang et Lianzi. Zang, propriétaire d’une station-service, se destine à un avenir prometteur tandis que Liang travaille dans une mine de charbon. Le cœur entre les deux hommes, Tao va devoir faire un choix qui scellera le reste de sa vie et de celle de son futur fils, Dollar. Sur un quart de siècle, entre une Chine en profonde mutation et l’Australie comme promesse d’une vie meilleure, les espoirs, les amours et les désillusions de ces personnages face à leur destin.

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Trois époques

1999 : le vingtième siècle est sur le point de s’achever. A Fenyang, petite ville de la province du Shanxi, Zang et Lianzi sont amoureux de la même jeune femme, Tao, une amie d’enfance. Zang est un arriviste qui ne pense qu’à l’argent et se rêve en capitaliste important. Il possède déjà une station service et il parle de racheter la mine dans laquelle travaille Lianzi, modeste mineur. Qui Tao va-t-elle choisir ? Zang possède une belle voiture et il permet à Tao de la conduire. Ce sera lui ! Lianzi décide de quitter la ville et, jetant la clé de sa maison, se jure de ne jamais y revenir.
2014 : Le mariage de Tao avec Zang a été un fiasco : le couple a divorcé, et Dollar (!), son fils de 7 ans, vit à Shanghai avec son père et sa nouvelle épouse. Il est par ailleurs élève de l’Ecole Internationale de Shanghai. Heureusement qu’il y a Skype pour permettre à Tao de voir son fils de temps en temps tout en conversant avec lui. Quant à Lianzi, lui aussi s’est marié mais sa santé n’est pas très florissante. Et il est de retour à Fenyang.
2025 : ayant apparemment trempé dans la corruption, Zang s’est réfugié en Australie avec emmenant Dollar avec lui. Etudiant de 18 ans, Dollar est amoureux de Mia, une de ses professeurs qui a 25 ans de plus que lui. Alors que Zang n’envisage pas de retourner en Chine, Dollar, lui, affronte son père car lui rêve de ce retour, quitte à y faire n’importe quel métier.

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Romance, mélodrame et film social

Après le très surestimé A Touch of Sin, quelle direction allait prendre Jia Zhang Ke ? Certes, de ce réalisateur majeur de la 6ème génération de cinéastes chinois, celle qui regroupe les cinéastes apparus après les événements qui se sont déroulés en 1989 sur la place de Tian’anmen à Pékin, on pouvait s’attendre à ce qu’il continue de creuser la veine de l’étude minutieuse de l’évolution sociale de la Chine contemporaine. Mais sous quelle forme ? Allait-il, comme dans A Touch of Sin, de nouveau marier cinéma social et cinéma hyper-violent, quasiment parodique, à la Kitano ? S’était il aperçu, au contraire, de l’impasse dans laquelle le mènerait très vite ce mariage de la carpe et du lapin ? A la vision de Au-delà des montagnes, la deuxième hypothèse semble la bonne : Au-delà des montagnes, cette fois ci, est le mariage réussi du film social, de la romance et du mélodrame.

Dans la première partie du film, un couple se crée à partir d’un trio à la Jules et Jim. Zang représente la Chine qui s’éveille au capitalisme le plus dur, alors que Lianzi campe l’honnête travailleur qui se ruine la santé en travaillant dans des mines qui, il faut le savoir, sont, en Chine, les plus dangereuses du monde.
En 2014, Jia Zhang Ke nous montre au travers de la rupture entre Zang et Tao l’existence d’une Chine à 2 vitesses, celle du monde des affaires de villes comme Shanghai et la Chine provinciale. Zang a donné Dollar comme prénom à son fils, lui et son fils vivent à Shanghai et il a inscrit Dollar dans l’école qui réunit les enfants de l’ « élite » financière. Ce fils ne connaît presque plus sa mère qui, elle, vit à Fenyang. Il ne la rencontre que sur Internet ou, brièvement, lors du décès d’un grand-père. Quant à Lianzi, son état de santé demande des soins qu’il ne peut assumer financièrement : comme Wang Chao dans Fantasia, Jia Zhang Ke nous montre un système de santé chinois où il est indispensable d’être riche pour être soigné correctement.
En 2025, le délitement des liens sociaux dans la société chinoise est encore plus prononcé, l’argent règne en maître et l’ouverture de la Chine au monde fait que ce pays est en train de perdre ses traditions et sa culture. Chez les expatriés, la rupture linguistique entre les parents et leurs enfants est presque totale, les parents ne parlant pas l’anglais ou le parlant mal alors que les enfants ne communiquent qu’en anglais. Et quand on parle de liberté à Zang, désormais quinquagénaire, il fait remarquer qu’en Australie, où il vit désormais, le port d’arme est autorisé alors qu’il est interdit en Chine. Mais, continue-t-il, il n’a pas d’ennemi et avoir une arme ne lui sert à rien. Conclusion : pour lui, la liberté est un leurre.
Pour accompagner cette évolution de la Chine, avec cette ouverture vers l’extérieur de plus en plus prononcée, Jia Zhang Ke a choisi d’élargir de plus en plus son écran : c’est ainsi que 1999 a été filmé au format 1.33, 2014 au format 1.85 et 2025 en Cinémascope. Beaucoup de séquences qu’on voit dans Au-delà des montagnes avaient été tournées sans but précis durant ces 15 dernières années par le réalisateur et Yu Lik-wai, son fidèle Directeur de la Photographie, et elles ont trouvé leur place dans le film.

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Des acteurs, une ville, deux chansons

On ne sera pas étonné de retrouver Zhao Tao dans le rôle de Tao, l’épouse du réalisateur étant présente dans tous les films de Jia Zhang Ke depuis Platform en 2001. Alors que Zhang Yi, qui joue Zang, est un acteur très connu en Chine, Jing Dong Liang, qui joue Lianzi, l’est beaucoup moins même s’il était déjà présent dans Platform. Dollar à 18 ans est interprété par Dong Zijian qui sort de l’Académie d’art dramatique. Pour interpréter Mia, la professeur dont Dollar est amoureux, il fallait une actrice parlant parfaitement l’anglais et Jia Zhang Ke a choisi  Sylvia Chang, une star taïwanaise du cinéma chinois. Autre actrice souvent présente dans la filmographie de Jia Zhang Ke et qu’on retrouve dans Au-delà des montagnes, la ville de Fenyang, la ville où il est né et dans laquelle il a passé sa jeunesse. Par ailleurs, deux chansons jouent un rôle important dans le film : « Go West », la chanson des Village People reprise par les Pet Shop Boys, chanson qui fut très populaire en Chine dans les années 90, le titre y étant sans doute pour beaucoup, avec ce rêve d’une ouverture au monde caressé alors par une grande partie de la jeunesse. L’autre chanson, « Take Care », interprétée en cantonais par Sally Yeh, elle marque plutôt une forme de nostalgie pour une époque révolue.


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Conclusion

On ne peut que se féliciter de voir Jia Zhang Ke abandonner les effets d’hyper violence empruntés à Takeshi Kitano et Quentin Tarantino, effets qui n’ont pas leur place dans son cinéma et qui avaient plombé A Touch of Sin. En mariant cette fois ci son cinéma social à la romance et au mélodrame, Jia Zhang Ke se rapproche de Zhang Yimou dans le style tout en continuant son observation critique de la Chine contemporaine.

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