Critique : Boyhood

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Etats-Unis : 2014
Titre original : –
Réalisateur : Richard Linklater
Scénario : Richard Linklater
Acteurs : Ellar Coltrane, Patricia Arquette, Ethan Hawke
Distribution : MK2
Durée : 2h45
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 23 juillet 2014

Note : 5/5

Synopsis : Mason et sa sœur Samantha vivent avec leur mère Olivia, séparée de leur père depuis un petit moment déjà. Cette famille décomposée ordinaire va grandir devant nos yeux en temps presque réel…

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Chaque été pendant douze années consécutives de 2002 à 2013, Richard Linklater a filmé le passage de l’enfance à l’âge adulte d’un garçon du Texas que l’on va voir grandir pour de vrai à partir de son sixième anniversaire. Le pari était grand de suivre un enfant sur une si longue période au risque de le voir se lasser mais Ellar Coltrane s’est investi avec un naturel imposant. Très vite, le concept original s’efface derrière la subtilité de l’écriture et de la mise en scène délicate primée par l’Ours d’argent du meilleur réalisateur au festival de Berlin cette année.

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Une chronique épique et intime

La narration s’écoule dans un mouvement fluide qui ne passe pas par un découpage en chapitre appuyé mais par les changements physiques des uns et des autres (coupes de cheveux, styles vestimentaires, tailles et visages pour les enfants) et la captation des évolutions de la société, les changements de présidents avec notamment une campagne enthousiaste pour la première élection de Barack Obama après avoir témoigné de l’échec du fiasco en Irak quelques années plus tôt. Richard Linklater ancre certaines parties dans leur époque avec ces éléments ou les chansons qui scandent chaque ‘partie’ mais ne les fige pas dans ces périodes données.

Ce qui intéresse en premier lieu le réalisateur et nous émeut avec une telle force est sa façon de saisir comment une vie est faite de petits riens, de bonheurs tranquilles et de moments plus difficiles, sans nécessairement souffrir de grands drames. L’enfant est presque banal et vit ces moments de vie tranquille qui forment une vie. Une chronique épique et pourtant intime d’une durée de 2h45 qui passe comme un songe d’autant plus bouleversant qu’elle reste à échelle humaine avec en son cœur un enfant qui se découvre, un adolescent qui grandit, un jeune adulte qui comprend au moins un peu quel sera le sens de sa vie qui ne fait que commencer, lâché dans un monde par ses parents qui réaliseront au final avec émotion eux aussi combien de temps s’est écoulé sans s’en rendre compte. Chacun évolue sans que l’on puisse déceler la part d’improvisation ou d’adaptabilité aux contraintes matérielles d’un tournage étalé sur une période si longue ni quelle est la part de scénario prévu à l’avance.

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Le temps qui passe

Les vies de Mason Sr et de son ex-femme Olivia ne sont pas négligées, même s’ils ne sont pas au premier plan. Ils tentent eux aussi de trouver un sens à leurs vies, l’évolution d’Olivia étant là encore d’une grande complexité. Elle tente de trouver le partenaire solide qu’elle ne voyait pas dans le père de ses enfants et tombe sur deux hommes qui petit à petit vont révéler eux aussi leurs faiblesses. Selon les périodes, elle galère ou s’épanouit dans ses relations personnelles ou professionnelles. Elle cherche à trouve sa place de femme et de mère, avec plus ou moins de réussite, son fils remarquant ici ou là des changements dans un regard lorsqu’elle rencontre un nouveau compagnon ou lorsque son travail d’enseignante la rend heureuse. Elle est un passeur discret, ce qui se remarque aussi dans sa relation avec un ouvrier mexicain, où une parole d’encouragement change une vie sans qu’elle l’ait prémédité.

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Si le père peine à trouver grâce aux yeux de la mère, il n’est pas forcément tel qu’elle le voit. L’une des quelques belles idées du scénario est ce refus par le père de faire des commentaires sur les compagnons de son ex-femme, se contentant de remonter une fermeture imaginaire sur sa bouche lorsque son fils lui demande d’exprimer son avis sur l’un de ses infortunés successeurs. Chacun à leur manière, ils transmettent à leurs enfants un certain idéal de vie, jamais grandiloquent, jamais tout à fait anodin, malgré l’apparente banalité de leur quotidien. Linklater capte simplement la valeur d’une indicible transmission entre des parents et leurs enfants.

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Si l’on voit grandir leurs personnages, ce sont aussi leurs interprètes qui vieillissent devant nous. Ellar Coltrane est impressionnant à chaque moment de sa vie fictive. Il passe en près de trois heures d’un enfant doux à un adolescent qui vivra son premier chagrin d’amour. S’il est trop tôt pour déceler s’il a un futur comme acteur, cette performance marquera certainement les années à venir. Sa sœur est interprétée par la propre fille du réalisateur Lorelei, particulièrement adorable dans la toute première séquence, plus discrète par la suite, mais toujours là. Ses parents par deux comédiens reconnus, Patricia Arquette et Ethan Hawke, un fidèle du cinéaste déjà présent dans une autre œuvre impressionnante sur le temps qui passe, la trilogie Before Sunrise/Sunset/Midnight. Ils se sont prêtés à ce projet de longue haleine avec un dévouement qui force le respect. Pendant cette vie en parallèle, ils n’ont pas cessé de travailler sur d’autres projets. Ethan Hawke s’est notamment illustré comme auteur, en tant que romancier (le très beau Ash Wednesday en 2002) et co-scénariste des deux volets de la trilogie Before… tournés pendant cette période (en 2004 et 2013) et Patricia Arquette a commencé et achevé la série Medium durant cette période (entre 2005 et 2011). Avec le recul, c’est aussi un pan de leur vie, personnelle et professionnelle, que le film enregistre. L’émotion naît autant du travail fictif que de la captation physique du temps qui passe. Les personnages secondaires grandissent et comme dans la vie, des gens qui peuvent être très proches pendant des années peuvent disparaître d’un coup, même dans une famille recomposée qui peut se décomposer en un instant.

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Résumé

Boyhood n’est pas qu’un film de plus, c’est un moment de vie capté comme rarement, voire jamais, auparavant. En observant cette famille grandir pendant douze ans, l’on peut aussi interpréter cette histoire comme des bribes de souvenirs épars de chacun d’entre eux repensant à quelques moments clefs de leur vie. Une chronique à échelle humaine d’autant plus émouvante qu’elle reste modeste dans les intentions malgré une ambition formelle et artistique impressionnante. Avec Under the skin, Boyhood s’impose comme l’un des moments de cinéma les plus marquants depuis le début de l’année.

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