The Manakia Brothers Diary of a Long Look Back
Roumanie, 2016
Titre original : Fratii Manakia Jurnalul unei lungi priviri înapoi
Réalisatrice : Eliza Zdru
Distribution : –
Durée : 1h31
Genre : Documentaire
Date de sortie : –
Note : 2,5/5
Sa situation géographique au nord de l’Italie, au croisement des cultures méditerranéennes et germaniques, prédestine en quelque sorte le Festival de Bergame à remplir un rôle de passeur vers des cinématographies européennes plus exotiques, que l’on n’a pas forcément l’habitude de voir sur nos écrans, aussi éclectique l’offre de cinéma en France et à plus forte raison à Paris soit-elle. Ce pont vers l’est, c’est avant tout la section parallèle « Visti da vicino », en français « Vues de près », qui le construit un peu plus loin chaque année, grâce à un choix de documentaires pour le moins éclectique. Après y avoir découvert l’année passée le conte improbable Hotel Dallas de Livia Ungur et Sherng-Lee Huang, nous voici face à l’exploration sensiblement plus sage d’un fait historique, qui dépasse cette fois le seul cadre national de la Roumanie. Car dans The Manakia Brothers Diary of a Long Look Back, il est autant question de la minorité ethnique des Aroumains que de l’essor du cinéma au sens large dans une région du monde a priori guère prédestinée à faire office de précurseur en termes d’archivage visuel de la petite et de la grande Histoire. Dommage alors que la réalisatrice Eliza Zdru ne maîtrise pas davantage la forme de sa quête, sinon passionnante, des vestiges matériels et vivants du travail de deux frères injustement tombés dans l’oubli !
Synopsis : Quand son oncle lui montre de vieilles photos de famille, la réalisatrice d’origine aroumaine Eliza Zdru est interpellée par celle de ses arrière-grands-parents, à l’auteur inconnu. Elle entame alors des recherches et découvre que les frères Manakia, Milton et Ianaki, avaient pris des milliers de photos similaires pendant les premières décennies du 20ème siècle. Issus eux aussi de la communauté des Aroumains, un peuple vivant jadis de manière disséminée dans les Balkans, ils avaient été parmi les premiers photographes et cinéastes de la région. La réalisatrice parcourt alors la Roumanie, la Bulgarie, la Macédonie et la Grèce à la recherche des traces qu’a pu y laisser l’œuvre de ces pionniers d’un art visuel encore à l’état primitif à cette époque-là.
Chercher ce qui n’a jamais été perdu
L’Histoire du cinéma est très loin d’avoir été explorée dans ses moindres facettes. Surtout pendant ses premières années, une période dont seulement une infime partie de la production cinématographique a hélas été préservée, il existe une multitude d’aventuriers de ce qu’on appellera plus tard le Septième art qui n’ont pas su transmettre leur savoir-faire à la postérité. Cette zone d’ombre des balbutiements du cinéma a même donné naissance à l’un des plus célèbres documentaires moqueurs, Forgotten Silver de Peter Jackson et Costa Botes. La démarche de Eliza Zdru est infiniment plus sérieuse, puisque elle consiste à opérer un triple croisement. Les extrémités de ce triangle pas toujours probant sont le destin des traditions aroumaines vouées à la disparition, les premiers pas de l’enregistrement photographique et filmique dans une région du monde guère habituée à appartenir à l’avant-garde artistique et technique et enfin cette volonté tout à fait personnelle d’associer le passé familial à ces enjeux collectifs. Si l’ambition est alors des plus conséquentes, la mise en œuvre de ce projet d’envergure s’avère déjà beaucoup plus problématique. Car à force de vouloir rendre justice à l’ensemble de ses différents axes de réflexion, la mise en scène s’éparpille dangereusement, au delà de tout espoir de transmettre au spectateur quelque information tangible et pertinente que ce soit.
Défilement ininterrompu d’images
L’approche de la réalisatrice donne en effet l’impression qu’elle conçoit cette enquête autour de l’héritage de son peuple comme un travail de détective itinérant, qui passerait de ville en ville, de lieux de mémoire en ruines sans nom, quitte à emprunter également bon nombre d’impasses et à rendre au moins autant compte du paysage traversé que des spécialistes interrogés. C’est par conséquent la focalisation sur un sujet précis qui fait cruellement défaut à The Manakia Brothers Diary of a Long Look Back. Nous n’irons pas jusqu’à reprocher à la mise en scène de la complaisance, voire du laisser-aller. Les occasions ne manquent toutefois pas pour s’interroger sur le bien-fondé de l’inclusion de telle ou telle séquence, comme par exemple celle autour des touristes australiens qui ne savent évidemment rien sur le chantier de rénovation d’une salle de cinéma ayant appartenu autrefois aux frères Manakia, sur le naturel des dispositifs retenus, avec ce voisin rencontré sur la terrasse du café qui a comme par hasard chez lui de précieux clichés, et plus globalement sur l’agencement d’un fil narratif, qui préfère montrer fugacement – le festival international de film dédié aux frères à Bitola – plutôt que d’expliquer avec soin et de façon suivie. Car l’aspect le plus frustrant de ce documentaire est sans doute son air de vagabondage, de déambulation sans but concret à travers une série décousue d’endroits et d’interlocuteurs, qui ne contribue en fin de compte pas grand-chose à une meilleure connaissance de ce pan fort obscur de l’Histoire du cinéma et des minorités ethniques en Europe.
Conclusion
Le souvenir de Georges Sadoul est une sorte d’invité surprise français dans ce documentaire pas sans intérêt. L’historien était en effet parmi les premiers à reconnaître l’importance du travail accompli presque malgré eux par les frères Manakia. Hélas, la réalisatrice Eliza Zdru est d’une certaine façon une héritière indirecte du style de Sadoul, en ce qu’elle sait certes susciter notre curiosité, mais qu’elle peine à être à la hauteur de ses intentions, qui demeurent fâcheusement vagues, au lieu d’ériger un monument filmique digne de ces fondateurs du cinéma des Balkans.