Test DVD : Les petites marguerites – Édition Collector

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Les petites marguerites

Tchécoslovaquie : 1966
Titre original : Sedmikrasky
Réalisation : Vera Chytilová
Scénario : Vera Chytilová, Ester Krumbachová, Pavel Jurácek
Acteurs : Jitka Cerhová, Ivana Karbanová, Julius Albert
Éditeur : Malavida Films
Durée : 1h13
Genre : Comédie
Date de sortie cinéma : 15 novembre 1967
Date de sortie DVD : 26 août 2020

Marie 1 et Marie 2 s’ennuient fermement. Leur occupation favorite consiste à se faire inviter au restaurant par des hommes d’âge mûr, puis à les éconduire prestement. Fatiguées de trouver le monde vide de sens, elles décident de jouer le jeu à fond, semant désordres et scandales, crescendo, dans des lieux publics…

Le film

[5/5]

Plus de cinquante ans nous séparent de la sortie initiale des Petites marguerites de Věra Chytilová (1966). Pourtant, à une époque où les réseaux sociaux dominants font preuve du conservatisme le plus rétrograde – voire même le plus arriéré – qui soit, le film de Chytilová se démarque plus que jamais en affichant une stupéfiante modernité, qui prend de plus un écho supplémentaire quelques années après les différents rebondissements de l’affaire #metoo.

Comédie anticonformiste aux accents surréalistes et expérimentaux, Les petites marguerites s’impose plus que jamais comme – excusez-nous d’avance pour ce lieu commun – une véritable « ode à la liberté ». Une fable féministe complètement barrée, insolente, anti-système, farouchement opposée au patriarcat et aux valeurs phallocrates de la société de l’époque… Qui n’ont d’ailleurs pas beaucoup changé !

Mais le plus étonnant dans cette œuvre pétillante est que le brûlot de Věra Chytilová débarque au spectateur camouflé sous la forme d’une comédie non-sensique et iconoclaste. Absurde, coloré, furieusement drôle et enlevé, Les petites marguerites nous propose de suivre la trajectoire de deux jeunes filles, toutes deux appelées Marie, qui s’ennuient. « Qu’est-ce que j’peux faire ? J’sais pas quoi faire » demandait Anna Karina dans Pierrot le fou en 1965. Un an plus tard, les deux Marie décident de tromper leur ennui en s’amusant : à éconduire les hommes qui les invitent tout d’abord, et à semer la pagaille tout autour d’elles.

Audacieuses, pleines d’humour et de folie de « sale gosse », les deux Marie – incarnées par Jitka Cerhová (la brune) et Ivana Karbanová (la blonde) – déploieront des trésors de créativité pour foutre le dawa partout où elles passent. Comme des Attila des temps modernes, elles sont bien déterminées à faire feu de tout bois afin de dénoncer l’hypocrisie de la société. Et tant pis si leur démarche les force à annihiler toute trace de bon goût et de bienséance.

Pour les soutenir dans leur joyeuse croisade contre la monotonie et la bien-pensance, Věra Chytilová ose littéralement tout avec sa caméra, débordant d’inventivité et de créativité formelle pour illustrer son propos. Les petites marguerites s’impose ainsi comme une œuvre visuellement sidérante, multipliant les audaces de montage, proposant un travail sur l’image et le son plein de fraicheur et de fantaisie.

Iconoclaste en diable, Chytilová joue également avec la notion de « regard », et notamment sur le regard du spectateur, celui qu’il porte sur le cinéma autant que sur les deux actrices au centre des Petites marguerites. Profondément féministe, le film montre en effet les deux Marie comme faussement innocentes, et conscientes de jouer un jeu de provocation subversif qui montrait que déjà à l’époque, la notion de fantasme et d’érotisme semblait dangereusement centré autour des désirs phallocrates. Loin d’être exclusive à la Tchécoslovaquie, cette préoccupation se retrouverait également dans d’autres « Nouvelles Vagues » à travers l’Europe, et notamment en France avec Deux ou trois choses que je sais d’elle de Jean-Luc Godard (1967).

En agrémentant un récit à priori léger de délires plastiques influencés par le Pop Art et d’une bonne dose de subversion sous-jacente, Věra Chytilová nous livre donc avec Les petites marguerites une œuvre absolument incontournable. Si la cinéaste n’aurait sans doute pas pu prévoir que son côté moderne et avant-gardiste perdurerait aussi longtemps (ce qui est, mine de rien, un signe de l’extrême lenteur de l’évolution des mœurs concernant l’image et la place de la femme dans la société occidentale), le fait est que Les petites marguerites reste, cinquante-cinq ans après sa sortie, une œuvre incontournable, à voir et à revoir.

La collection « Malavida Collector »

Distributeur / éditeur indépendant étant parvenu à trouver sa place sur le marché français il y a un peu moins de vingt ans, Malavida Films propose avec régularité aux cinéphiles de se replonger dans de véritables classiques du Septième Art. Riche de ces années de travail et de passion, l’éditeur a décidé début 2020 de nous proposer une nouvelle collection de DVD, sobrement intitulée « Malavida Collector ». Cette collection réunira donc les films qui ont marqué l’histoire de Malavida dans des éditions DVD restaurées et limitées à 1000 exemplaires. Une telle initiative est forcément à soutenir, surtout à une époque où le marché de la vidéo « physique » se réduit comme peau de chagrin d’année en année.

Les films proposés par l’éditeur dans la collection « Malavida Collector » seront probablement appelés à devenir de véritables références en termes de qualité de transfert et de suppléments. Outre les masters restaurés, chaque titre de la collection sera présenté dans un superbe Digipack au design soigné, bénéficiant d’une nouvelle affiche dessinée par le talentueux Fabrice Montignier. De ce fait, chaque nouveau titre s’intègre parfaitement dans la charte graphique de la collection – une cohérence éditoriale qui ravira les collectionneurs.

Chaque DVD de la collection « Malavida Collector » comportera également des bonus inédits, ainsi qu’un livret inédit de 20 pages. Le packaging et le soin apporté aux finitions de ces éditions en font de véritables références en termes de qualité. Chaque DVD de la collection « Malavida Collector » s’impose donc comme un bel objet de collection que vous serez fier de voir trôner sur vos étagères.

A ce jour, la collection « Malavida Collector » compte neuf titres prestigieux : La ferme des animaux (John Halas, 1954), Kanal (Andrzej Wajda, 1957), Walkover (Jerzy Skolimowski, 1965), Éclairage intime (Ivan Passer, 1965), Trains étroitement surveillés (Jirí Menzel, 1966), Le départ (Jerzy Skolimowski, 1967), Les petites marguerites (Věra Chytilová, 1966), Joe Hill (Bo Widerberg, 1971) et Rêves en rose (Dusan Hanák, 1977). Pour connaître et commander les joyaux issus de cette magnifique collection, on vous invite à vous rendre au plus vite sur le site de l’éditeur.

Le DVD

[5/5]

Le DVD des Petites marguerites édité par Malavida dans cette édition « Malavida Collector » nous propose une expérience visuelle assez remarquable. Le master restauré est de toute beauté, ce dont on se réjouit particulièrement, surtout étant donné la rareté du film. Définition, couleurs, contrastes et piqué sont très satisfaisants, et même absolument parfaits, dans les limites évidemment d’un encodage en définition standard : des conditions optimales pour redécouvrir ce film inclassable. Côté son, l’éditeur nous propose la version originale tchèque dans un mixage Dolby Digital 2.0 qui s’avérera satisfaisant ; malgré quelques petits parasites occasionnels, l’ensemble est clair et met bien en valeur les compositions de Jiří Šlitr et Jirí Sust pour le film.

Du côté des suppléments, on saluera le soin apporté par Malavida au livret de 20 pages qui accompagne cette édition, d’une richesse assez étonnante. On y trouvera tout d’abord un entretien avec Jitka Cerhová publié dans Libération en 2013, un entretien avec le directeur photo Jaroslav Kučera réalisé en 1967, un entretien avec Věra Chytilová, datant également de 1967, ainsi qu’un entretien avec la coscénariste Ester Krumbachová (1966). Trois articles passionnants ayant la particularité de n’avoir jamais été publiés en France avant cette édition.

Sur la galette à proprement parler, on commencera avec un entretien avec Philippe Katerine (4 minutes), qui se remémorera sa découverte du film, « un coup de poing en pleine face, mais un coup de poing qui vous fait du bien ». Il dressera un parallèle entre ce film de la jeunesse et les Spice Girls qui, trente ans plus tard, qui « marchent aussi dans les plats cuisinés des bourgeois ». Liberté, folie, amusement, le chanteur évoquera aussi la notion de malaise et le désespoir se cachant « derrière son titre champêtre ». On trouvera également une présentation du film, signée Romain Le Vern et Anne-Laure Brénéol (13 minutes). Plus complète et analytique, cette évocation du film remettra Les petites marguerites dans son contexte historique et le replacera dans la carrière de Věra Chytilová. Les partis pris esthétiques du film seront également largement disséqués. Last but not least, on trouvera également un court-métrage de Věra Chytilová, Un sac de puces, sorti en 1962 (43 minutes, VOSTF). Le sac de puces en question est un pensionnat de jeunes filles : l’occasion pour la cinéaste de prendre le pouls – avec humour – de la jeunesse tchèque de l’époque.

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