Test DVD : Histoire d’un regard

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HISTOIRE D'UN REGARD de Mariana Otero

 Histoire d’un regard

France : 2019
Titre original : –
Réalisation : Mariana Otero
Scénario : Mariana Otero, Jérôme Tonnerre
Editeur : Diaphana
Durée : 1h34
Genre : Documentaire
Date de sortie cinéma : 29 janvier 2020
Date de sortie DVD : 8 septembre 2020

Synopsis : Gilles Caron, alors qu’il est au sommet d’une carrière de photojournaliste fulgurante, disparaît brutalement au Cambodge en 1970. Il a tout juste 30 ans. En l’espace de 6 ans, il a été l’un des témoins majeurs de son époque, couvrant pour les plus grands magazines la guerre des Six Jours, mai 68, le conflit nord-irlandais ou encore la guerre du Vietnam. Lorsque la réalisatrice Mariana Otero découvre le travail de Gilles Caron, une photographie attire son attention qui fait écho avec sa propre histoire, la disparition d’un être cher qui ne laisse derrière lui que des images à déchiffrer. Elle se plonge alors dans les 100 000 clichés du photoreporter pour lui redonner une présence et raconter l’histoire de son regard si singulier.

Le film

[4/5]

C’est sur une très courte période, 7 ans, de 1963 à 1970, que Gilles Caron est devenu un des photo-reporters les plus réputés de la planète. C’est en photographiant en 1963 sa première fille, Marjolaine, qu’il a pris conscience qu’il « avait un œil », un regard de photographe. Lors de son premier emploi, à l’agence Apis-Agence Parisienne d’Information Sociale, ce sont surtout des artistes de cinéma, des vedettes du show business, des hommes politiques qui sont devant son appareil photo. Sa rencontre avec Raymond Depardon est déterminante : lorsque l’Agence Gamma est lancée, en novembre 1966, ce dernier propose à Gilles Caron de rejoindre les fondateurs de cette agence qui, rapidement, va devenir la première agence mondiale. Gilles Caron est pour beaucoup dans le succès de l’Agence Gamma et, jusqu’à sa disparition au Cambodge, âgé de 30 ans, en avril 1970, il va couvrir une grande partie des grands évènements de l’époque : guerre des Six Jours, guerre du Vietnam, guerre civile du Biafra, Mai 68, Irlande du Nord, Printemps de Prague, rébellion des Toubous au Tchad, Cambodge.

Ce n’est pas un biopic de forme traditionnelle que propose Mariana Otero dans L’histoire d’un regard, mais plutôt l’histoire passionnante d’une enquête menée par la réalisatrice dans le but de comprendre, au travers de son travail, ce qu’était exactement ce regard de Gilles Caron. Au départ, un livre consacré à Gilles Caron que lui a envoyé le scénariste Jérôme Tonnerre. Un livre avec de nombreuses photos dont certaines ont particulièrement retenu l’attention de Mariana Otero : tout d’abord, les photos de ses filles prises par Gilles Caron, un père disparu alors que la plus âgée avait à peine 7 ans, la renvoyant aux dessins faits par sa mère, Clotide Vautier, la représentant, elle et sa sœur Isabelle, deux fillettes ayant perdu leur mère, morte d’un avortement clandestin en mars 1968, alors que la plus âgée n’avait même pas 6 ans. Ensuite, la très célèbre photo de Daniel Cohn-Bendit, goguenard face à un CRS, prise le 6 mai 1968 devant la Sorbonne. Comment Gilles Caron est-il arrivé à ce cadre, à cette connivence qu’on devine entre Cohn-Bendit et le photographe ?

Mise en possession d’un disque dur comprenant l’ensemble du travail de Gilles Caron, 100 000 photos sous forme de 2590 planches-contact numérisées, Mariana Otero s’est attaquée en priorité à « la » photo de Cohn-Bendit : grâce aux photos  qui l’ont précédée dans le temps, elle a pu suivre le cheminement d’un photographe cherchant le meilleur angle, s’essayant à une photo en plongée pour arriver finalement à cette photo en contre-plongée d’un personnage qui le connaissait et qui, manifestement, l’avait reconnu. Continuant son enquête sur le travail de Gilles Caron, Mariana Otero n’hésite pas à se mettre en scène : comme elle l’explique dans un des suppléments présents sur le DVD, elle ne veut plus faire comme si la réalisatrice n’était pas là et « tout son film est rythmé par son regard sur le regard de Caron » . C’est ainsi qu’une longue séquence est consacrée à la visite que lui fait l’historien Vincent Lemire, spécialiste du Moyen Orient et de Jérusalem, qui découvre sous nos yeux, totalement surpris et passionné, l’ensemble des photos prises par Gilles Caron durant la Guerre des Six Jours et, en particulier, l’arrivée des soldats israéliens au mur des lamentations ainsi que les dernières photos, celles prises par lui, du quartier maghrébin qui sera rasé peu après. A ses côtés, Mariana Otero se montre tout aussi étonnée d’apprendre que l’armée israélienne avait récupéré des surplus de l’armée française du temps de la guerre d’Algérie et que Gilles Caron, que cette guerre avait profondément marqué, retrouvait donc autour de lui des armements, des jeeps, des treillis identiques à ceux qu’il avait utilisés quelques années auparavant. L’enquête de Mariana Otero va même jusqu’à retrouver et à filmer des personnages ayant activement participé, tout jeunes, aux évènements qui se sont déroulés en Irlande du nord à la fin des années 60. Tout en montrant la qualité du travail de Gilles Caron, L’histoire d’un regard ne manque pas d’interroger le rôle ambigu joué par les photo-reporters, à la fois témoins et acteurs, accusateurs et complices, et qui vont même devenir un enjeu d’échange, de chantage et de négociation.

Le DVD

[4/5]

Le DVD sur lequel Diaphana a travaillé propose un résultat sur l’image très réussi avec ce mélange heureux du très beau noir et blanc de la plupart des photos de Gilles Caron et de la couleur des scènes tournées par Mariana Otero pour alimenter son enquête. Concernant les choix possibles, on est dans ce qui tend à devenir la norme : 5.1 ou 2.0, accès possible à une audiodescription, accès possible à un sous-titrage pour sourds et malentendants, et, en plus, la possibilité d’avoir un sous-titrage en anglais.

Le DVD n’est pas avare en bonus puisqu’on en compte 3, tous les 3 d’un intérêt certain. Tout d’abord un entretien avec la réalisatrice, d’une durée de 21 minutes. Réalisé, comme les 2 autres, par David Dessites, il permet à la réalisatrice d’insister sur la résonance entre son histoire et celle de Marjolaine et de Clémentine, les 2 filles de Gilles Caron, de justifier sa propre présence dans le film, de mettre en lumière son choix concernant la mise en espace des photographies dans son atelier, d’expliquer l’importance de sa rencontre avec Marjolaine et de raconter le choc qu’a représenté pour elle et pour lui la visite de l’historien Vincent Lemire dans son atelier. La conversation avec l’historien de la photographie Michel Poivert, d’une durée de 15 minutes, permet de situer Gilles Caron dans l’histoire du photo-reportage et de comparer le classicisme de son travail, sa façon d’apporter de l’imaginaire dans le réalisme, sa forme de gêne par rapport à son métier, avec ce qui animait le plus souvent les confrères de l’époque. Pour le 3ème bonus, d’une durée de 22 minutes, le choix a été fait d’une conversation  avec un jeune photo-reporter de 29 ans, Edouard Elias. Son âge permet de l’interroger sur l’héritage du travail de Gilles Caron, sur l’évolution du travail de photo-reporter, de plus en plus partagé entre des journalistes qui font de la photographie et des photographes qui font du journalisme, ainsi que sur les difficultés rencontrées aujourd’hui dans ce métier, de plus en plus importantes, du fait des budgets de plus en plus serrés dans la presse.

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