Test Blu-ray : Zenabel

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Zenabel

Italie, France : 1969
Titre original : Zenabel – Davanti a lei tremavano tutti gli uomini
Réalisation : Ruggero Deodato
Scénario : Antonio Racioppi, Gino Capone
Acteurs : Lucretia Love, John Ireland, Lionel Stander
Éditeur : Le Chat qui fume
Durée : 1h25
Genre : Comédie, Historique
Date de sortie cinéma : 12 juin 1974
Date de sortie Blu-ray : 30 novembre 2021

En 1627, dans l’Espagne du Siècle d’or, la jeune Zenabel apprend de son père mourant qu’elle est en réalité une fille adoptée. Ses vrais parents, le duc et la duchesse de Valle Stretta, furent assassinés alors qu’elle était encore un bébé. Le responsable de ce double meurtre, don Alonso y Moira, un baron sans foi ni loi, est depuis devenu le maître des lieux, faisant régner la terreur dans le duché. Désormais, Zenabel va tout mettre en œuvre afin de reconquérir son titre et ses biens, ainsi que venger la mort de ses parents. Sa quête sera longue et semée d’embûches…

Le film

[4/5]

Film rare, très peu connu, Zenabel, qui vient de débarquer en Blu-ray chez Le Chat qui fume, est une comédie d’aventures historiques fortement teintée d’érotisme signée par un des plus grands maestros du cinéma d’exploitation italien : Ruggero Deodato. Sorti en Italie en 1969, le film n’arriverait dans les salles françaises que cinq ans plus tard, doté d’une jolie affiche et d’un titre assez racoleur : Faut pas jouer avec les vierges. Années 70 obligent, le film de Deodato fut également l’objet de ressorties « Hard » : on prend le film, on rajoute quelques inserts classés X de gros kikis turgescents pendant les scènes érotiques et hop ! On ressort le film sous un autre titre. Si l’on en croit le site de référence Encyclo-Ciné, Zenabel aurait également été exploité sous les titres Mieux vaut un homme aujourd’hui qu’un cheval demain, La Furie du désir et enfin Viens, j’aime ça !

Véritable rareté, Zenabel faisait partie de ces très nombreux « introuvables du Bis » que l’on est vraiment content de pouvoir enfin découvrir, cinquante ans après leurs sorties dans les salles, et alors qu’on les pensait à jamais perdus dans les limbes de la mémoire collective. A notre connaissance, Zenabel n’avait pas jusqu’ici connu de sortie en VHS et DVD en France, et à l’image de la petite série de « comédies polissonnes italiennes » mises en lumière par Christophe Lemaire et Bac Films en 2008, le film s’avère une sympathique petite découverte : un film de charme historique, rigolo, formellement soigné et plutôt bien rythmé, malgré le jeu un peu limité de l’actrice principale Lucretia Love, qui peine un peu à convaincre dans les purs moments de comédie.

Lucretia Love, bien sûr, vous la connaissez : révélée par La Sœur de Satan, premier film en tant que réalisateur du prodige britannique Michael Reeves, elle serait par la suite une des actrices du puissant giallo L’assassin a réservé neuf fauteuils, édité par Le Chat qui fume en 2018. Si vous êtes amateur de Bis, vous l’aurez peut-être également vue dans les gialli L’Œil de l’araignée et Le Diable a sept faces, dans une poignée de westerns spaghetti (Dieu est avec toi Gringo, Un colt dans le poing du diable…) ou, bien sûr, dans la fantaisie préhistorique de Bruno Corbucci Quand les femmes font ding dong et aux côtés de Pam Grier dans La révolte des gladiatrices. Lucretia Love a donc à son actif une belle carrière de second-rôle, ou de silhouette d’arrière-plan, volontiers dénudée, mais fut peu souvent utilisée en tant que premier rôle. Sans vouloir paraître cynique ou misogyne, le fait qu’elle ait choisie en tant qu’héroïne de Zenabel n’a rien à voir avec son talent d’actrice. Elle a effet uniquement obtenu cette « promotion » parce qu’elle était l’épouse du producteur, qui se trouvait être l’acteur Mauro Parenti, qui joue également dans le film. Zenabel était la deuxième collaboration entre Ruggero Deodato et l’acteur / producteur, un an après Action Man et le trésor de Toutankhamon (1968).

Pur produit de son temps, Zenabel est sorti à une époque où les changements sociaux et la libéralisation sexuelle prenaient véritablement leur essor en Europe : après la révolution sociale de 1968, il n’est point étonnant que les auteurs du film aient choisi de mettre en avant une héroïne combattante au centre de leur récit, mais on ne pourra pas pour autant parler d’œuvre « émancipatrice » quant à l’image de la femme, dans le sens où l’héroïne se retrouve souvent à poil sans raison particulière tout au long du film. Pour autant, il faut également préciser que là est la nature intrinsèque de Zenabel, qui est en fait l’adaptation « non officielle » de la bande dessinée italienne (fumetti) de Giorgio Cavedon et Sandro Angiolini intitulée Isabella, qui fut publiée en France par Elvifrance entre 1970 et 1978. La même année, le même fumetti fut en effet adapté dans un autre film italien, Isabelle, duchesse du diable, réalisé par Bruno Corbucci, avec Brigitte Skay dans le rôle-titre. Si ce dernier se voulait une adaptation fidèle (Giorgio Cavedon faisait partie de l’équipe des scénaristes), Zenabel interprète en revanche la bande dessinée de manière très libre, apportant un certain recul sur les thèmes et rebondissements de cette dernière. Un peu à la manière du boulot de Jean-François Halin sur OSS 117, les scénaristes du film optent pour une certaine distance, une ironie par rapport aux divers clichés et le voyeurisme propre au genre. Le « sérieux » affiché de la BD d’origine est souvent détourné, tourné en dérision de façon à souligner les motifs un peu trop récurrents : la scène de la mort du père, qui prend place dans la première bobine, en est un exemple flagrant.

De ce fait, et grâce à cette légèreté tout à fait rafraîchissante, Zenabel s’impose sans trop de peine comme un film érotique bon enfant, amusant et plein d’esprit, ayant su exploiter les libertés apparues à la fin des années 60 tout en ne les prenant pas trop au sérieux. Et même si le film cède volontiers, dans sa forme, à l’aspect « phallocentré » généralement de mise dans le cinéma érotique, Ruggero Deodato n’en propose pas moins un personnage féminin fort, n’ayant rien à envier aux hommes du point de vue de la détermination et de la bagarre. Il s’agit d’un rôle de choix pour Lucretia Love, qui donne réellement le meilleur d’elle même pour tenter de faire exister son personnage. Un personnage d’ailleurs assez contradictoire, reflétant l’esprit de la fin des années 60, se situant quelque part entre la femme forte et l’objet sexuel, déchirée entre une apparence sûre d’elle et une attitude de victime masochiste dans son rapport aux hommes.

La façon dont Ruggero Deodato aborde l’érotisme dans Zenabel est également relativement intéressante, et sera parfaitement résumée dans la première séquence du film, qui voit un petit groupe de jeunes femmes se baignant au ralenti près d’une cascade, se jetant des fleurs sur l’air de la superbe musique de Bruno Nicolai, tandis qu’une vache broute tranquilou juste à côté, imperturbable aux idées de stupre qui commencent à se jouer dans l’esprit du spectateur masculin, posé là en position de voyeur. S’amusant de la position du spectateur, Deodato finit par nous montrer que le public n’est pas le seul voyeur de cette scène : un petit groupe d’hommes est également en train de se rincer l’œil, et finira par se voir battu et humilié. On notera également que certains fantasmes phallocrates récurrents dans ce type de films – tels que la traditionnelle scène de torture de l’héroïne – seront détournés de façon amusante, les auteurs du scénario s’en tirant souvent par des pirouettes inattendues et amusantes.

L’humour de Zenabel n’est certes pas des plus subtils, mais la façon dont il dézingue systématiquement les figures de masculinité triomphante qui dominaient le film d’aventure dans les années 60 a quelque chose d’assez réjouissant. Tous les personnages masculins sont ridiculisés, et une partie du métrage est même consacrée à la dénonciation d’une certaine « culture du viol », pour citer une expression à la mode ces dernières années. Mais Deodato ne s’arrête pas là, et en bon misanthrope, flingue également volontiers quelques idéaux féministes, se moquant par exemple explicitement du discours de ralliement de Zenabel à son gang de femmes en l’entrecoupant d’un plan de vaches meuglant dans un champ.

Du côté des acteurs, on notera principalement la présence au générique de John Ireland, qui incarne le méchant de service. A ses côtés, on trouvera également Lionel Stander, surtout connu du grand public pour avoir incarné Max dans la série TV L’amour du risque. Ajoutez à cela un production design remarquable (décors, costumes de toute beauté) ainsi qu’une photo superbe signée Roberto Reale, et vous obtenez Zenabel, une comédie d’aventures érotiques typiques de son époque, mais ayant toujours autant de charme aujourd’hui.

Le coffret Blu-ray

[5/5]

Pour avoir chroniqué la quasi-intégralité de ses titres au format DVD, Blu-ray et 4K UHD depuis 2014, on connaît bien Le Chat qui fume, ainsi que le soin que l’éditeur ne cesse de renouveler afin de livrer au consommateur français les éditions Haute-Définition les plus belles et les plus complètes disponibles sur le marché. A l’occasion de la sortie de Zenabel au format Blu-ray, Le Chat se fend donc à nouveau non seulement d’un master au top, mais également et comme toujours d’un bien bel objet, rendant ses lettres de noblesse à l’appellation « Édition Collector ». Il s’agit d’une édition limitée, proposée dans un un digipack 3 volets surmonté d’un fourreau, dont la conception graphique est comme toujours signée Frédéric Domont – un vrai et bel objet de collection, à ranger aux côtés des autres films édités par Le Chat qui fume dans votre bibliothèque.

Côté galette, le Blu-ray de Zenabel nous propose une image littéralement impeccable, et ce n’est point étonnant, puisque l’éditeur nous apprend qu’il s’agit d’une restauration 4K ayant été effectuée à partir de l’interpositif français. Le piqué est d’une belle précision, le grain cinéma est parfaitement préservé, et couleurs et contrastes semblent avoir été tout particulièrement soignés, même si les noirs pourront peut-être apparaître un poil bouchés sur quelques plans épars. On trouve néanmoins un excellent niveau de détail, qu’il s’agisse des scènes en intérieur comme en extérieur. Du très beau boulot ! Rien à redire non plus sur le mixage audio, proposé en DTS-HD Master Audio 2.0 mono d’origine, à la fois en VF et en VO, clair, punchy et sans souffle. L’ensemble est parfaitement équilibré, et la musique de Bruno Nicolai bien mise en valeur.

Dans la section suppléments, Le Chat nous gâte encore, avec plus de deux heures vingt de bonus passionnants ! On commencera avec « le » gros morceau de cette édition : le documentaire Deodato Holocaust (2019, 1h11), qui reviendra de façon sincère et passionnée sur toute la carrière de cinéaste de Ruggero Deodato. Le réalisateur y reviendra sur ses films, sa réputation, son rapport au gore, ses différents démêlés juridiques ou encore sur l’héritage de son œuvre sur la culture populaire – notamment concernant le Projet Blair Witch… Franc et sans langue de bois, tantôt hilare, tantôt révolté, il reviendra également sur les hauts et les bas de sa carrière, ou sur les personnes avec lesquelles il a eu la chance – ou la malchance de travailler – au fil des années. Les propos de Deodato sont naturellement entrecoupés de nombreux extraits de ses films, et l’ensemble est tellement rythmé, sympa et même régulièrement drôle qu’il est quasiment impossible de ne pas le visionner d’une traite, un grand sourire aux lèvres.

Et tant qu’à rester en compagnie du maestro, on enchaînera avec un entretien avec Ruggero Deodato (19 minutes), cette fois-ci consacré à Zenabel. Il reviendra donc brièvement sur sa carrière et sur ses débuts dans le cinéma, avant d’aborder ses premiers films en tant que réalisateur : Gungala, la panthère nue, puis bien sûr Zenabel, dont il se remémorera le tournage, les qualités techniques (casting, décors, musique), mais également la sortie en Italie, qui s’avéra absolument désastreuse car le film était sorti la même semaine que l’attentat de la Piazza Fontana à Milan. Il évoquera également, de façon assez horrifiée, les séquences classées X ayant été insérées dans son film pour l’exploitation dans certains pays. Petit coquin dans l’âme, Le Chat qui bande nous propose de découvrir un montage de plusieurs séquences coupées interdites aux mineurs (19 minutes), avec des zizis tout durs, des schnecks offertes et beaucoup, beaucoup de poils.

Enfin, on terminera avec une intéressante présentation du film par Philippe Chouvel (32 minutes). Comme le veut la tradition dans ce genre de sujets, il reviendra sur la vie et l’œuvre de Ruggero Deodato, en s’attardant de façon un peu plus approfondie sur Zenabel. Bien sûr, si vous avez déjà regardé les autres suppléments, certains éléments pourront vous paraître un poil redondants, mais les propos du journaliste, dont la plume est bien connue des habitués des sites Sueurs froides et Psychovision, demeurent très complets et intéressants. Concernant Zenabel, il reviendra sur le casting, le tournage, la musique, l’échec en Italie, l’exploitation en France (titres à rallonge, inserts porno…). Après avoir abordé le film de 1969, il survolera le reste de la carrière du cinéaste, avec naturellement un crochet par l’indispensable Cannibal Holocaust. Pour vous procurer cette édition limitée à 1000 exemplaires, rendez-vous sur le site du Chat qui fume.

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