Test Blu-ray : Tire encore si tu peux

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Tire encore si tu peux

 
Italie, Espagne : 1967
Titre original : Se sei vivo spara
Réalisateur : Giulio Questi
Scénario : Franco Arcalli, Giulio Questi
Acteurs : Tomas Milian, Marilù Tolo, Piero Lulli
Distribution : Rimini Editions
Durée : 1h56
Genre : Western
Date de sortie cinéma : 25 octobre 1972
Date de sortie DVD/BR : 23 novembre 2016

 

 

Membre d’un gang de bandits mexicains, un métis que l’on appelle L’Etranger s’associe à un gang américain pour dérober une important quantité d’or. Au moment du partage, les mexicains sont abattus un par un. Laissé pour mort, L’Etranger parvient à survivre et n’a plus qu’une obsession : se venger…

 

 

Le film

[5/5]

Le statut et la réputation de chef d’œuvre de Tire encore si tu peux auprès d’une communauté de fans de plus en plus nombreux au fil des ans tient finalement fort peu à son appartenance au genre du western italien. Au contraire, il semble bel et bien que l’aura du film de Giulio Questi tienne bien d’avantage de sa singularité au sein même du genre, et de sa propension à verser dans le baroque le plus fou : bien plus que l’ombre de Sergio Leone, on sent au-dessus de Tire encore si tu peux les influences mêlées de différents genres.

Parmi les influences les plus évidentes, on citera le cinéma de Luis Buñuel, avec qui il partage le gout du surréalisme, et un certain penchant pour les séquences hallucinées, presque oniriques, provoquées dans Tire encore si tu peux par les deux indiens et leur nette inclination au shamanisme. Cet aspect fantastique se retrouve également dans la dernière partie du film, avec la jeune femme enfermée, qui évoque toute une tradition du « grand » cinéma gothique des années 50/60, qui s’enrichissent de débordements typiquement italiens (le visage recouvert d’or en fusion, trouvaille géniale que l’on croirait issue d’un film de Mario Bava) – on trouvera même au cœur du film quelques dérives vers le gore, en particulier avec la scène de « l’extraction » des balles d’or par des villageois cupides et sans pitié, ou celle, sortie de nulle part, de l’explosion des chevaux. Une cruauté surprenante mais clairement assumée par un cinéaste qui fut visiblement extrêmement marqué par les atrocités et la barbarie de la seconde guerre mondiale, et qui parvient avec une maestria certaine à entretenir pendant presque deux heures un sentiment de « flottement », donnant l’impression de se trouver au cœur d’un cauchemar éveillé des plus oppressants (proche du concept freudien d’« inquiétante étrangeté »), ce qui est d’autant plus perceptible que le spectateur se retrouve coincé dans cette folie furieuse par l’usage de courtes focales et d’un scope ultra-ramassé qui l’enferment littéralement dans le film, autant que les personnages dans le cadre.

En créant cet univers étrange par le choix des cadres et du montage, Questi ajoute une dimension presque « mystique » à Tire encore si tu peux (qui n’est pas sans rappeler le cinéma de Jodorowsky, le film ayant probablement eu une forte influence sur la création de El Topo trois ans plus tard). Ainsi, Tomas Milian est impérial et magnétique dans ce rôle quasi-Christique, tenant autant du messie que du spectre vengeur, littéralement intouchable, évoluant dans une ville fantôme en forme de purgatoire, filmée par Questi dès son introduction comme un lieu de perdition, faisant froid dans le dos, sans espoir et comme peuplé de morts vivants.

Enfin, on notera également un pied de nez politique agressif et assez réjouissant de Giulio Questi au fascisme italien, avec ce gang de « chemises noires » d’opérette entourant le personnage de Rosso : une troupe décadente et ouvertement homosexuelle organisant des orgies avec leurs otages et obéissant aveuglément à un leader ridicule…

Souvent considéré comme le « meilleur western spaghetti » de tous les temps, Tire encore si tu peux ne se cantonne pas à ce seul genre – et c’est sans doute là ce qui fait sa grande force. Impactant et inoubliable, le film de Questi n’a en tous cas pas volé sa réputation de chef d’œuvre. Pour l’auteur de ces modestes lignes, qui n’a certes pas la culture encyclopédique d’un Jean-François Giré ou d’un Alain Petit concernant le western européen (entre 120 et 150 « spagh’ » vus à ce jour, tout au plus), il s’agit assurément de l’un des deux ou trois meilleurs représentants du genre, aux côtés de l’indétrônable Far West Story, toujours avec Tomas Milian.

 

 

Le Blu-ray

[5/5]

Disponible chez Rimini Editions depuis le mois dernier, Tire encore si tu peux débarque donc en Haute Définition, un peu plus de dix ans après une édition DVD signée Seven 7 que beaucoup de cinéphiles chérissaient, mais qu’ils vont dorénavant pouvoir refourguer sans remords ni regret. Car disons-le tout net, le Blu-ray édité par Rimini Editions constitue la meilleure édition du film de Giulio Questi à ce jour, tous pays confondus.

On salue d’ailleurs au passage le courage de cet éditeur indépendant qui, contrairement à d’autres éditeurs français, a clairement su entendre les récriminations des consommateurs, qui lui reprochaient un encodage systématique des Blu-ray en 1080i (il n’était pas le seul, puisque c’est également systématiquement le cas chez Arte Editions, Seven 7 ou encore Condor Entertainment) et un usage un peu trop abusif de la fonction DNR / réducteur de bruit – même si pour être tout à fait honnête, dans le cas du Flic ricanant, il semblerait que la faute incombe en réalité au laboratoire français TCS, chargé de la restauration du film. Excellente nouvelle pour les cinéphiles les plus maniaco-pointilleux : le Blu-ray de Tire encore si tu peux est proposé en version intégrale, encodé en 1080p et si l’on repère encore quelques artefacts qui sont autant de signes d’un usage du réducteur de bruit, un soin tout particulier semble avoir été apporté afin de préserver la granulation d’origine. Pour ceux qui posséderaient déjà l’édition Blue Underground de 2012, l’édition française paraît un poil moins lissée que l’américaine, et la colorimétrie y est sans doute plus fidèle aux teintes d’origine (le Blu-ray de chez Rimini n’a pas l’aspect légèrement bleuté du disque US) ; elle dispose en revanche d’un chouïa moins d’informations à droite et à gauche de l’image. Les mystères des différents masters…

Il convient donc de reconnaître et encourager l’effort éditorial de Rimini Editions afin de coller aux désidératas des consommateurs. C’est d’autant plus remarquable que sous l’impact d’un marché du Blu-ray en France qui semble se réduire comme peau de chagrin, un peu plus chaque année, on constate malheureusement depuis quelques mois un retour en force du 1080i. Bien sûr, économiquement parlant, l’utilisation de deux masters distincts pour les éditions DVD et Blu-ray a un coût que certains éditeurs préfèrent contourner, et la logique économique la plus viable est de travailler avec un seul master cadencé à 25 images / seconde, servant à la fois pour le DVD et le Blu-ray. Mais objectivement, comment peut-on imaginer que le marché du Blu-ray, qui devient de plus en plus un produit de « niche » destiné aux cinéphiles, puisse repartir à la hausse si les éditeurs proposent systématiquement des galettes techniquement inadaptées aux exigences de ces mêmes cinéphiles ? On applaudit donc Rimini avec enthousiasme pour ce qui s’impose presque comme un coup d’éclat.

Côté son, les mixages DTS-HD Master Audio 2.0 (VF / VO, la version française comportant une large série de passages non doublés et proposés en VOST pour cause de version censurée) s’en sortent sans la moindre anicroche, préservant une belle clarté des dialogues et une immersion impeccable pour le spectateur.

Dans la section suppléments, Rimini Editions nous propose, en plus de les traditionnelles bandes-annonces, un entretien avec le réalisateur Giulio Questi : une interview fleuve de 45 minutes nous permettant de découvrir un cinéaste méconnu, à la filmographie beaucoup trop courte (seulement trois films de cinéma). Enfin, le sympathique Christophe Champclaux évoquera dans les grandes lignes la carrière de Tomas Milian, acteur génial que tous les amateurs de western européen adorent.

 

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