Old stone
Chine, Canada : 2016
Titre original : Lao Shi
Réalisation : Johnny Ma
Scénario : Johnny Ma
Acteurs : Chen Gang, An Nai, Wang Hongwei
Éditeur : Spectrum Films
Durée : 1h21
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie DVD/BR : 23 janvier 2018
Chauffeur de taxi, Lao Shi renverse un scooter. Paniqué et l’ambulance n’arrivant pas, il décide de transporter le blessé à un hôpital tout proche. L’homme reste dans le coma et Chen Gang décide de payer ses frais médicaux car il s’agit d’un migrant dont la famille habite loin. Sans le savoir, il vient de mettre le bras dans une machine infernale qui va l’avaler tout entier…
Le film
[4/5]
Sur le ton de la plaisanterie, mais avec une acuité presque prophétique, René Goscinny et Pierre Tchernia avaient déjà brocardé, dès 1976, les dérives des administrations en tous genres au cœur des Douze travaux d’Asterix, avec le fameux passage de la « Maison qui rend fou ». Ces dérives de la bureaucratie sont également au centre du premier long-métrage de Johnny Ma, Old stone : le film suit en effet la trajectoire de Lao Shi, un chauffeur de taxi se retrouvant obligé de prendre en charge l’hospitalisation d’un blessé pour n’avoir pas suivi la procédure à appliquer en cas d’accident de la route, quand bien même la vie de la victime était en danger.
Cette situation ubuesque est donc le point de départ d’une véritable descente aux enfers pour le personnage de Lao Shi, interprété par un Chen Gang absolument parfait dans la peau de cet homme perdu dans un véritable dédale administratif, rouleau compresseur social qui lui fera perdre peu à peu tout ce qu’il possède. La seule possibilité pour Lao Shi de se sortir de cette situation inextricable : la mort de la victime plongée dans le coma. Malin, le réalisateur / scénariste fait doucement avancer au fil de son récit les roues d’un engrenage terrible : la seule échappatoire pour le héros est donc de mettre fin aux jours d’une personne à qui il a sauvé la vie… La question des valeurs essentielles (humanité, solidarité) se voyant littéralement écrasées par une bureaucratie individualiste et cynique est donc au centre d’Old stone, qui développe en filigrane, en plus de ce regard acéré sur la société contemporaine, un humour très noir, désabusé, presque désespéré.
Inclassable, souvent déroutant dans ses ruptures de ton, le film de Johnny Ma navigue à vue entre les genres, abordant de front le drame social bien sûr (sans une once de misérabilisme cela dit), mais bifurquant également occasionnellement vers le thriller, avec en prime un final très brutal « à la Coréenne ». Si la mise en scène est moderne et tout à fait remarquable, le film propose également un gros travail sur le son, retravaillant les sons de la ville de façon vraiment tonitruante, comme pour mieux souligner à quel point l’individu lambda est noyé dans la masse, et où il vaut finalement mieux laisser un passant pour mort plutôt que de lui venir en aide et d’être tenu pour responsable de son accident. Engagé et noir, allant à l’essentiel et se montrant aussi direct que court (1h21 seulement), Old stone dénonce un système corrompu au cœur duquel les individualités ne peuvent que sombrer pour avoir fait preuve du minimum syndical d’humanité. Un constat social des plus tristes, mais cinématographiquement puissant.
Le Blu-ray
[4,5/5]
Le Blu-ray d’Old stone édité par Spectrum Films nous permettra de découvrir le premier film de Johnny Ma sublimé par une copie de toute beauté, avec un grain cinéma respecté aux petits oignons et des contrastes finement travaillés. La définition est d’une précision remarquable, le piqué est chirurgical, et les couleurs sont saturées à fond, respectant les volontés du directeur photo Ming Kai Leung. En deux mots comme en cent, nous sommes vraiment en présence d’un master superbe. Côté son, l’éditeur nous propose naturellement de découvrir le film en version originale sous-titrée, dans un mixage mandarin DTS-HD Master Audio 5.1. La spatialisation est discrète mais bel et bien présente, et facilitera l’immersion du spectateur par petites touches d’ambiance. Les basses omniprésentes en rajoutent encore dans l’immersion.
Côté suppléments, on commencera tout d’abord avec un entretien avec le réalisateur Johnny Ma, qui s’exprimera sur son parcours et sur le film au sein d’une très riche interview d’une demi-heure, montée par les équipes de Spectrum Films. Bavard et relativement modeste, il reviendra sur les raisons l’ayant poussé à aborder les thématiques fortes au cœur d’Old stone. On continuera ensuite avec une série de scènes coupées accompagnées d’une fin alternative, plus positive que celle finalement gardée au montage final. Les (bonnes) raisons pour lesquelles ces scènes ont été écartées sont explicitées par le cinéaste par des cartons informatifs. On continuera ensuite avec une critique du film par « Les Cousins font leur cinéma », la vidéo étant issue de leur chaine Youtube : comme d’habitude, malgré quelques tics de langage que l’on retrouve d’une vidéo à l’autre, leur enthousiasme est assez communicatif, et l’analyse qu’ils font du film est synthétique et assez bien vue. Enfin, outre la traditionnelle bande-annonce, on trouvera également un court-métrage de Johnny Ma, intitulé Grand Canal (2014, 20 minutes, HD et VOST), à la fois engagé et poétique. On tire donc notre chapeau à Spectrum Films qui nous propose à nouveau un travail éditorial en tous points remarquable.