Test Blu-ray : Le combat dans l’île

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Le combat dans l’île

France : 1962
Titre original : –
Réalisateur : Alain Cavalier
Scénario : Alain Cavalier, Jean-Paul Rappeneau
Acteurs : Romy Schneider, Jean-Louis Trintignant, Henri Serre
Éditeur : Gaumont
Durée : 1h44
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 7 septembre 1962
Date de sortie DVD/BR : 8 juillet 2020

Appartenant à un réseau politique clandestin, Clément s’aperçoit, à la suite de circonstances dramatiques, qu’il est trahi par son meilleur ami, Serge. Il fuit alors en compagnie de sa femme, Anne, dont il est épris et fort jaloux. Le couple se réfugie auprès d’un ami d’enfance…

Le film

[4/5]

Cinéaste de l’intime, ayant développé au fil des années une approche unique et personnelle du cinéma, à la lisière de l’artisanat et du documentaire, Alain Cavalier ne tourne plus depuis plusieurs années qu’en indépendant, livrant de façon régulière des films inclassables et épurés, dégagés de toutes les contraintes narratives et formelles du cinéma dit « traditionnel ». Cependant, ce virage dans sa carrière de cinéaste s’est opéré de façon progressive, et au fur et à mesure de l’évolution de son Art – durant les années 60, 70, 80 – Cavalier a tout de même concédé à tourner une poignée de films plus traditionnels dans leur approche de la narration cinématographique.

Les liens entre le réel et la fiction, on pouvait les percevoir dès son premier film de cinéma, Le combat dans l’île. En effet, si, presque soixante ans après sa sortie dans les salles, les liens du film avec l’actualité de l’époque (la guerre d’Algérie, l’OAS) pourront certes échapper au spectateur contemporain, il y a en revanche peu de chances que le discours de Cavalier soit passé inaperçu auprès du public en 1962 – le film rencontrerait d’ailleurs de nombreux problèmes avec la censure. Néanmoins, ce décalage temporel nous permet également aujourd’hui d’affirmer que si Le combat dans l’île comporte en effet de nombreuses références à l’Histoire récente de la France du début des années 60 – à commencer bien sûr par la Seconde Guerre Mondiale – ces détails ne constituent finalement qu’une façon de « contextualiser » ses personnages d’une façon réaliste, d’un point de vue géographique, économique, social et même philosophique. De façon à réellement donner une figure humaine à des personnages qui auraient facilement pu n’être que des caricatures, et se résumer à leurs bords politiques opposés, la fille du récit étant l’objet du désir à la fois d’un infâme mec de droite et d’un bon gars de gauche.

Parce qu’au-delà de l’aspect politique, ce qui semble avant tout intéresser Alain Cavalier, ce sont ses trois personnages centraux – Romy Schneider, Jean-Louis Trintignant et Henri Serre – et l’étrange triangle amoureux qui se crée entre eux. Une histoire intime, forte, mettant en scène trois jeunes gens extrêmement différents, qui ont tous la particularité d’exister au-delà de leur fonction première mari / femme / amant. Anne (Romy Schneider) est ainsi décrite comme une femme ayant des aspirations artistiques intenses, mais ayant abandonné sa passion dans sa quête de confort matériel, que l’on comprend être liée à des temps probablement difficiles durant la guerre – ce qu’elle explique au détour d’un laïus consacré à Genève. En cherchant à se protéger dans le luxe, elle s’est étouffée elle-même dans une vie bourgeoise trop étriquée, pleine de normes et de règles de conduite qui ne lui conviennent pas. Au détour d’une longue séquence, Cavalier sous-entend également son attirance éventuelle pour la gent féminine, représentée par le personnage de l’ingénue Cécile (Diane Lepvrier). Paul (Henri Serre) est un homme de principes, refusant la violence, mais engagé, notamment dans les syndicats. Doux et ferme à la fois, il sait faire preuve de compréhension et accepte bon gré mal gré devant la libération de la parole et des mœurs féminines. C’est également un être meurtri, ne parvenant pas réellement à surmonter la disparition de sa femme. Ces deux personnages brisés vont finalement réussir à surmonter leurs démons grâce au personnage de Clément (Jean-Louis Trintignant), qui créera en eux le « déclic » nécessaire afin de s’accepter eux-mêmes, ne serait-ce que partiellement – l’une en renouant avec sa passion, l’autre en « ressuscitant » l’œuvre de sa défunte épouse. Plus qu’une finalité, leur couple pourra être vu comme un tremplin vers une autre vie, puisque si l’on considère que Paul aime toujours sa femme et qu’Anne préfère les femmes, aucun des deux ne se révèle au final comme réellement heureux. L’attitude d’Anne est d’ailleurs sans équivoque : durant la séquence des retrouvailles / confrontation avec Clément, elle cède presque à ses avances. De la même façon, elle ne considère pas son bébé avec Paul comme un « bébé de l’amour » mais simplement comme un cadeau de remerciements, parce qu’il a été gentil avec elle.

Là où Cavalier se fait plus politisé en revanche, c’est dans la description féroce qu’il propose du personnage de Clément justement, le seul à ne pas être présenté de façon sympathique. Son portrait est finement ciselé, réaliste, et par certains aspects, il s’avère touchant, et peut-être même un brin pathétique – mais jamais sympathique. Son attitude phallocrate et excessive, sa violence, même dans sa façon d’aborder l’intimité – et notamment les rapports sexuels… Tout en lui transpire les valeurs réactionnaires et patriarcales, même lorsqu’il fait le choix de s’opposer brutalement à son père en prenant la défense d’ouvriers grévistes. Membre d’une organisation d’extrême droite, il ne fait aucun doute pour le spectateur de l’époque que le personnage représente à l’écran les membres de l’OAS (Organisation Armée Secrète), et même plus largement de tous les mouvements de la droite dure armée de l’époque. Or, malgré son romantisme forcené, le personnage de Trintignant dans le film est clairement tourné en ridicule : il est en effet décrit comme un gamin capricieux, un fils à papa pourri-gâté, gosse de riche fasciné par la violence et cherchant à s’offrir le grand frisson. Emphatique dans ses propos, excessif dans ses réactions, il est présenté comme un sale gosse irresponsable, possessif et stupide, et n’atteindra jamais l’étoffe du héros tragique qu’il s’imagine sans doute avoir, mais simplement ramené à sa nature de terroriste. « Quel âge as-tu, douze ans ? » lui demande d’ailleurs le personnage d’Henri Serre au détour d’un dialogue. D’abord amusé, il cherchera à le protéger, comme un protège parfois un gamin contre lui-même. Il devra néanmoins se résoudre à lui infliger, dans la dernière bobine, la correction qu’il mérite. Et Le combat dans l’île de tourner en ridicule les mouvements d’extrême droite et leurs représentants, s’entrainant entre enfants gâtés dans des groupuscules camouflés en clubs de chasse, et qui mériteraient tous bien de se prendre une fessée cul nu.

Relativement sec dans sa façon d’amener le récit au spectateur, Le combat dans l’île n’en demeure pas moins un beau film, assez touchant, sur l’intériorité et la psychologie de ses personnages. Traversé par quelques fulgurances visuelles, tels que ces nombreux gros plans sur des détails, tels que les mains des personnages par exemple, qui en disent parfois plus qu’un long discours. Une inventivité formelle qui sert habilement le propos du film et la mélancolie de l’ensemble.

Le Blu-ray

[4/5]

Il s’agit d’un véritable événement pour les cinéphiles français : Le combat dans l’île est maintenant disponible chez Gaumont en Haute-Définition, au sein d’une nouvelle vague de la collection « Blu-ray Découverte ». Le film d’Alain Cavalier s’offre donc un lifting HD sur galette Blu-ray, et fidèle à ses excellentes habitudes, l’éditeur français a soigné sa copie : le film est présenté au format 1.66 respecté, en 1080p et dans un noir et blanc absolument flamboyant, et bénéficie donc, à l’image des autres titres disponibles au cœur de la collection depuis quelques années, d’une impressionnante cure de jouvence. Le piqué est globalement assez précis et le grain cinéma a été préservé avec soin : de quoi apprécier à sa juste valeur le travail sur la photo effectué par Pierre Lhomme. On ajoutera que l’ensemble s’avère d’une propreté et d’une stabilité étonnante : c’est du tout bon. Côté son, le film est proposé dans un mixage DTS-HD Master Audio 2.0 mono d’origine, qui s’impose comme clair et toujours parfaitement net. De la belle ouvrage.

Du côté des bonus, l’éditeur nous propose, outre la traditionnelle bande-annonce, un intéressant entretien avec Philippe Roger (38 minutes), au cœur duquel ce spécialiste de l’œuvre d’Alain Cavalier reviendra sur le parcours du cinéaste en général, sur Le combat dans l’île en particulier, et surtout sur les points communs qui unissent son œuvre à celles de Robert Bresson et de Jean Grémillon. Très intéressant !

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