Test Blu-ray : La Maison au fond du parc

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La Maison au fond du parc

Italie : 1980
Titre original : La casa sperduta nel parco
Réalisation : Ruggero Deodato
Scénario : Gianfranco Clerici, Vincenzo Mannino
Acteurs : David Hess, Giovanni Lombardo Radice…
Éditeur : Le Chat qui fume
Durée : 1h32
Genre : Horreur
Date de sortie cinéma : 25 mars 1981
Date de sortie DVD/BR : 5 avril 2025

Alex, voyou et violeur, tient sous sa coupe Ricky, un peu simplet. Tous deux travaillent dans un garage aux affaires douteuses. Alors qu’ils s’apprêtent à sortir en boîte, ils dépannent la voiture d’un couple de jeunes bourgeois qui, pour les remercier, les invite à une soirée dans leur villa. Si Ricky s’y amuse, Alex réalise vite que l’assemblée cherche à les humilier. Énervé, il sort son rasoir et prend la soirée en main…

Le film

[3,5/5]

S’il n’est plus un secret pour personne que Wes Craven est un imposteur n’ayant pu accéder au panthéon des prestigieux « masters of horror » que suite à une série de concours de circonstances, il faut tout de même lui reconnaître d’avoir su créer des concepts forts, dont l’impact dans l’imaginaire de ses contemporains aura donné naissance à de purs morceaux de celluloïd après lui. Quand il signe le mauvais [mais séminal] La Dernière maison sur la gauche en 1972, Craven n’imagine sans doute pas le succès qui l’attend au tournant, pas plus que la flopée de films que son « rape and revenge » originel allait inspirer dans la décennie qui suivrait. Le « rape and revenge », kezako, pour les cancres du fond ? Il s’agit, comme son nom l’indique, d’un film mettant en scène un ou plusieurs viols de la part d’une bande de crapules dégénérées (ça c’est pour la partie « rape »), et le retour de bâton pour les tortionnaires, subissant de plein fouet la loi du talion (ça c’est pour la partie « revenge »). L’énorme succès populaire de La Dernière maison sur la gauche impliquera une réaction transalpine immédiate, les ritals se mettant à mouliner du « rape and revenge » à toutes les sauces.

Parmi ces films d’exploitation plus ou moins réussis, on retiendra surtout La Bête tue de sang froid (également connu sous le titre Le Dernier train de la nuit) d’Aldo Lado (1975), avec Macha Méril, et La Maison au fond du parc de Ruggero Deodato (1980), ce dernier mettant en scène le regretté David Hess, déjà présent dans le film de Wes Craven. Sacré personnage que ce David Hess : pour ceux qui ne le connaissent que par le biais de son travail dans le cinéma d’exploitation, on peut noter que dans les années 1950, il a d’abord travaillé comme auteur-compositeur, coécrivant des chansons enregistrées par Elvis Presley, Andy Williams ou Pat Boone. Il a également enregistré quelques disques tout au long de sa carrière. Mais au cinéma, David Hess a surtout marqué les mémoires pour ses rôles de méchant : avec sa taille imposante, ses traits marqués, son air macho et son apparence « patibulaire mais presque » comme le disait Coluche, il s’est rapidement spécialisé dans des rôles de brutes et de sadiques, facilement enclins à la violence. Et si on l’a finalement vu dans assez peu de films, ses prestations dans La Dernière Maison sur la gauche, La Proie de l’autostop et La Maison au fond du parc ont suffi à le marquer à vue et à en faire, d’entrée de jeu, un personnage vraiment inquiétant, dégageant instantanément un sentiment de malaise diffus. D’ailleurs, quand Ruggero Deodato choisit David Hess pour La Maison au fond du parc, il en est parfaitement conscient : comme si le fait d’opter pour une intrigue extrêmement similaire à celle du film de Wes Craven ne suffisait pas, il rajoute encore une passerelle avec le film de 1972 par l’utilisation du même acteur dans le même genre de rôle.

Pour la petite histoire, La Maison au fond du parc a été tourné juste après Cannibal Holocaust : les deux films partagent non seulement le même réalisateur, mais aussi le même producteur (Franco Palaggi) et la même équipe technique (Sergio D’Offizi à la photographie, Vincenzo Tomassi au montage et Riz Ortolani à la bande originale). Le projet est né du fait que Ruggero Deodato et son équipe avaient réussi à réaliser Cannibal Holocaust avec un budget largement inférieur à celui qui leur avait été alloué, et qu’ils disposaient de ce fait d’encore suffisamment d’argent pour tourner un film au budget modeste. De plus, les problèmes juridiques rencontrés sur le film précédent (les scènes de mises à mort d’animaux avaient valu à Ruggero Deodato de se voir condamné à quatre mois de prison avec sursis) avaient empêché Cannibal Holocaust de faire énormément de recettes en Italie, et le fait d’enchaîner avec un second film permettait de limiter les pertes.

Ce sont donc peut-être les frustrations et la colère qui s’exprimaient à travers l’intrigue de La Maison au fond du parc, qui s’avère un film glaçant, d’une très grande violence. Ruggero Deodato y poursuit la réflexion sur la société contemporaine, qu’il avait largement entamée dans son film précédent – celle d’une société « cannibale » qui dévore les plus faibles et ceux qui sont différents. Le discours développé par le film est volontiers anti-bourgeois, et se base sur un fait divers s’étant déroulé à Rome, dans le quartier huppé de Parioli : des jeunes issus des quartiers pauvres avaient violé et torturé deux jeunes filles de bonne famille. Pour autant, ce qui surprend ici, c’est la façon dont le microcosme bourgeois nous est présenté comme sournois et violent, dans leur nature autant que dans leurs actes. En effet, malgré toutes les violences et humiliations qu’ils subissent de la part des personnages d’Alex et Ricky, incarnés à l’écran par David Hess et Giovanni Lombardo Radice (Pulsions cannibales, Frayeurs, La Secte, Sanctuaire), ils n’inspireront ni empathie ni pitié au spectateur, faisant même systématiquement preuve d’une arrogance assez méprisable. En effet, en dépit d’une scène d’ouverture brutale, qui crée d’entrée de jeu un sentiment de claustrophobie oppressante et d’impuissance dévastatrice, l’évolution narrative de La Maison au fond du parc semble bifurquer, jusqu’à faire à nouveau naître l’idée dans l’esprit du spectateur que les véritables cannibales ne sont peut-être pas réellement ceux qu’on croit. Bien sûr, cela n’implique pas – loin de là – qu’Alex et Ricky en deviennent des personnages positifs, mais cela tend tout de même à légitimer un peu leur colère vis-à-vis de la « classe supérieure », et cela contribuer à brouiller toutes les pistes morales, la frontière entre le bien et le mal s’avérant en réalité très ténue. On ira même jusqu’à éprouver une certaine compassion pour Ricky, qui semble légèrement attardé et manipulé par Alex (un peu à la façon d’un des quatre violeurs de I Spit on your Grave). D’ailleurs, le personnage de Lorraine De Selle (Cannibal Ferox) ira jusqu’à se donner volontairement à lui, et à lui épargner la vie. Les autres personnages, notamment Christian Borromeo (Ténèbres) et Annie Belle (Horrible), sont assez abjects.

Tout au long de l’intrigue de La Maison au fond du parc, Ruggero Deodato installe et cultive donc une relation étrange entre le spectateur et les personnages. L’absence de repères moraux et de gentils et méchants clairement déterminés rend d’ailleurs cette relation très ambiguë, comme si elle adoptait la dynamique du syndrome de Stockholm, les violeurs nous apparaissant finalement presque plus sympathiques que les supposées victimes. Bon, bien sûr, cela ne les empêche en rien d’être de parfaites ordures, et le film bat des records en matière de sordide, avec de nombreuses scènes de sexe, doublées d’autres moments de nudité totalement gratuite, et la tension sous-jacente née de l’affrontement entre la classe populaire et le petit groupe de yuppies privilégiés confère au film une atmosphère solide, renforcée par une facture technique irréprochable (belle photo, gestion du rythme impeccable). A redécouvrir !

Le Blu-ray

[4,5/5]

Petit à petit, les films jadis sortis en DVD sous la bannière de l’éditeur-culte Neo Publishing entre 2002 et 2010 finissent par voir le jour au format Blu-ray, tantôt sous les couleurs d’Artus Films, tantôt sous celles du Chat qui fume. Et lors de la dernière salve de Blu-ray édités par Le Chat, ce sont carrément trois films qui appartenaient anciennement au catalogue de Neo que l’on a vu débarquer au format Blu-ray : les gialli La Queue du Scorpion et Le Tueur à l’orchidée, que l’on abordera avec plaisir dans les jours qui viennent, et qui s’accompagnent donc de La Maison au fond du parc, qui bénéficie d’une édition tellement soignée qu’elle reléguera le DVD de 2006 au rang de chiffon merdeux, tout juste bon à être recyclé en épouvantail à moineaux (tous ceux parmi nos lecteurs ayant un petit potager savent bien que c’est extrêmement efficace au bout d’un fil).

Depuis quelques mois, Le Chat qui fume a abandonné le format Digipack pour se concentrer une nouvelle présentation : un boîtier Scanavo surmonté d’un étui cartonné. C’est dans cette présentation tout aussi classieuse que nous arrive aujourd’hui La Maison au fond du parc, l’habillement graphique de l’ensemble étant comme toujours signé par le talentueux Fred Domont. Et la classe extérieure de l’objet se réfléchira, telle un miroir, vers l’intérieur de la galette, mon dieu quelle poésie. Côté transfert, le film de Ruggero Deodato nous est présenté en version intégrale et 1080p. L’image semble avoir été restaurée, et l’ensemble affiche une forme très impressionnante : le grain argentique est respecté, les contrastes sont tranchants, le piqué précis… Bref, le rendu Haute-Définition est très satisfaisant – un excellent travail technique à mettre à l’actif du Chat qui fume. Côté son, le film est proposé dans des mixages en version française et italienne en DTS-HD Master Audio 2.0 mono d’origine : dans tous les cas, le rendu acoustique est clair et ne pose pas le moindre problème.

Rayon suppléments, l’éditeur nous propose, en plus de la traditionnelle bande-annonce, un intéressant making of rétrospectif (1h28) nous proposant des interventions du réalisateur Ruggero Deodato, du directeur de la photographie Sergio d’Offizi, du décorateur Massimo Antonello Geleng et de l’acteur Giovanni Lombardo Radice. On y apprendra comment est né le long-métrage (sur les économies faites sur le tournage de Cannibal Holocaust), et les différents intervenants y reviendront sur les particularités du tournage, effectué de nuit sur un planning serré de deux semaines. La personnalité pas forcément facile de David Hess sera mise en avant, de même que la violence du film et ses nombreuses scènes érotiques. Les qualités et les défauts du film sont évoqués sans langue de bois, et l’ensemble s’avère très intéressant et instructif.

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